L’université d’été de La Rochelle donne l’occasion aux socialistes de se payer autant de livres que de mots. Les ateliers de travail se succèdent sans relâche, les discours fleuves inondent les salles plénières, les petites phrases bourdonnent aux oreilles des journalistes en quête de buzz. Pendant ce temps, devant la librairie, les représentants de l’aréopage socialiste et les intellectuels invités se prêtent à l’exercice convenu de la dédicace. On y croise aussi bien les candidats à la primaire pourchassés par des cameramen titubants que des chercheurs quasi-anonymes dévoués à faire converger le fond de leurs idées avec le discours politique de la gauche. Nonfiction.fr est allé à leur rencontre pour débusquer les livres qui inspirent cette rentrée politique et pourraient peut-être infléchir le cours d’une campagne présidentielle, fût-elle hostile aux philistins.

 

Primaire oblige

Dans la constellation des publications politiques de la rentrée, les livres des candidats à la primaire   viennent lancer, relancer ou appuyer les orientations qu’ils défendront jusqu’aux 9 et 16 octobre. Le favori François Hollande a publié il y a trois jours Le rêve français (Privat, 286 pages), un recueil de discours et d’interviews destiné à donner corps à son projet pour la France, centré sur la justice fiscale et la jeunesse. Il n’a pas le monopole des rêves puisque son adversaire le plus à gauche parmi les six candidats, Arnaud Montebourg, avait publié en novembre 2010 son livre le plus substantiel, Des idées et des rêves (Flammarion, 340 pages), pour lancer sa candidature. Sous l’influence de son directeur de cabinet, Gaël Brustier- ancien chevènementiste lui-même co-auteur avec Jean-Philippe Huelin de deux livres clés sur les causes du déclin de la gauche, Recherche le peuple désespérément (Bourin, 116 pages, octobre 2009) et Voyage au bout de la droite. Des paniques morales à la contestation droitière (Fayard/Mille et Une Nuits, 288 pages, mars 2011)- et de son directeur de campagne, Aquilino Morelle, ancienne plume de Lionel Jospin, il a adopté le concept de démondialisation, compressé dans les 86 pages de Votez pour la démondialisation ! (Flammarion, mai 2011) et potentiellement dans Démondialisation, mode d’emploi, annoncé par Mille et Une Nuits pour le mois d’août. Si Martine Aubry s’est contentée cet été de rédiger une "Lettre aux Français", elle avait préfacé l’hiver dernier Pour changer de civilisation (Odile Jacob, 439 pages), livre collectif de cinquante chercheurs et citoyens proche du Laboratoire des Idées du Parti socialiste. La lettre à tous les indignés et résignés qui veulent des solutions (Plon, 150 pages) de Ségolène Royal est autant une synthèse de son programme qu’un appel direct aux classes populaires précarisées et déclassées qui tombent soit dans l’abstention, soit dans le vote protestataire. Enfin, après avoir forgé son image de réformiste réaliste dans Pouvoir et de possible premier flic de France dans Sécurité. La gauche peut tout changer (Editions du Moment, 171 pages), Manuel Valls tient sa ligne social-libérale dans L’énergie du changement. L’abécédaire optimiste (Cherche-Midi). Sans oublier Jean-Michel Baylet, le président du Parti radical de gauche (PRG), qui compte imiter ses concurrents dans un essai qui aurait un titre, L’audace à gauche. 20 propositions pour la France, mais pas encore d’éditeur.

 

L’alternance oblige

Une fois passée la première pile des livres-programmes imprimés à la va-vite et prestement "marketés", le lecteur curieux tombe sur les quelques livres de dirigeants socialistes ou d’intellectuels organiques attachés à alimenter la réflexion idéologique de leur parti dans la perspective de son retour au pouvoir. Le député de la Nièvre, Gaëtan Gorce, revisite ainsi l’histoire du socialisme et ses chances de survie dans un ouvrage plus dense que la moyenne, L’avenir d’une idée. Une histoire du socialisme (Fayard, 368 pages). L’ancien trotskyste devenu député européen Henri Weber cherche à esquisser dans La nouvelle frontière. Pour une social-démocratie du XXIe siècle (Seuil, 226 pages) une sorte de quatrième voie pour la gauche dans le contexte de la mondialisation. Vincent Peillon, habituellement versé dans la théorie philosophique au point que Martine Aubry lui avait demandé d’élaborer la philosophie générale du projet socialiste, engage avec François Bazin, chef du service politique du Nouvel Observateur, des Conversations républicaines qui paraîtront chez Denoël le 20 octobre prochain.
L’entre-soi étant un peu trop tendanciel à gauche, surtout par temps de primaire, le livre coécrit par Najat Vallaud-Belkacem- secrétaire nationale aux questions de société, proche de Ségolène Royal- et Guillaume Bachelay, secrétaire national à l’industrie, aux entreprises et aux nouvelles technologies, et rédacteur d’une grande partie du projet socialiste- Réagissez ! Répondre au FN de A à Z (Jean-Claude Gawsewitch, 160 pages, à paraître le 29 septembre) vient à point nommé pour s’attaquer à l’alliance persistante entre les classes populaires et le Front National.

Parmi les caciques du PS habitués à rappeler au public leurs sujets d’indignation favoris, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang publie une philippique contre la politique de Nicolas Sarkozy en matière d’éducation dans Pourquoi ce vandalisme d’Etat contre l’école ? Lettre au président de la République (Le Félin, 125 pages). Il avait déjà évoqué ses souvenirs des années 1980 avec François Mitterrand. Fragments de vie partagée (Seuil, 250 pages, mars 2011).

 

Et plus, si affinités…

Autour de cet étalage d’essais politiques tantôt légers et indigestes, tantôt substantiels et captivants, on trouve une pléiade d’ouvrages de chercheurs gravitant autour du parti d’opposition et entretenant le débat en son sein. Le nouveau livre de Pierre Rosanvallon- une des figures intellectuelles de la deuxième gauche- La société des égaux (Seuil, à paraître le 1er septembre, qui a eu l’honneur de la Une de Libération ce samedi), tente de repenser la démocratie non pas seulement comme système philosophique et politique mais comme société et monde commun à grand renfort de sciences sociales. Sur le versant économique, ce sont Philippe Aghion et Alexandra Roulet qui apportent leur pierre à la refondation des idées progressistes avec Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation (Seuil, à paraître le 15 septembre), publié dans la collection créée par Pierre Rosanvallon, "La République des Idées", après le livre à succès de Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais, Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle.

Les têtes pensantes d’Alternatives économiques s’investissent également dans le débat, puisque Thierry Pech, directeur de la rédaction, publie le Le temps des riches. Anatomie d’une sécession le 6 octobre, après son rédacteur en chef, Guillaume Duval, qui proposait dès le mois de mai dans La France d’après. Rebondir après la crise (Les Petits Matins/ Alternatives économiques, 352 pages) des pistes pour lutter contre la crise des dettes et de l’euro. Invitées de l’université d’été, les économistes praticiennes Karine Berger et Valérie Rabault, co-auteures des Trente Glorieuses sont devant nous (Rue Fromentin Editions, mars 2011), ont défendu le retour d’un Etat stratège capable d’un investissement de long terme pour retrouver la croissance.

Le philosophe Guillaume Le Blanc, cité à la tribune par Ségolène Royal à La Rochelle pour son travail sur la précarité (c.f. Vies ordinaires, vies précaires, Seuil, mars 2007), nourrit désormais la réflexion de la gauche sur l’immigration grâce à Dedans, dehors. La condition de l’étranger. L’écrivain Jean-Christophe Bailly dresse dans Le dépaysement. Voyages en France (Seuil, 420 pages, paru le 13 avril dernier) un tableau serein d’une France métissée, loin des nostalgies littéraires d’Alain Finkielkraut, ou même des Voyages en France (Seuil, 10 mars 2011) du journaliste Eric Dupin, plus soucieux de "la fatigue de la modernité" exprimée par ses concitoyens.

Le vice-président du tribunal de grande instance de Paris, Serge Portelli, une des voix les plus écoutées à gauche sur les questions judiciaires, développe dans Juger (Editions de l’Atelier, 192 pages) un argumentaire pour arrimer la justice à l’exigence démocratique et aux "droits de l’Homme". Sur le plan international, le récent président de l’Agence française pour le développement (AFD), Jean-Michel Severino et son jeune compère économiste, Olivier Ray, poursuivent leur travail sur les écarts de richesse et de développement dans le monde avec La nouvelle question sociale. Prolétaires du Nord, prolétaires du Sud (Odile Jacob, sortie prévue le 8 septembre).

Enfin, le sociologue Rémi Lefebvre, à quelques semaines de la primaire citoyenne, n’hésite pas à décrire en quoi ce principe de sélection contredit toute une tradition militante, dans Les primaires socialistes. La fin du parti militant (Raisons d’agir, 174 pages, paru le 18 août).

En temps de campagne, les représentants de la gauche politique et intellectuelle ne tournent pas toujours leur langue sept fois dans leur bouche avant de s’exprimer. C’est aussi un temps où ils ne connaissent pas le vertige de la page blanche