Le 28 juin s’est tenu à Varsovie un débat organisé par le Centre de civilisation française en partenariat avec la revue conservatrice Teologia Polityczna dans lequel  Alain Finkielkraut était invité à échanger avec le philosophe et éditorialiste Dariusz Karłowicz ainsi qu'avec Bronisław Wildstein, journaliste à Rzeczpospolita, et Antoni Libera, écrivain et essayiste, autour de la question "La France est-elle encore un modèle pour l'Europe ?". Une partie de l’intervention du philosophe français controversé, accessible sur le site du Centre de civilisation française, n’a pas manqué de susciter une polémique.

La fin du modèle français selon Alain Finkielkraut


Interrogé sur l’actualité du modèle qu’avait pu représenter la France pour divers pays et notamment la Pologne, A. Finkielkraut constatait alors que la France n’en était plus un, "pour de bonnes raisons". Partant de l’hypothèse que jusqu’alors, la France se distinguait par une "identité" culturelle de nature fondamentalement littéraire (intellectuelle et artistique), il considère que c’est cette exception française qui aurait été, jusque dans un passé récent, la base d’une certaine fascination dans de nombreux pays. Si la France n’est plus le modèle qu’elle était pour de nombreux penseurs – polonais en l’occurrence – c’est donc en raison de l’effacement de cette spécificité "civilisationnelle" littéraire.

Alain Finkielkraut identifie deux mouvements expliquant cette perte de statut. Il constate premièrement un recul objectif de la culture littéraire et de son prestige en France, qu’il songe à attribuer à "une grande mutation technique", celle des "nouvelles technologies".

Parallèlement, il soutient que l’affaiblissement de cet élément central de "l’identité française" serait corrélé à un mélange avec d’autres éléments culturels exogènes issus d’une "immigration (…) de plus en plus massive". Ce mélange serait favorisé par deux phénomènes conjuguant leurs effets. Les nouveaux migrants seraient d’abord moins disposés à intégrer la culture française (littéraire). De surcroît, l’idéologie du "métissage" portée par une certaine élite, tout aussi différente de l’idéal d’"intégration" (soit d’acculturation) que du "multiculturalisme" (cohabitation sans mélange), reviendrait à renoncer à la défense de l’unicité et de l’intégrité du modèle légitime, celui de la culture littéraire.

Controverses

Ces propos, plus ou moins bien compris et plus ou moins fidèlement interprétés (pour les besoins de la controverse ?), ont suscité un certain nombre de réactions dont témoigne un article de Blandine Grosjean publié ce mercredi 27 juillet sur Rue89.

La contestation porte d’abord sur les faits, les chiffres fournis par l’ONU et l’Institut national de la démographie (INED) établissant la stabilité de l’immigration depuis les années 1990, et sa stagnation à hauteur de 10% de la population présente sur le territoire français   .

À un autre niveau, Blandine Grosjean retrouve dans l’argumentaire déroulé par Alain Finkielkraut un certain nombre de traits typiques de la rhétorique xénophobe. L’articulation de l’opposition entre immigrés anciens (européens) et nouveaux (musulmans), la dénonciation de la responsabilité d’une certaine élite de gauche, l’idée d’une identité non mélangée et le réflexe de la nostalgie devant un présent angoissant seraient autant de "points bien connus de la "fachosphère" ".

Plus gravement enfin, il semblerait que ces réactions aient été déclenchées par les déclarations tonitruantes de Rokhaya Diallo sur RTL ce mardi 26 juillet, celle-ci désignant la coresponsabilité d’Alain Finkielkraut – parmi d’autres intellectuels français pointant le "problème" de l’immigration –  et de ses "appels à la haine" dans la tragédie survenue en Norvège la semaine dernière…

On attend donc toujours qu’une réflexion sereine et approfondie remise au garage déclinisme, boucs émissaires, tartufferies et  déclarations péremptoires de toutes sortes, et se saisisse d’un sujet qui suscite des inquiétudes de part et d’autres. A défaut d’en aborder la complexité dans des termes précis intégrant la logique et les sentiments légitimes de l’ensemble des acteurs, il restera l’apanage des extrémismes de tous bords


Pour aller plus loin :

- Une présentation du débat de Varsovie et cinq extraits vidéo, dont l’extrait controversé de l’intervention d’Alain Finkielkraut (5e et dernier extrait de la page), sur le site du Centre de civilisation française de l'Université de Varsovie.


- Blandine Grosjean, "Finkielkraut, malade de son obsession du métissage", Rue89, 27 juillet 2011.


- Damien Dubuc, "Les vrais chiffres de l'immigration en France et ailleurs", Myeurop.info, 18 mars 2011.


Rokhaya Diallo, dans "On refait le monde", RTL, 26 juillet 2011 [à partir de 00:23:00].