Un essai politique rigoureux mais un peu trop empreint d’économisme…

Véritable secteur de l’édition, l’essai politique écrit par des politiques est en soi un outil d’analyse. Il en dit long, par exemple, des évolutions d’une certaine communication politique. Il renseigne ainsi sur les postures que les gouvernants croient bon d’adopter, tant pour se distinguer dans la compétition qui les oppose les uns aux autres que pour paraître en phase avec l’air du temps. Plus simplement, il rappelle aussi la force de légitimation du livre, ou à tout le moins, d’un nom sur une couverture   .

Le genre s’avère en outre bien normé : la plupart du temps, se mêlent dans ces pages souvent très aérées, des "confidences" (le goût d’un ancien Premier ministre pour les carottes râpées…), quelques anecdotes censées souligner tant la dureté du combat politique que la force de conviction de l’auteur, et de vagues propositions appelées à redonner "grandeur à notre pays". De la belle bête à pilon, en somme.

Si, en apparence, le livre d'Arnaud Montebourg ne se détache pas de ce modèle bien rôdé, le résultat est pourtant loin de la vacuité souvent de mise dans ce type d’exercice. Certes, les pages où l’auteur entend nous faire découvrir celui qu’il est vraiment (un "homme de gauche" à mille lieues du Arnaud Montebourg que certains s’échinent à doter d’une particule) se révèlent souvent maladroitement immodestes. On y apprend par exemple comment un jour, au milieu d’ouvriers et de syndicalistes, Arnaud a "forcé la porte de la patronne"   d’une usine de plats cuisinés menacée de fermeture en dépit de bons résultats financiers ; comment, jeune avocat "sans le sou" et peu "intéressé par les affaires d’argent"   , il défendait gratuitement les plus pauvres ; etc. Mais le propos développé dans ces quelques trois cent cinquante pages ne se réduit fort heureusement pas à cela.

Même si la grandiloquence menace toujours un peu (comme lorsqu’il évoque sa première élection, en 1997, "dans le fracas, la surprise et le cliquetis des sabres", p. 35), Arnaud Montebourg trouve ici le moyen de proposer un véritable essai politique, informé, riche et pédagogique. À la différence de nombre de ses congénères, le député arrive surtout à convaincre de la solidité de ses convictions. Et il le fait à travers cent propositions dont on imagine qu’elles pourraient être celles du candidat Montebourg à l’élection présidentielle de 2012.

Le retour du politique


Même si elle se veut plus globale, dans la mesure où elle entend poser les jalons d’un "nouveau monde"   , c’est principalement sur le terrain de l’économie que se déploie la réflexion exposée par Arnaud Montebourg dans Des idées et des rêves. Il s’agit tout simplement d’engager une "révolution mentale"   , susceptible de laver le "vieux goudron incrusté dans nos têtes"   en reprenant le contrôle de l’économie. Une telle entreprise ne peut s’appuyer que sur une initiative politique mise à mal au cours "des années Blair, Schröder et Clinton". C’est dès lors à la "vraie" gauche que reviendrait la tâche de porter le mouvement, comme doivent apparemment nous en convaincre les multiples notes de bas de pages et renvois à certaines des figures et institutions de la gauche dite "critique" (Frédéric Lordon, Yann Moulier-Boutang, la revue Multitudes) ou de la galaxie altermondialiste et assimilés (Naomi Klein, Vivian Forrester, Joseph Stiglitz). Plus généralement, c’est sous la bannière de volontarisme et de l’innovation qu’entend se placer Arnaud Montebourg, et non du côté des rentiers en tout genre, grassement servis ces dernières années.

Première étape de cette ambition : poser les fondations d’un "capitalisme coopératif", susceptible de faire "des valeurs et des règles qu’il porte la loi commune" d’une "économie renaissante"   .
On touche ici à ce qui a certainement suscité le plus de commentaires… et de doutes. Il est vrai que l’on peine parfois, en dépit des exemples mobilisés, à pleinement saisir la faisabilité de cette "révolution douce"   où le capital et le travail se retrouveraient associés sur un même pied d’égalité. Mais l’exposé d’Arnaud Montebourg est d’un enthousiasme assez communicatif. Il offre également l’intérêt non négligeable pour un candidat aux primaires, d’être directement rattachable à tout un pan de l’histoire du progressisme et du mouvement ouvrier. Il ravive en effet le souvenir des sociétés d’entraide du XIXe siècle, du mutualisme, de l’autogestion, du solidarisme républicain, de Proudhon et de sa banque du peuple, de Charles Fourier, ou encore, des ouvriers de LIP. Le député prend par ailleurs bien soin d’actualiser son argumentaire, en évoquant les success stories de certaines sociétés coopératives de production, à l’image du groupe Chèque déjeuner   .


En mâtinant ainsi l’économie de démocratie, en replaçant le travailleur au centre du système, il s’agit de sortir du face-à-face "État-marché", de permettre le retour de la société et, par conséquent, des citoyens, dans le système économique. Principalement concentré sur des mesures de soutiens financiers et logistiques (création d’un fonds souverain coopératif, mise en place de services d’appui, etc.) à ce qui n’est pour l’instant qu’embryonnaire, le propos d’Arnaud Montebourg prend, au fil de ces pages, un léger accent libertaire et anarchiste… même si la puissance publique n’est jamais bien loin.

Aider à l’émergence d’un capitalisme plus solidaire et démocratique impose, par ailleurs, de se donner les moyens de domestiquer "l’autre économie" : l’économie financière. Une nouvelle fois, le propos entend se démarquer du consensus ambiant et des appels lénifiants et vains à une "nécessaire moralisation" du capitalisme. Même s’il prend soin de préciser qu’il ne faut pas "diaboliser les financiers", c’est en effet une liste de coups de force politiques qu’égrène Montebourg : limitation "drastique" de la titrisation, instauration de bonus négatifs pour "responsabiliser" les traders, meilleure surveillance de l’activité des banques par la puissance publique, pénalisation de l’évasion fiscale, création d’agence de notation publiques, ou encore, mise en place d’une taxe globale sur les transactions financières.



La mutation verte


S’ensuit ce qui est devenu une sorte de passage obligé pour tout homme politique prétendant à la "modernité" : la conversion revendiquée à l’écologie, laquelle est encore plus chic lorsqu’elle s’opère en partie sous le haut patronage d’Al Gore   . Au-delà des sarcasmes, on est cependant forcé de reconnaître que la leçon a été plutôt bien apprise. Se détachant nettement du productivisme sur lequel s’est longtemps appuyée une partie de la gauche, le député propose en effet de ne pas limiter la reconstruction du socialisme à quelques coups de peinture verte. Il conviendrait au contraire de prendre au sérieux les apports de l’écologie politique à la définition de nouveaux modes de vie. Et Montebourg sait ici se faire très "concret". En témoigne, notamment, sa plaidoirie en faveur de l’écoconception. Cette dernière repose,  schématiquement, sur une autre approche du cycle de vie des produits dans la mesure où ceux-ci sont appelés à être réintégrés dans le processus productif après utilisation. Il s’agit par conséquent de rompre avec la culture du déchet. Dans un même mouvement, pourquoi ne pas se déprendre également des principes mêmes de l’achat et de la possession à tout-va, pour mieux se rallier à celles de la location et de l’usage ? "Le producteur conserverait la propriété du bien qu’il louerait, entretiendrait, récupérerait, déconstruirait lui-même et recyclerait. Le consommateur ne serait plus l’acheteur d’un bien mais d’un service"   .

L’économie… et après ?


Bien évidemment, vous trouverez dans Des idées et des rêves ce qui est devenu, au fil des ans, la marque Montebourg : les plans d’une réforme des institutions politiques nationales à même de mettre à bas la Ve République et son "monarchisme", de promouvoir une certaine forme de démocratie directe ou de clarifier les relations entre le pouvoir et les médias. Y figurent également quelques propositions pour lutter contre la ségrégation urbaine et, plus généralement, pour promouvoir ce que l’on appelle communément le "vivre ensemble". Mais il n’est pas improbable que certains lecteurs ressentent au final un petit goût d’inachevé. Si le propos du député socialiste est très construit et parfois assez technique sur les questions économiques, il s’avère un peu plus incantatoire sur le reste. Et le "reste" se déploie en outre sur un spectre assez restreint. On croise ainsi peu de ces thèmes dits "sociétaux" (famille, sexualité, drogue, etc.) sur lesquels il est toujours possible de se démarquer du gros de la troupe. La question sociale est, quant à elle, à peine reformulée : où sont, entre autres, la pauvreté et le précariat ?

Au-delà de ces remarques, on en revient donc finalement à l’idée que c’est principalement à l’aune de la compétence économique que se mesure la légitimité à gouverner. A chacun son "goudron"