Dès son lancement, l’enquête de nonfiction.fr a fait débat. Trop mainstream, trop consensuelle, trop oublieuse des us et coutumes du monde du livre, trop grandiloquente, nous avons tout entendu…

Certes, il y avait de l’ambition dans cette entreprise qui tentait de sonder les dessous de l’âme du lecteur, avide de découvertes littéraires et d’aiguillages en tous genres pour y parvenir. Il nous paraît donc important de la rabattre un peu, en passant en revue ce qu’il nous a manqué.

 

L’enquête en librairie

Comment évaluer les changements de prescription dans le marché du livre ? C’est à partir de cette question que nous nous sommes décidés à sillonner les rues de Paris, pour demander au premier maillon de la chaîne, les libraires, ce qui, à leur avis, pousse leurs lecteurs à acheter tel ou tel livre. Nous leur avons donc demandé de cocher une dizaine de prescripteurs majeurs parmi une liste de quarante médias "grand public"- journaux, magazines, émissions de télévision, émissions de radio ou blogs. Il y avait dans cette méthode plusieurs écueils :

- L’idiosyncrasie : les libraires ont eu tendance à nous donner leur vision de la prescription plus que celle de leurs clients.

- Le jacobinisme : nos moyens ne nous ont pas permis d’effectuer un tour de France des librairies comme nous l’aurions souhaité. Nos résultats n’ont donc qu’une valeur toute relative à cet égard.

- La légèreté méthodologique : les demandes et intérêts des lecteurs varient évidemment en fonction des milieux socioculturels. Ce n’est pas la même chose de demander à un libraire de Galignani, rue de Rivoli (Paris, 1er arrondissement), et à un libraire anarchiste de Publico, rue Amelot (Paris, 11e arrondissement), ce qui pousse sa clientèle vers certains livres.

- Le désir d’exhaustivité : le rapport des libraires à leurs clients n’est pas le même dans une Fnac ou dans une librairie indépendante de quartier. Et nous nous sommes aventurés dans les deux par souci d’équilibre sans prendre en compte les univers qui séparent des personnes qui exercent la même profession.

 

Le sondage en ligne

En parallèle de cette enquête de terrain, nous avons cherché à savoir ce qui incitait nos lecteurs à passer d’une critique ou d’un compte-rendu au livre lui-même. Comme pour les libraires, chacun était invité à cocher ses prescripteurs privilégiés parmi une liste de médias et de médiateurs. Nous fûmes confrontés à plusieurs difficultés :

- Puisque nous voulions saisir le basculement qui s’opère dans la prescription, notamment au filtre de l’économie de la recommandation, peut-être sommes-nous allés trop vite en besogne, en excluant de la liste de notre sondage à la fois les bastions de la prescription traditionnelle, les librairies elles-mêmes, le lieu de travail quotidien d’une grande part de notre lectorat, les bibliothèques, mais aussi les sphères où, à notre sens, la transformation a lieu : les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, et les librairies en ligne, comme Amazon. En tardant à remettre ces éléments dans la liste des prescripteurs proposés, nous avons sans doute biaisé le sondage.

- Indéniablement, les facteurs de prescription s’entrecroisent et s’accumulent. Un lecteur sera d’autant plus désireux d’acheter un livre s’il en a lu une bonne critique, si un ami lui a recommandé, et s’il a entendu son auteur tenir un discours intéressant à la radio. Les prescripteurs ne s’excluent donc pas les uns les autres.

- Comment recouper ce que nous ont dit les libraires, et ce que nous ont dit nos lecteurs ? Leur rapport au livre, à son marché, et à ses voies d’accès ne sont évidemment pas les mêmes.

- Enfin, n’oublions pas une statistique simple mais édifiante : il n’y a que 8% d’employés/ouvriers qui lisent nonfiction.fr alors qu’ils représentent plus de 60% de la population française. Les lecteurs de nonfiction.fr ne sont évidemment pas représentatifs de la sociologie française.

Il nous fallait rappeler ces quelques limites pour montrer en quoi notre enquête a manqué de rigueur sociologique, et en quoi elle pourrait servir de point de départ à une prospection bien plus ambitieuse à l’avenir. Nous vous invitons donc à compléter cette liste sous la forme de commentaires en-dessous de cet article

 

* Le dossier de nonfiction.fr sur les nouveaux critiques et prescripteurs de livres comprend aussi : 

- Le point de vue de la rédaction sur la mort du critique culturel

- Les résultats du sondage soumis aux lecteurs de nonfiction.fr à propos des médias les incitant à acheter des livres. 

- Les conclusions de l'enquête de terrain menée auprès des libraires par nonfiction.fr sur l'influence des médias dans la vente de livres.

- Une explication des deux enquêtes que nous avons menées et de leurs limites. 

- Un tour d'horizon des émissions littéraires de la rentrée. 

- Un entretien avec Olivier Ertzscheid sur les enjeux de la recommandation. 

- Une analyse par Marie Laforge du rôle de la recommandation dans l'économie de l'attention. 

- Une synthèse d'un travail scientifique sur l'impact de l'économie de l'attention sur la programmation culturelle.

- Une critique du livre de Chris Anderson, La longue traîne. La nouvelle économie est làpar Henri Verdier.