Un témoignage de l’extraordinaire rayonnement d’une pensée irrécupérable, ouverte sur le monde, au défi des frontières

Né à El Biar en 1930, Jacques Derrida qui a vécu en Algérie jusqu’à l’âge de dix-neuf ans aura témoigné à maintes reprises de son "attachement" à son pays natal, pour lequel il avait forgé un de ces mots-valises  dont il avait le secret : la "nostalgérie". Pour autant il ne devait jamais souscrire au sentiment d’une "appartenance"  exclusive et "appropriante". La "nostalgérie" ne se laissait enfermer dans aucune identité. Au contraire, l’une des voies les plus fructueuses qu’aura explorée ce qui s’est appelé  "déconstruction" aura été de défaire toute possibilité de se référer à une origine — de l’invoquer et de la cultiver, à plus forte raison de la protéger. Quelques-uns des thèmes les plus saillants de la pensée derridienne sont, de fait, indissociables aussi bien de cette "nostalgérie" que de la défiance de Derrida à l’encontre de toute monogénéalogie culturelle : la critique de l’européocentrisme, sous toutes les formes (téléologiques, monogénéalogiques  ou essentialistes)  qu’il aura empruntées, mais aussi l’exigence d’une hospitalité  inconditionnelle qui n’est pas sans garder la mémoire de la brutalité avec laquelle, en octobre 1940, la France de Vichy aura dénié aux Juifs d’Algérie la citoyenneté que  le décret Crémieux leur avait accordée en 1870. Enfin la question, si complexe, de la différence entre langue maternelle, langue nationale et idiome — c’est-à-dire de "l’identité" dans (ou grâce à) la langue, à laquelle est consacré Le Monolinguisme de l’autre — ne se laisse pas penser  indépendamment de l’impossible identification à "la langue" et à "la culture" de la métropole.

C’est pour rendre hommage à cette complexité (qu’explorait déjà Geoffrey Bennington dans Derridabase et que commentait Derrida dans Circonfession   ) — c’est pour en suivre les détours que s’est tenu en novembre 2006, à Alger, un colloque international réunissant, des deux rives de la Méditérranée et au-delà, des amis de Jacques Derrida et des chercheurs attachés à son œuvre — et ce sont les actes de ce colloque que rassemble le volume Derrida à Alger. Pour la plupart d’entre elles les communications  (que ce soit celle de Hélène Cixous, de Jean-Luc Nancy, de René Major, de Denis Kambouchner, de Mustapha Chérif ou de Bencherki Benzemiane)  reviennent sur l’un ou l’autre des thèmes que l’on évoquait à l’instant. Elles apportent un témoignage supplémentaire de l’extraordinaire rayonnement d’une pensée irrécupérable, ouverte sur le monde, au défi des frontières

 

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La déconstruction de l'opposition homme/animal et d'une définition de la souveraineté au profit de la recherche d'une autre forme du politique.

- Jacques Derrida, "Le souverain bien - ou l'Europe en mal de souveraineté" dans Cités, 30, 2007 (PUF), par Bastien Engelbach.

La notion de souveraineté est saisie dans sa complexité et son historicité, suivant l'horizon problématique de l'animal politique mettant en balance l'homme et l'animal, la politique et le bestial, le souverain et la bête.