Objet en devenir, polémique et parfois difficile à cerner, les droits de l'homme sont ici remarquablement mis en perspective par ce dictionnaire.

Valeurs occidentales impérialistes ou dernier refuge de l’universalisme ? Utopie bien-pensante ou source de réel progrès ? Droit gazeux ou positif ? Les droits de l’homme demeurent un objet en devenir, polémique parfois et souvent difficile à cerner. Le Dictionnaire des droits de l’homme qui sort aux Presses universitaires de France propose un état des lieux et une mise en perspective.

Parmi les quelques publications qui accompagnent cet automne la célébration du soixantième anniversaire de l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme, la plus ambitieuse est sans doute celle de ce dictionnaire, codirigé par Joël Andriantsimbazovina, Hélène Gaudin, Jean-Pierre Marguénaud, Stéphane Rials et Frédéric Sudre. Fruit de quatre années de travail, l’ouvrage a réuni 185 spécialistes dont les près de 300 contributions constituent un panorama fort riche du vaste sujet que constituent les droits de l’homme.

Pour avoir été rédigé par des juristes, ce dictionnaire n’en est pas pour autant destiné aux seuls étudiants ou praticiens des sciences juridiques. Bien au contraire ! Et c’est là tout l’attrait de cet ouvrage que de restituer l’intrication des questions historiques, politiques et philosophiques que soulèvent les droits de l’homme. On sent en effet chez la plupart des auteurs un double souci de dresser à chaque fois un tableau aussi fidèle que possible de l’état actuel de la question et également de retracer l’évolution des concepts, des institutions et des idées à travers l’histoire. Impossible, par exemple, de traiter de la protection des droits de l’homme en France aujourd’hui sans se plonger dans le contexte de rédaction de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – qui conserve aujourd’hui une valeur constitutionnelle. De la même façon, la notice sur les "Libertés et déclarations anglaises du Moyen Âge au XVIIIe siècle" apporte un complément essentiel aux développements plus techniques que suscitent par exemple la notion d’Habeas corpus ou le Human Rights Act. Enfin, les notices "Nazisme" et "Totalitarisme" sont également de bonnes illustrations de l’ambition historienne de ce dictionnaire.

Parfois, bien sûr, le balayage se fait un peu rapide : tant qu’à se voir consacrer une notice, l’Antiquité aurait sans doute mérité quelques développements supplémentaires. Mais on serait bien en peine de le reprocher aux auteurs de ce dictionnaire. Car ils tiennent parfaitement leur promesse d’un savant dosage pluridisciplinaire où le droit positif, le droit pur et dur, s’enrichit des apports de disciplines connexes sans pour autant passer aux second plan. L’enquête se fait d’ailleurs également géographique : Afrique, Amérique latine, Maghreb, Chine, Russie, France, Royaume-Uni, Allemagne… autant d’espaces géographiques considérés de façon isolée pour leur bilan et leurs institutions en matière de droits de l’homme, sans concession pour la réalité de l’application de ces droits sur le terrain. Ainsi la très bonne notice de Jean-Marc Sorel et Marie-Claude Runavot sur le "Peuple palestinien" se clôt sur le constat sans appel d’un droit applicable énoncé "avec force autorité morale" par la Cour internationale de justice… auquel les auteurs ajoutent : "Il reste à l’appliquer."



Droits de l’homme et religion ne sont pas incompatibles ! On retrouve ainsi dans ce dictionnaire le contenu juridique et les polémiques autour de la laïcité et de l’exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Surtout, les points de convergence entre les droits de l’homme et certains enseignements du christianisme, de l’islam et du judaïsme sont réaffirmés, façon de renvoyer les extrémistes de tous bords à leur inconséquence.

Historique, politique, philosophique… que les juristes se rassurent, il s’agit aussi et surtout d’un dictionnaire juridique. Ils y retrouveront bien le langage et les signes qui leurs sont familiers : la jurisprudence est abondante, récente (jusqu’en 2008) et variée : Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice des communautés européennes, Conseil d’État, Cour de cassation, Cour internationale de justice, Tribunal constitutionnel fédéral allemand, High Court of Australia, House of Lords, Cour suprême américaine, Cour interaméricaine des droits de l’homme… Les références au corpus et à la littérature juridiques sont également très nombreuses, nationales comme internationales. Toutes sont d’ailleurs indexées de façon fort utile à la fin de l’ouvrage. Pour les articles les plus techniques, on pourra reprocher aux auteurs de s’être parfois ("Contrôle d’identité", "Corps humain", etc.) cantonnés à une approche franco-française des sujets abordés, même si l’interrogation des singularités françaises sur tel ou tel point de droit n’empêche guère une réflexion plus générale, bien au contraire. Et, dans la plupart des cas, le développement joue de multiples focales pour mieux cerner son sujet. La notice consacrée au "Terrorisme" est à ce titre exemplaire.

L’étiquette "universitaire" de la maison d’édition comme de l’ensemble des rédacteurs ne doit pas effrayer le lecteur soucieux de se renseigner sur les droits de l’homme tels qu’on les applique (ou qu’on les bafoue) et non tels qu’on peut les transformer en cathédrales de notions abstraites. Ce dictionnaire est d’une vraie utilité pour le militant associatif, pour le journaliste, pour le décideur public et pour le citoyen. Dans un pays qui a depuis cinq ans tourné le dos à sa tradition d’accueil des réfugiés, reçu en grande pompe bien des dirigeants aussi démocrates et populaires que les républiques du même nom, et où la politique judiciaire est la cadette des priorités gouvernementales, il est salutaire que des ouvrages tels que ce dictionnaire viennent rappeler à leurs lecteurs que les droits de l’homme ne sont pas un vain mot. Quelle qu’en soit la matière, les chaînes font toutes le même bruit : bling bling

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre

 

À lire également sur nonfiction.fr :

- Entretien avec Mario Bettati, inventeur du "droit d'ingérence" et co-directeur de la nouvelle édition commentée de la Déclaration universelle des droits de l'homme (Gallimard, "Folio actuel"), réalisé par Nicolas Leron.

- Grand entretien avec Joël Andriantsimbazovina, co-directeur du Dictionnaire des droits de l'homme (PUF), réalisé par Thomas Hallier et Aurélie Stoflique. Cet entretien est en sept parties.

 

 - "Les droits de l'homme en débat au Grand Palais"