* Cet entretien est en sept parties (cf. bas de la page pour le renvoi vers les autres parties)

nonfiction.fr : En tendance, et sans fermer les yeux sur les situations intolérables dans de nombreux pays, peut-on parler de progrès de la situation des droits de l’homme dans le monde ?

Joël Andriantsimbazovina : Quand on est comme moi un ardent défenseur de l’idéologie des droits de l’homme, convaincu de l’importance des droits de l’homme dans la marche du monde, on ne peut être qu’optimiste, je ne vois que des améliorations partout ! Un peu de distance historique aide à faire ce constat : fin de l’apartheid, mouvement des droits civiques aux États-Unis… Une inquiétude est bien là, cependant, depuis le 11-Septembre, en raison de la multiplication de certaines législations et pratiques anti-terroristes dans les États démocratiques, on peut penser aux États-Unis et à la création de Guantanamo, mais aussi au Royaume-Uni ou à la France. Dans ces pays, au nom de la protection de la sécurité – qui est aussi un droit de l’homme, il ne faut pas l’oublier –, on va vers l’adoption de législations qui sont des législations de temps d’exception appliquées à une période de paix civile. Cela est très bien dit dans la notice de Charlotte Girard sur le Royaume-Uni. C’est là un danger pour la démocratie. Il est vrai que, comme régime, la démocratie a une faiblesse qui est cette liberté dont peuvent se servir les terroristes pour l’atteindre au cœur et la forcer à déroger à ses principes.

De la même façon, il faut être vigilant sur la capacité qu’ont un certain nombre d’États, Russie et Chine notamment, à récupérer le thème de la lutte anti-terroriste pour masquer leurs propres visées dictatoriales, que ce soit en Tchétchénie ou au Xinjiang. La société civile est là en sentinelle, comme l’illustre le débat suscité en France par le fameux fichier Edvige.

Autre rempart, dans les démocraties : les juges. Au Royaume-Uni, le seul rempart pour les individus contre les lois anti-terroristes votées depuis Mme Thatcher jusqu’à Blair, c’est la Chambre des lords, qui a rappelé un certain nombre de règles. Dans une moindre mesure, la Cour suprême des États-Unis a aussi rappelé l’importance des droits de l’homme malgré le mode de composition de cette cour qui en fait un acteur politique soumis à des jeux de pouvoir.

En Europe, sur le terrorisme, on est dans une situation singulière. La Russie est membre du Conseil de l’Europe et adhère à la Convention européenne des droits de l’homme. Et c’est devenu l’État le plus condamné par la CEDH ! Le pessimiste dira que cela ne sert à rien puisque la Russie n’applique pas ces décisions. Mais je crois beaucoup au fait que les Tchétchènes puissent déposer des requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme, que les mères qui ont perdu des enfants en Tchétchénie puissent aller devant la Cour et faire connaître leur tragédie. Il est important que la CEDH puisse le remarquer et puisse entendre ces plaintes. Ce problème de l’exécution des décisions, ou plutôt de leur inexécution, est politique et suscite un débat qui est en soi une bonne chose. On peut être déçu mais il faut être patient.

 

Cet entretien est en sept parties.