* Cet entretien est en sept parties (cf. bas de la page pour le renvoi vers les autres parties)

nonfiction.fr : Droits de l’homme, droits et libertés fondamentaux, "droits humains" (Ségolène Royal en Chine en janvier 2007), de quoi faut-il parler aujourd’hui ?

Joël Andriantsimbazovina : Pour ce qui est du titre de ce dictionnaire, les lecteurs trouveront dans la courte préface une réponse assez précise à cette question-là. Nous en avons débattu avec les auteurs, certains nous demandant spécifiquement s’ils pouvaient utiliser un autre terme que "droits de l’homme". La liberté d’expression a évidemment prévalu ! Mais pour l’intitulé du dictionnaire, nous avons voulu garder l’expression "droits de l’homme" car, juridiquement, lorsque l’on fait des études de droit, chaque terme a une signification particulière.

Pour aller vite, les droits fondamentaux sont les droits qui sont proclamés et garantis par des textes de droit positif, que ce soit dans le droit national – dans les constitutions essentiellement – ou dans les conventions internationales. "Droits humains", c’est une traduction de l’anglais "human rights" ; il s’agit donc d’une question purement linguistique qui fait actuellement l’objet d’un effet d’une mode à laquelle nous ne comptions pas sacrifier : il nous paraissait important que ce dictionnaire renvoie à tout un passé de lutte et aux espoirs que les droits de l’homme continuent de susciter dans le monde entier. "Droits de la personne humaine", nous l’avons écarté également, car lorsque l’on étudie le droit, cela correspond à des régimes juridiques particuliers dans des disciplines juridiques particulières, notamment en droit civil. Cela aurait donc restreint la portée d’un ouvrage que nous voulions juridique certes, mais aussi historique, philosophique et, n’ayons pas peur des mots, idéologique. 

Les droits de l’homme restent une idéologie, la seule idéologie qui subsiste aujourd’hui et qui puisse réguler le monde. Et les régimes les plus totalitaires, ou en tout cas qui n’ont pas atteint un certain niveau de démocratie, craignent aujourd’hui les droits de l’homme. Il faut lire l’auteur italien Guglielmo Ferrero sur ce sujet. Ce qui fait peur aux dictateurs, aujourd’hui, ce sont les droits de l’homme, le fait qu’un individu, un groupe d’individu réclame la liberté. Et plus la répression est brutale, plus c’est un signe que le régime a peur.


nonfiction.fr : On s’apprête à célébrer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Quelle est la signification réelle de ce texte ? Sa portée ?

Joël Andriantsimbazovina :
Cette question prolonge la précédente : si on avait voulu faire un dictionnaire de droit positif, on n’aurait pas pu mettre cette déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. En effet, d’un point de vue strictement juridique, ce texte n’a pas la moindre force juridique ; c’est une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Sa portée est cependant loin d’être négligeable. La Déclaration universelle répond à une tragédie, la Seconde Guerre mondiale, à l’indicible, à des atteintes inimaginables contre l’être humain en tant que tel et contre la dignité de l’être humain. Seulement, à l’époque, on n’a pas pu élaborer et adopter une convention internationale en tant que telle. Pour des raisons politiques. Mais l’adoption de ce texte n’en demeure pas moins une révolution politique. Sa vocation n’était pas d’être invoquée devant les juridictions, sa vocation est de susciter dans le monde entier, dans tous les pays et sur tous les continents, des textes qui auraient, eux, pleine valeur juridique.

Et ce n’est pas par hasard que cette déclaration des droits de l’homme est qualifiée d’universelle. René Cassin s’est battu pour qu’on mettre l’adjectif universel et non international. Une déclaration internationale aurait en effet pu envoyer aux États le signal d’une déclaration ne concernant pas leurs affaires intérieures puisque, selon les termes de l’art. 2§7 de la Charte des Nations unies, les Nations unies et la société internationale ne peuvent pas s’ingérer dans les affaires intérieures des États. Mais en qualifiant cette déclaration d’universelle, René Cassin avait en tête l’idée que l’individu puisse devenir sujet de droit international. Et l’affirmation de la dignité humaine permet de rendre les considérations de race, de sexe, de religion, etc. indifférentes quant au fait que l’on est un sujet de droit.

Ensuite, l’existence de cette déclaration a permis l’adoption de textes contraignants, par exemple au niveau des Nations unies les pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, et économiques et sociaux de 1966, et, au niveau régional, la Convention européenne des droits de l’homme en 1950, la Convention interaméricaine des droits de l’homme de 1969, puis un peu plus tard la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée en 1981. La force de la déclaration universelle des droits de l’homme est donc d’avoir su inspirer un foisonnement de textes contraignants et d’avoir engagé un certain nombre de régimes dans des évolutions volontaires ou forcées vers un plus grand respect progressif de l’être humain.

 

Cet entretien est en sept parties.