* Cet entretien est en sept parties (cf. bas de la page pour le renvoi vers les autres parties)

nonfiction.fr : Comment passe-t-on de la première idée jusqu’à cette somme de plus de mille pages ? Vous êtes l’un des principaux coordinateurs de ce projet. Rappelez-nous la genèse de cette entreprise.

Joël Andriantsimbazovina : Le projet de ce dictionnaire est né en 2004. Certains d’entre-nous avaient collaboré déjà sur des ouvrages dans lesquels les droits de l’Homme occupent une place importante   . Mais il nous paraissait important d’élargir ce cadre strict de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et du droit européen aux droits de l’homme en général. La forme du dictionnaire s’est ensuite imposée. Des manuels et des recueils de traités, il y en a déjà à profusion, et d’excellents de surcroît.

Il fallait donc trouver un axe différent et qui rendrait justice à la place qu’occupent les droits de l’homme à la fois dans l’histoire, dans la pensée, dans le droit et dans la philosophie du XXIe siècle. Nous savions que la collection de dictionnaires des Presses universitaires de France accueillait précisément ce type d’ouvrages d’orientation pluridisciplinaire où chaque auteur aurait l’opportunité de livrer une pensée personnelle plutôt que de s’en tenir à l’exercice un peu aride de la définition. Nous avons demandé au professeur Stéphane Rials, co-directeur de deux dictionnaires dans cette collection   et auteur entre autres d’un ouvrage remarquable sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen chez Hachette, de nous faire l’honneur d’apporter son expérience, ses grandes compétences de juriste, de philosophe et d’historien. Trois ans et demi de travail de coordination, de rédaction, de relectures plus tard, ce Dictionnaire des droits de l’homme paraissait !


nonfiction.fr : S’agit-il de la simple version française d’un outil existant déjà chez quelques éditeurs anglo-saxons ou de la défense et illustration d’une approche romano-germanique des droits de l’homme désireuse d’affirmer sa différence vis-à-vis de la common law ?

Joël Andriantsimbazovina : Nous avions bien sûr connaissance de l’existence d’autres dictionnaires dans d’autres langues, et c’est d’ailleurs ce qui nous a convaincus qu’il manquait un instrument en langue française. Nous sommes de fervents défenseurs et promoteurs de la francophonie. Il nous paraissait indispensable et capital qu’un dictionnaire de langue française paraisse en France et, au-delà, qu’il puisse rayonner sur le monde francophone.

Pour ce qui est du système juridique de référence, ce n’est pas en ces termes que nous avons raisonné. Vous pourrez noter que ce dictionnaire comporte plusieurs entrées relatives aux systèmes et procédures de protection des droits de l’homme situés dans des espaces de tradition de common law. L’idée était donc plutôt d’avoir un dictionnaire de langue française, et, dans un second temps, de rédiger un dictionnaire juridique qui ne s’en tienne pas à la dimension juridique des droits de l’homme. Certes le droit y est bien présent, et le public que nous avions à l’esprit est d’abord un public de juristes, apprentis ou confirmés, donc de professionnels du droit.

Mais nous avons aussi pensé à tous les honnêtes hommes du XXIe siècle qui s’intéressent aux droits de l’homme ou qui agissent pour les faire progresser, dans le milieu associatif, par exemple. D’où l’ajout d’une dimension historique et philosophique en sus de la dimension juridique et de l’analyse du droit positif tous systèmes confondus. Ce choix nous a paru fondamental : ce dictionnaire a pour vocation à la fois de rappeler un corpus et des institutions existants et de susciter des réflexions sur les droits de l’homme en tant qu’objet philosophique. Et, in fine, une grande liberté a été laissée aux auteurs des notices dans le choix de l’approche qu’ils souhaitaient privilégier.


nonfiction.fr : Ce pari pluridisciplinaire est largement tenu. Mais les notices les plus techniques et les plus juridiques ne véhiculent-elles tout de même pas principalement une conception sinon française du moins francophone des sujets traités ?

Joël Andriantsimbazovina : Il y a un certain nombre d’entrées qui correspondent effectivement à une conception française de la protection des libertés, notamment celles qui portent sur les libertés publiques en tant que régime de protection. C’est un choix de notre part. Bien sûr, la notion de droits fondamentaux, originaire d’Allemagne, se répand ; il suffit d’ailleurs de voir comment, au niveau de l’Union européenne, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) utilise dorénavant cette notion de droits fondamentaux pour parler des droits de l’homme et des libertés. Il reste qu'en France, la protection des libertés est aussi régie par le régime des libertés publiques. On ne pouvait le passer sous silence dans ce dictionnaire.

Mais la célébration de cette spécificité française ne nous prive pas de l’approche critique et de la reconnaissance des avantages des autres systèmes étrangers. Et d’ailleurs vous verrez qu’il y a une entrée sur l’"Enseignement des libertés". Et l’on y voit bien que la France est l’un des rares pays où il y a des enseignements spécifiques au droit des libertés et ce de façon obligatoire en licence, là où ailleurs ce sont plutôt des modules de spécialisation.

 

Cet entretien est en sept parties.