La politique de la ville, il y a mille ans déjà, se préoccupait de la surpopulation et des lotissements...

Cet automne les sénateurs ont accepté la loi Elan, qui devient le nouveau cadre en matière de logement en France. Le logement est en moyenne notre premier poste de dépense, donc autant dire qu’on est tous concernés. Or qu’il s’agisse de l’accessibilité aux handicapés, des quotas de HLM, ou de l’encadrement des loyers, la loi est loin d’être contraignante. En fait, elle pose à nouveau une très vieille question : à quel point les pouvoirs publics peuvent/doivent-ils intervenir dans la formation des villes. Car même au Moyen Âge, quand les villes étaient bien plus petites, mais pas forcément moins denses, ni plus agréables à vivre, plusieurs acteurs se chargeaient déjà de les organiser.

 

Bologne, XIe siècle

Pour imaginer le tableau, faisons un détour par la Bologne d’il y a mille ans. Après les grandes villes de l’Empire romain, l’Occident a connu un haut Moyen Âge très peu urbain, et ce n’est qu’au Moyen Âge central que les villes se développent à nouveau. D’abord les nouveaux logements s’entassent dans les vieilles murailles de l’Antiquité tardive, et puis bientôt ils les dépassent, d’où la naissance des faux-bourgs. Bologne, en Italie, est à la pointe de ce mouvement : elle se peuple à vitesse accélérée et les logements viennent vite à manquer : il y a trop de monde pour le périmètre réduit des murailles du viie siècle.

Certains prennent alors des initiatives. Le monastère de Santo Stefano par exemple convertit ses pêcheries à proximité de la ville pour en faire des terrains constructibles : on passe des poissons aux habitants (pas de blague sur les pêcheurs d’hommes, promis).

 

La pêche aux lotissements

Les deux tours de Bologne

Le monastère a alors trois bonnes raisons de faire construire des logements. D’abord, les établissements religieux sont à cette époque de grands propriétaires fonciers, qui mettent volontiers leurs terres en culture, possèdent aussi des moulins, des élevages, etc. Faire du poisson en bassin, c’était donc avant tout un investissement lucratif, mais l’habitant en maison rapporte aussi de l’argent.

En plus, pour les religieux et les seigneurs, loger sur ses terres, c’est potentiellement se créer une clientèle plus nombreuse. Des habitants qui suivront la messe dans leur paroisse, paieront les impôts, etc. Le nombre fait la force.

Troisième et dernière raison, plus chrétienne cette fois : remédier au mal-logement. Pour les nouveaux urbains, la terre n’est pas libre : il faut l’acheter aux seigneurs ou aux communautés religieuses qui en sont propriétaires. Souvent, les propriétaires vont alors dégager des lots de terrain qu’ils cèdent en échange d’obligations de construction, elles-mêmes louées aux nouveaux arrivants. En anticipant la demande de logement, les grands acteurs économiques de l’époque peuvent à la fois (dans le meilleur des cas) faire le bien, et des profits.

 

Les mal-logés du Moyen Âge

En effet, dans les villes médiévales, on vit sans doute assez mal. Dans les centres, la pression démographique se fait difficile. Les contrats de location le montrent : alors qu’on louait à l’origine un logement entier, on finira par louer un seul étage, puis, parfois, une seule pièce. Dans les faubourgs, le même phénomène se reproduit : les religieux de Santo Stefano donnent leur terrain en bail emphytéotique, de 99 ans, à qui pourra à construire.  C’est une décision assez commune lors des premières décennies du développement des villes. Plus tard, on verra apparaître ailleurs des baux assurant une meilleure rentabilité : 25 ans, 10 ans parfois. On n’en est pas encore au bail mobilité de la loi Elan, mais le système nous reste familier.

Vous vous demandez sûrement ce que fait la ville pendant ce temps. Et bien jusqu’à une période assez tardive, les villes ne font presque rien, tout simplement parce que les communes, c’est-à-dire les gouvernements urbains, ne deviennent autonomes que plus tard. Chronologiquement, ce sont les habitants qui ont entraîné l’apparition de politiques de la ville.

À Bologne, la commune est formellement créée en 1115. Et l’une de ses premières mesures est de faire percer les murailles devenues trop étroites pour relier le centre à deux nouveaux faubourgs. À peine un siècle plus tard, en 1211, ce sera aussi la première ville à faire tracer des routes rectilignes pour structurer un espace urbain agrandi, grâce à de nouvelles murailles plus larges. Bientôt la ville compte 50 000 habitants : ça ne la classe pas parmi les plus grande de l’époque, mais on comprend que les aménagements urbains aient dû commencer à être pensés en commun. Et tant pis s’il faut pour ça imposer quelques contraintes.

 

Pour aller plus loin :

- Cécile Caby, « Pour une histoire des usages monastiques de l’espace urbain de l'Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome - Moyen Âge, 124-1 | 2012.

- Antonio Ivan Pini, « Une planification urbanistique précoce à l’âge communal », Société française d’histoire urbaine, n° 8, 2003/2, p. 187-212.

- Élisabeth Crouzet-Pavan, Les villes vivantes : Italie, XIIIe-XVe siècle, Paris, Fayard, 2009.

À lire aussi sur Nonfiction :

- L'Urbain et le politique, entretien avec Patrick Boucheron, par Pierre Henri Ortiz

 

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