Les sorcières sont de retour... y compris dans la culture pop, où chanteuses et séries se saisissent de cette figure, investie de nouveaux pouvoirs...

C'est aujourd'hui un Actuel Moyen Âge un peu spécial, puisque nous accueillons un article de Fabien Bièvre-Perrin, docteur en histoire et archéologie antiques, éditeur d'Antiquipop, un carnet qui analyse les références à l'Antiquité dans la culture populaire. Il nous fait l'amitié de cet article pour s'intéresser à une figure souvent associée – à tort  au Moyen Âge : la sorcière.

 

Elles sont partout !

On mesure assez bien la popularité d'une thématique à sa présence dans la pop culture. Cette année les sorcières sont omniprésentes : dans les remakes de Charmed et Sabrina l'apprentie sorcière, dans la nouvelle saison d’American horror story, aux concerts de Taylor Swift, Katy Perry et Beyoncé, dans Assassin’s Creed (sorcière d’Hécate) ou dans la publicité… elles peuvent même être derrière un succès de librairie (Sorcières de Mona Chollet). En 2018, elles sont souvent sexy mais affichent tout de même une diversité inédite. Obèses, trisomiques, vieilles ou jeunes, noires, blanches ou métisses, bienveillantes ou colériques, elles sont vendeuses, chanteuses, enseignantes ou même informaticiennes.

Mais surtout les sorcières sont révoltées contre les hommes. En quoi la version 2018 de la sorcière se distingue-t-elle de son aïeule médiévale solitaire et des magiciennes antiques ?

 

Des sorcières politiques ?

Pour être honnête, la figure de la sorcière n’a jamais vraiment quitté la pop-culture, alors pourquoi ce regain d’intérêt particulier cette année ? Il semble que le contexte politique ait donné aux femmes un regain de nostalgie pour ces figures antithétiques du masculin, brûlées sur la place publique pour avoir osé leur opposer leur indépendance. La figure de la sorcière et ses avatars incarne les peurs des hommes face aux femmes et à leur pouvoir. Taylor Swift en a fait le mantra de son titre I did something bad, paru fin 2017 sur son album Reputation et mis à l’honneur lors d’une mise en scène live particulièrement impressionnante lors des American music awards début octobre : un immense cobra se dressait derrière elle alors qu’elle entonnait:

« They're burning all the witches, even if you aren't one, so light me up (light me up), light me up (light me up) » (ils brûlent toutes les sorcières, même si tu n’en est pas une… donc enflamme moi…).

La prestation faisait suite à l’entrée remarquée de la chanteuse en politique, en faveur des démocrates et surtout en opposition au camp de Trump. Quoi de mieux pour entamer le mois d’octobre et d’Halloween, déjà marqué par la sortie des remakes de Charmed et Sabrina l’apprentie sorcière, que la petite fiancée de l’Amérique faisant son coming out de sorcière ?

 

Dresseuse de serpents

Le serpent géant et entouré de flammes qui accompagnait Taylor Swift, autoproclamée « mother of snakes » (en écho à Daenerys, « mother of dragons », dans Game of Thrones) en tournée et au American Music Awards n’est pas sans rappeler les multiples reptiles qui entourent Katy Perry dans son clip Dark Horse et les sorcières d’American Horror Story. La chanteuse américaine y jouait une sorte de Cléopâtre-sorcière, réduisant un à un ses prétendants en sable par la magie, aidée de suivantes à têtes de chatte égyptienne…

Les sorcières sont en effet souvent accompagnées d’un animal, au premier rang desquels le chat noir, que l’on retrouve dans la nouvelle version de Sabrina bien qu’il ait perdu sa faculté de parole (pourtant si drôle dans la version des années 1990). Si le chat renvoi souvent avec humour au cliché du Moyen Âge, le serpent est plus étonnant chez la sorcière. Même s’il peut évoquer le mal et le diable médiévaux, il est plus probablement ici présent en lien avec l’imaginaire des magiciennes de l’Antiquité, Hécate ou Médée, ou plus généralement à des personnages féminins antiques puissants, comme Méduse, qu’ils aient réussi à s’opposer aux hommes ou en aient été les victimes... Il s’agit également d’un écho supplémentaire à l’Orient, les visuels et mises en scènes évoquant à l’envie Aladin et le Prince d’Égypte. Quant au trio de Charmed, il semble promis à fréquenter beaucoup de corbeaux et animaux divers… La femme maîtresse des animaux et en lien avec les éléments, voilà l’un des héritages antiques de la sorcière contemporaine.

 

La sorcière entre hype et accessoires désuets

Un autre point cher au cliché de la sorcière médiévaliste est le chapeau. Code immédiatement identifiable, on l’identifie dans l’accoutrement des manifestantes de la women’s march aux côté des capelines blanches à la Handmaid’s tale et des pussy hat roses. C’est donc logiquement qu’on le retrouve dans la culture pop la plus mainstream, mais son inadaptation à un style contemporain le pousse un peu vers la sortie : en 2018 seules quelque sorcières l’arborent, comme accessoire de mode significatif de leur pouvoir. En revanche, exit le nez crochu et le balai, peut-être trop associé dans l’imaginaire contemporain aux tâches ménagères pour constituer un accessoire féministe.

Outre les animaux de mauvaises augure et les chapeaux démodés, la sorcière a gardé un goût évident pour les potions, l’immobilier ancien (les vieilles demeures américaines, notamment celles de la Nouvelle Orléans, sont leur habitat de prédilections), les livres couverts de latin en lettres gothiques, généralement venus d’Europe avec leur part de magie, et les promenades nocturnes en forêt (la nature n’est jamais très loin des campus où les scénarios américains aiment à les faire intervenir) : la série Les nouvelles aventures de Sabrina coche toutes ces cases une à une (à ce sujet, voir mon thread).

L’isolement, dans une vieille maison, dans les livres ou dans la nature profonde, n’est cependant plus vraiment d’actualité. Non, ce qui fait la force de la sorcière en 2018, c’est sa communauté féminine. À l’ère de Trump et de #MeToo (mouvement porté notamment par deux actrices de Charmed), elle vit en communauté, se considère égale voire supérieure aux hommes et manifeste pour ses droits. Toujours accusée de tous les maux, celle que l’on ne croira pas, elle n’est plus isolée face aux hommes ou parmi eux, elle s’appuie sur toute la diversité de sa communauté pour dévoiler la vérité et revendiquer sa place dans la société, opérant parfois de véritables coming out. Pourquoi alors sans cesse rattacher la figure de la sorcière à un cliché antédiluvien et anachronique ? L’affirmation de leurs racines, factices, médiévales et antiques est un cri de ralliement, un hommage aux femmes qui sont tombées depuis la nuit des temps mais un appel à ne pas suivre le même destin. Les sorcières pop de 2018 sont des héritières conscientes de la figure de la sorcière dans la culture populaire et les filles de « celles que les hommes n’ont pas réussi à brûler » comme le brandissent les manifestantes de la Women’s march.

Gageons qu’Hermione Granger serait fière, voire un tantinet envieuse.

 

Pour aller plus loin :

- Maria José Hidalgo de la Vega, « Voix soumises, pratiques transgressives. Les magiciennes dans le roman gréco-romain », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 34.1, 2008, p. 27-43.

- Plusieurs revues ont consacré des numéros sur la magie dans l'Antiquité : voir ceux de Histoire Antique & Médiévale et Religions & Histoire.

- Mona Chollet, Sorcières. La Puissance invaincue des femmes, Paris, Zones, 2018.

À lire aussi sur Nonfiction :

- Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, compte-rendu par Catherine Kikuchi

- Jean-Pierre Warnier, La mondialisation de la culture, compte-rendu par Christian Ruby

- Florian Besson, Actuel Moyen Âge - Saint Maurice et Captain America, des héros noirs ?

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