La Catalogne fait parler d'elle... Elle avait déà traversé des moments de tension et même fait sécession au XVe siècle.

La Catalogne fait parler d'elle : malgré une très forte pression du gouvernement espagnol, le référendum sur l'indépendance a bien eu lieu ce dimanche. Face à une importante mobilisation populaire ce jour-là, la violence des forces de l’ordre a fait la une dans le monde. La Catalogne médiévale avait déjà, elle aussi, traversé des moments de tension et même fait sécession lors de la guerre civile catalane du XVe siècle...

 

Les Espagnes médiévales

 

La péninsule Ibérique n’a pas toujours été formée uniquement de deux États, le Portugal et l’Espagne. Le Portugal existe depuis le XIIe siècle mais, au Moyen Âge, sur l’espace de l’actuelle Espagne, on trouvait le petit royaume de Navarre dans le Nord, ce qui restait des territoires musulmans après la « Reconquista » dans le Sud (le royaume de Grenade tombe le dernier, en 1492) et, surtout, deux grosses entités territoriales : le royaume de Castille et la Couronne d’Aragon.

La Catalogne est l’un des territoires de la Couronne d’Aragon. À la fin du Moyen Âge, celle-ci était constituée d’un ensemble de territoires différents : la Catalogne, mais aussi les royaumes d’Aragon, de Majorque et de Valence, la Sardaigne et la Sicile.

Le pouvoir royal y était moins fort qu’en France ou en Castille. Ces territoires étaient rassemblés sous l’autorité d’un même souverain mais ils disposaient chacun d’une grande autonomie, de leurs propres institutions et de leurs lois.

 

Le roi, « ennemi de la chose publique » ?

 

En 1462, une guerre civile éclate : la Catalogne se soulève contre le roi Jean II (1458-1479), souverain de la Couronne d’Aragon. Pourquoi ? Les revendications ne sont pas du tout les mêmes que les arguments indépendantistes actuels, bien sûr. Elles sont peut-être un peu plus romanesques.

Quand Jean II écarte de la succession et jette en prison son fils, Charles de Viane, accusé de connivence avec le roi de Castille, les institutions catalanes prennent fait et cause pour Charles, très aimé en Catalogne. Ces institutions catalanes, ce sont principalement l’assemblée de la Députation du Général, chargée de décider de l’impôt, et le gouvernement de la ville de Barcelone, la plus grande cité de Catalogne.

Pour prendre la défense du pauvre Charles, les Catalans commencent par envoyer des lettres et des ambassades auprès du roi. Ils le supplient de libérer Charles et menacent de prendre les armes en cas de refus. Jean II, ferme, finit malgré tout par relâcher son fils, mais celui-ci a la mauvaise idée de mourir soudainement d’une « douleur au côté ». Cet événement met le feu aux poudres et Jean II, ni une ni deux, pénètre en Catalogne avec son armée. Or, cette intrusion constitue une violation des prérogatives catalanes, car à l’époque, le roi n’avait pas le droit d’entrer sur le territoire sans l’accord des autorités catalanes. Déclarant alors le souverain « ennemi de la chose publique », la Catalogne se soulève contre lui.

 

Vous pouvez « commencer à courir »

 

Le conflit dure dix ans, de 1462 à 1472. Tout du long, la tension monte, la société catalane est divisée entre royalistes et anti-royalistes, les bannissements pour trahison se multiplient. En 1472, des opposants sont par exemple sommés de quitter Barcelone dans les deux heures sous peine de perdre leur vie et leurs biens, les autorités leur signifiant non sans morgue qu’ils peuvent « déjà commencer à courir ». Pendant ce temps, les Catalans cherchent des appuis étrangers à grand renfort de lettres et de délégations, mais ils se heurtent à une lourde difficulté : Jean II accuse les institutions catalanes de désobéissance et d’être illégitimes. Dès lors, on comprend que pour les potentiels soutiens étrangers, s’allier à la Catalogne devient trop risqué : c’est courir le risque de se brouiller avec le souverain de toute la Couronne d’Aragon… Sans se décourager, les institutions catalanes commencent alors un grand travail de négociations diplomatiques. Pendant ce temps, l’armée de Jean II et celle de la Députation du Général s’affrontent sur le champ de bataille.

Contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer aujourd’hui, la Catalogne du XVe siècle ne voulait pas être indépendante. Pas vraiment. L’idée d’y établir une république est certes sous-entendue au début de l’affaire, mais elle fait long feu. Les Catalans se considèrent en état de légitime défense contre Jean II, fidèles à la Couronne mais pas à ce « tyran cruel » qui a bafoué les droits et les libertés catalanes en voulant imposer des lois empruntées à la Castille, et qui gouverne au détriment de la Catalogne. Bien vite, les Catalans décident plutôt de se trouver un nouveau roi par intérim. Ils se donnent d’abord à Henri IV de Castille, puis à Pierre de Portugal, puis au Français René d’Anjou... Mais rien ne marche. Le soutien militaire ponctuel de ces grands personnages ne change pas la donne. L’armée de Jean II l’emporte. En 1472, Barcelone est assiégée – la Catalogne est vaincue.

La guerre est finie et on aurait pu craindre des représailles, mais, étonnamment, le roi Jean décide d’accorder son pardon aux Catalans et autorise la préservation des privilèges territoriaux et des institutions catalanes. Sans doute, vu l’ampleur de la crise, a-t-il considéré que c’était moins risqué pour lui ? La réponse par la force a bien vaincu les Catalans, mais elle a eu des conséquences lourdes pour la région. Les infrastructures en ressortent endommagées, les échanges commerciaux, affaiblis, la population a diminué, l’appauvrissement et l’endettement ont augmenté.

Jean II meurt finalement quelques années plus tard, en 1479. Son successeur, le roi Ferdinand le Catholique, monte sur le trône et, à travers une active politique de négociation avec les élites locales, il réorganise profondément la société catalane. La situation se stabilise. En épousant Isabelle de Castille, il réalise l’union des Couronnes : on ne parle pas encore d’Espagne, mais la Castille et la Couronne d’Aragon sont désormais gouvernées par un souverain unique.

 

Il faut bien sûr se garder de faire des amalgames entre passé et présent : la spécificité de l’identité régionale en Espagne remonte à loin, mais les fondements idéologiques étaient bien différents. Le Moyen Âge nous apprend peut-être, néanmoins, à questionner le bien-fondé d’une réponse par les armes à un problème politique, quelle que soit l’époque...

 

Pour aller plus loin :

- Denis Menjot, Les Espagnes médiévales : 409-1474, Hachette Supérieur, Paris, août 2013 (réed.).

- Stéphane Péquignot, « ‘La pràticha de aquesta ciutat e principat’. Réflexions sur l’action diplomatique des autorités catalanes à la veille et au début de la guerre civile (1461–1464) », dans Gisela Naegle (dir.), Frieden schaffen und sich verteidigen im Spätmittelalter/Faire la paix et se défendre à la fin du Moyen Âge, München (Oldenbourg), Pariser Historische Studien, vol. 98, 2012, p. 163-188.

- Stéphane Péquignot, « Dans la discorde, avant la "ruine". Barcelone, lieu d'expérimentation politique durant la guerre civile (1462-1472) », dans Emmanuelle Tixier du Mesnil et Gilles Lecuppre (dir.), Désordres créateurs. L'invention politique à la faveur des troubles, Paris, Kimé, 2014, p. 65-105.

- Santiago Sobrequés i Vidal et Jaume Sobrequés i Callicó, La guerra civil catalana del segle XV, Barcelone, Edicions 62, 1973, 2 vol. [en catalan].

 

À lire aussi sur Nonfiction :

- Yoann Solirenne, « L’armement médiéval : l’exemple catalan », compte-rendu de Sylvain Vondra, Le costume militaire médiéval : les chevaliers catalans du XIIIe au début du XVe siècle, 2015.

- David Navaro « ENTRETIEN – « Podemos, pour une autre Europe », avec Christophe Barret ».

- François Belanyi, « En Espagne, une génération en crise ».

 

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