Le 29 septembre 2016, des échanges de tirs avaient lieu à la frontière indo-pakistanaise. A l'ère de la politique post-truth, le Pakistan accuse l'Inde de se livrer à une "fabrication de la vérité" en parlant de frappes chirurgircales pour désigner ces tirs.

 

Une longue guerre de position

Le 1er janvier 1949, l’Inde et le Pakistan conclurent un cessez-le-feu sous l’égide du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Au mois de juillet suivant, cette même instance définit une ligne de cessez-le-feu dont la ligne de contrôle (délimitée au lendemain du conflit de 1971) est - avec quelques variantes - l’héritière. Les deux pays n’évoquent le plus souvent le sort des populations civiles des deux côtés de la ligne séparant l’Azad Jammu and Kashmir (Jammu-et-Cachemire Libre) pakistanais du Jammu-et-Cachemire indien   , que lorsqu’ils s’attachent à prendre à témoin les opinions nationale et internationale de l’agression dont ils s’estiment victimes.

La frontière séparant les deux Cachemire a souvent été le lieu d’une guerre de position dont l’intensité s’est considérablement accrue au lendemain de la Déclaration de Simla du 2 juillet 1972, mais surtout suite aux élections législatives truquées dont le Jammu-et-Cachemire indien fut la scène le 23 mars 1987. A cette date, nombre de jeunes Cachemiris, réclamant l’azaadi (terme ourdou signifiant indépendance ou liberté) optèrent en effet pour la voie armée, trouvant en terre pakistanaise l'entraînement aux techniques de guérilla que Rawalpindi (ancienne capitale du Pakistan et aujourd'hui siège du quartier général de l’Armée) offrait généreusement. Par ailleurs le Pakistan était prodigue en armes à feu et explosifs, tandis qu’il proposait un soutien financier conséquent.

L’intensité des tirs le long de la LoC (Ligne of Control) - si l’on reprend la terminologie en usage dans le sous-continent - permet, aujourd’hui encore, aux soldats pakistanais d’appuyer les militants - que l’Inde nomme aussi terroristes - qui cherchent à s’infiltrer au Jammu-et-Cachemire. Tel est, en tout état de cause, le discours de New Delhi qui blâme l’adversaire pakistanais de ses tirs nourris le long de la LoC. Islamabad (et Rawalpindi) argue également d’une nécessaire légitime défense face aux tirs indiens qui expliquent son recours aux armes à feu.

 

Quelques chiffres

A la fin de l’année 2015, une estimation émanant des services de renseignements indiens a évoqué la présence, au Cachemire, de « 74 militants étrangers », lesquels constituaient 40% de l’effectif total des groupes armés opérant au Jammu et Cachemire   . Près d’une année plus tard, les gouvernements de New Delhi et de Srinagar ont supputé un effectif total de 250 militants présents dans la Vallée du Cachemire, un chiffre qui - si on le comparait à ceux des six années précédentes - témoignait d’une nette augmentation   . On peut, en tout état de cause, gager de l’accroissement - au lendemain de la mort de Burhan Wani, le 8 juillet 2015 et de la répression qui a répondu aux manifestations de deuil spontanées - de la proportion de Cachemiris qui ont pris et prendront les armes (notamment dans le Sud de la Vallée, zone dont Wani était originaire)   .

 

Des populations civiles malmenées

Demeure la problématique des populations civiles des deux côtés de la Ligne de contrôle, le plus souvent des agriculteurs qui ne peuvent renoncer (faute d’autres moyens de subsistance) à leur champ. L’Inde aurait entamé la construction d’un mur (sur le modèle israélien) le long de la ligne de contrôle. C’est, du moins, l’accusation lancée par le Pakistan que New Delhi dément formellement. Islamabad-Rawalpindi (selon l’expression que la presse indienne a récemment choisie) s’appuient sur l’observation de militants qui opèrent dans la région. Ils ont d’ailleurs saisi l’ONU à la fin du mois de septembre 2015 de ce que l’Inde tentait, par la construction d’un mur, de transformer la LoC « en une quasi frontière internationale ».   . Ils tentaient implicitement de rappeler que la communauté internationale s’était détournée d’un conflit pourtant irrésolu. En filigrane, le Pakistan remettait en cause la volonté étatsunienne de considérer, à demi-mot, le tracé de la ligne de contrôle comme définitif. L’Inde, depuis le milieu des années 1950, ne cachait pas sa volonté que cette dernière acquière, un jour, le statut de frontière internationale. Quant aux Etats-Unis, ils s’étaient alarmés, lors du très court conflit indo-pakistanais de Kargil de 1999, de ce que les deux adversaires aient recours à l’arme nucléaire. Ils avaient alors contraint à un retrait peu glorieux le Pakistan qui avait imaginé l’incursion de militants dans la zone indienne de Kargil. Ils avaient appelé les deux pays à respecter le tracé de la ligne de contrôle. L’Inde en avait conclu, selon une interprétation que ses médias retinrent, que Washington plaidait en faveur du caractère sacro-saint de cette frontière.

Deux témoins (de nationalité indienne, puisque l’accès à la LoC est interdit aux étrangers) nous ont décrit la difficile vie quotidienne des populations installées le long de cette ligne. Ainsi nombre de paysans traversent-ils quotidiennement ce qui constitue un sas séparant le territoire sous administration indienne de la zone menant à la ligne de contrôle. Ils se soumettent alors à de stricts contrôles avant d’accéder à leur lopin de terre. C’est là une démarche périlleuse, car ils sont l’objet d’une constante suspicion : les groupes armés - souvent dotés de moyens financiers non négligeables - sont à la recherche de guides familiers d’un terrain accidenté ; ils n’hésitent pas non plus à user de la force. Au demeurant, l’on déplore le cas de paysans qui, cherchant à ramener un animal égaré, traversent par inadvertance une frontière indo-pakistanaise et une ligne de contrôle qui, sur le terrain, continuent d’être mal délimitées. Surpris en flagrant délit, ils risquent la prison et l’inculpation d’espionnage, alors que la lenteur du système judiciaire présage d’une longue incarcération.

Les presses pakistanaise et indienne reflètent le nationalisme sourcilleux de leurs dirigeants. A chaque crise, elles se contentent de souligner la décision gouvernementale d’évacuer les zones sensibles le long de la LoC et de la longue frontière indo-pakistanaise, soit au total 3323 kilomètres. Les journalistes indiquent succinctement que les déplacés ont été pris en charge, le gîte et le couvert leur étant fournis. En réalité, les populations forcées à un exil temporaire s’entassent le plus souvent dans des camps de fortune, mais aussi dans des écoles gouvernementales qui, en conséquence, n’accueillent plus leurs élèves. Ces lieux ne sont guère dotés de systèmes sanitaires nécessaires... L’élite indo-pakistanaise ne s’interroge pas non plus sur des terres agricoles laissées à l’abandon et sur le sort d'animaux d’élevage qui requièrent des soins réguliers. Les gouvernements des deux pays se bornent à distribuer aux IDPs (Internally Displaced Persons, les déplacés de l’intérieur si l’on veut tenter une traduction) une maigre aide alimentaire, leur intimant l’ordre de rentrer chez eux une fois le risque de conflit écarté.

Les Pendjabis indiens de la très stratégique zone d’Attari (laquelle est située à 3 km de la frontière indo-pakistanaise de Wagah) ont, quant à eux, regretté l’absence de soutien étatique au lendemain de la décision d’évacuation. Les deux tiers des 3000 habitants de Daoke - village situé à quelques mètres de la frontière - ont obéi. Mais aucune structure d’accueil n’avait, semble-t-il, été prévue, d’où la nécessité pour les déplacés de demander, s’ils le pouvaient, asile à des membres de leur famille installés ailleurs   . Encore ont-ils dû faire face seuls à la question du transport, question d’autant plus délicate lorsqu’il leur fallait parcourir une grande distance. Outre les dépenses induites, des villages tel Daoke ne sont pas desservis par les transports publics, manquant d’ailleurs d’infrastructures routières correctes.

Au demeurant, les hommes ont fréquemment choisi de demeurer sur leur terre, aidant à l’organisation du départ des femmes et des enfants. Ils s’inquiétaient de l’arrivée de bandes de brigands « si la police et des représentants gouvernementaux » ne supervisaient pas « les efforts d’évacuation »   . « L’administration », quant à elle, a argué de la nécessité de disposer de temps « avant d’informer les villageois » quant aux « abris » qui leur étaient alloués. Ceux-ci, au demeurant, ne seraient « opérationnels qu’à partir du vendredi » suivant, soit le 7 octobre ; il s’agissait là d’une bien longue période d’attente.

 

Du succès de la diplomatie indienne

New Delhi, peu soucieux du sort de la population civile indienne le long de la frontière - Islamabad-Rawalpindi montrent un désintérêt similaire - a vanté « l’encerclement du Pakistan » auquel sa diplomatie s’était attachée   . Il a ainsi laissé entendre que ses prises de position sur les scènes internationale et régionale avaient préparé l’opération qu’il envisageait. L’Afghanistan a salué la décision « d’autodéfense » indienne   . Significativement, la République Populaire de Chine, qualifiée dans le sous-continent d’« allié indéfectible » (si l’on cherche à traduire l’expression d’all-weather ally que la presse indienne affectionne) du Pakistan, a montré une grande retenue   . Il est vrai qu'Islamabad et Rawalpindi ont, comme nous l’évoquerons plus loin, nié que de telles frappes aient eu lieu. En outre, New Delhi et Pékin s’attachaient à l’amélioration de relations délicates. Le 28 septembre, ils s’étaient réunis dans la capitale chinoise afin d’évoquer la lutte contre le terrorisme ainsi que la problématique de la sécurité. Outre le contexte régional troublé puisque New Delhi n’avait pas exclu des frappes punitives qui frapperait l’Azad Jammu and Kashmir, s’ajoutait un lourd antagonisme notamment frontalier sino-indien.

Les Etats-Unis auraient, pour leur part, cherché à persuader l’Inde de s’en tenir à la voie diplomatique. En vain. Peu avant le retour à New Delhi de la ministre des affaires étrangères, Sushma Swaraj, qui avait assisté à l’Assemblée Générale de l’ONU à New York, « des représentants indiens et américains avaient tenté un appel téléphonique » autorisant Swaraj à s’entretenir avec le Secrétaire d’Etat John Kerry. Cependant, la ligne était mauvaise   . Les deux parties auraient renoncé à un échange de vues. Explication bien étrange pour des leaders aux multiples moyens qui, tous deux, se trouvaient sur le territoire étatsunien. Swaraj et Kerry seraient finalement parvenus à se joindre le 25 septembre   . Le Secrétaire d’Etat avait alors condamné l’attentat du 18 septembre (à Uri), tentant néanmoins de dissuader le gouvernement Modi d’envisager « l’escalade »   . Ce dernier n’aurait pas informé Washington des frappes qu’il envisageait. En témoignerait la visite qu’effectuait, aux Etats-Unis, Richard Verma, ambassadeur américain en poste en Inde. La Maison Blanche, d’après le journaliste indien Yashwant Raj, aurait sans nul doute renvoyé Verma à New Delhi si elle avait eu vent de l’imminence d’une opération militaire   .

Serait-ce plutôt que l’Inde a refusé la modération à laquelle a appelé la Maison Blanche, qui a ensuite plaidé l’ignorance ? Certes, Kerry n’était guère favorable aux positions traditionnelles que New Delhi défendait. Toutefois, Washington pouvait-il s’opposer publiquement à un allié utile, lequel ne cachait pas sa volonté de rejoindre (d’une manière incontestable) le club des puissances mondiales ?

 

Frappes chirurgicales nationalistes indiennes et réaction pakistanaise

Réaction intéressante suite aux frappes chirurgicale : celle du Cachemiri Mustafa Kamal, qui est un membre prééminent de la Conférence Nationale, dont son père, le Sheikh   Mohammed Abdullah fut (en 1932) l’un des fondateurs dans la Vallée. Kamal a estimé que l’opération du 29 septembre 2016, qui a visé des cibles en Azad Jammu and Kashmir allait à l’encontre de la souveraineté pakistanaise sur cette zone   . Ce n’était pas l’Inde qui était la victime du terrorisme, mais le Cachemire ; Kamal tentait ainsi de rappeler le coût humain que la Vallée avait consenti depuis la fin des années 1980. Néanmoins, sa lecture s’opposait à une autre, plus nationaliste. Celle-ci insistait sur un fait important : le statut autonome dont l’Azad Jammu and Kashmir se targuait. Cet Etat, conformément aux vœux pakistanais, entendait démonter qu’il n’avait pas renoncé à la réunification de l’ancien Etat princier   . Au demeurant, le Maharajah de la principauté avait signé un traité d’adhésion à l’Inde vers la fin d’octobre 1947, laquelle se considérait toujours comme détentrice de la souveraineté sur l’ensemble des territoires de l’ancien Etat princier. Tout au moins New Delhi le rappelait-il à chaque fois qu’il l’estimait utile.

Suite aux frappes chirurgicales, le Lieutenant-Général Ranbir Singh, Directeur Général des Opérations Militaires - Director General of Military Operations (DGMO) - a annoncé que l’Armée indienne avait bombardé « sept rampes de lancement »   qui appuyaient le phénomène « terroriste » au Jammu-et-Cachemire   . Il s’agissait là, a-t-il ajouté, d’une réponse aux tentatives d’infiltrations, au début de ce même mois, de « terroristes » dans les zones d’Uri et de Poonch. New Delhi entendait contrecarrer les « desseins » de destruction « des terroristes » et protéger « les vies des citoyens de la nation »   .

Le Pakistan a-t-il adopté une attitude responsable qui empêcherait une escalade que l’Inde craignait ? Le gouvernement Modi a certes indiqué que les frappes avaient un caractère ponctuel, mais il n’en a pas moins ordonné - au préalable - l’évacuation de ses populations le long de la frontière. Sans doute Islamabad et Rawalpindi ont-ils répondu, si l’on en croit la presse indienne, à la pression étatsunienne qui n’aurait pu, cette fois, s’exercer sur New Delhi. En tout état de cause, Rawalpindi a déploré la mort d’au moins deux soldats pakistanais le long de la Ligne de Contrôle suite à des longs échanges de tirs qui ont débuté, tôt au matin du 29 septembre, à 2.30 et s’étaient interrompus quelques heures plus tard (à 8h ce même matin)   dans les zones de Bhimber, de Hotspring, de Kel et de Lipa en Azad Jammu and Kashmir   . L’Inter-Services Public Relations (ISPR), organisme de l’Armée pakistanaise qui est notamment chargé d’en diffuser les communiqués de presse, a récusé l’idée de frappes chirurgicales. Il a salué le courage des soldats pakistanais qui avaient répondu à des tirs indiens qu’ils n’avaient pas provoqués. Impair ? Un officier pakistanais, posté dans la zone de Chhamb, non loin de la LoC, aurait déclaré aux médias de son pays que l’attaque indienne avait été repoussée avec brio   .

New Delhi a souligné que ses forces armées s’étaient contentées d’objectifs proches, opérant en Azad Jammu and Kashmir, s’en tenant à une zone deux ou trois kilomètres au-delà de la ligne de contrôle. Tout au moins est-ce la version communément adoptée en Inde ; quelques voix isolées ont évoqué une opération militaire qui s’était déroulée dans un périmètre situé à 200 m de la frontière. Quatre « rampes de lancements » étaient, d’ailleurs, installées à 700 m de la frontière (sur le territoire de l’Azad Kashmir) et appartenaient - selon la presse indienne - au Laskhar-e-Toiba   (l’Armée des Purs) : dix membres au moins de ce groupe avait trouvé la mort. En outre, aucune structure militaire pakistanaise n’a été visée. Geste diplomatique d’apaisement ? New Delhi feignait de reprendre la distinction que faisait son voisin, lequel estimait que la militance était un phénomène cachemiri sur lequel il n’avait aucune prise.

Rawalpindi a rétorqué, avec emphase, que la volonté indienne de « transformer », par « un battage médiatique », « des tirs transfrontaliers [le long de la LoC] en frappe chirurgicale » constituait en fait une « fabrication de la vérité »   . Il a précisé qu’il aurait immédiatement répliqué si « le sol pakistanais » avait été attaqué. Nafees Zakaria, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a blâmé « les propos » du gouvernement Modi qu’il estimait « falsifiés, inventés et irresponsables » ; l’Inde cherchait à induire « son propre peuple et la communauté internationale » en erreur   . Elle s’attachait, au demeurant, à détourner l’attention des exactions auxquelles ses forces de sécurité se livraient dans la Vallée du Cachemire. Le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, rappelait également que son pays souhaitait la paix dans l’environnement régional qui était le sien.

 

De la problématique d’une manipulation médiatique

La célébration nationaliste indienne a été, brièvement, remplacée par un questionnement. L’opposition au gouvernement Modi a demandé, au Lok Sabha (la Chambre du Peuple), des preuves, refusant l’explication officielle selon laquelle les détails de l’action militaire constituaient un secret d’Etat. Le Congrès a rappelé que le gouvernement de Manmohan Singh, Premier ministre qui dirigea une coalition gouvernementale à dominance congressiste du 22 mai 2004 au 26 mai 2014, eut également recours à une telle stratégie au lendemain des attentats de Mumbai (26-29 novembre 2008). Encore s’était-il abstenu de publicité afin de ne pas contraindre le Pakistan à la réplique, et éviter un nouveau conflit indo-pakistanais. La presse, jusque-là cantonnée à une forme d’apologie de la bravoure dont le Centre (New Delhi) et l’Armée avaient fait preuve, a souligné que le pays avait eu recours, à de multiples reprises, à des frappes punitives de l’autre côté de la LoC.

Reste la question de ce que le gouvernement Modi entend par frappes chirurgicales. L’Inde n’a pas aéroporté de troupes au sol. Au demeurant, elle ne pouvait envisager l’usage d’hélicoptères à très haute altitude Que s’est-il donc passé dans la nuit du 28 au 29 septembre ? Le correspondant au Pakistan de la BBC, Ilyas Khan, s’est rendu en Azad Jammu and Kashmir vers la fin du mois d’octobre 2016   . L’accès à cette région est soumis à l’obtention d’une autorisation qui a le nom - difficilement traduisible en français - de Non-Objection Certificate. Le journaliste n’a sans doute pu se rendre immédiatement en Azad Kashmir. Khan a ainsi pu s’entretenir avec des villageois habitués à ce que la LoC soit le lieu constant d’échanges de feu ; les tirs indiens, le 29 septembre au matin, s’étaient intensifiés. Cependant les troupes pakistanaises n’avaient pas escompté une série d’incursions indiennes en leur territoire.

Examinant les thèses en présence, le correspondant de la BBC en a conclu que les forces indiennes avaient traversé la ligne de contrôle, s’aventurant à une distance allant jusqu’à un kilomètre à l’intérieur du territoire pakistanais et frappant « des postes frontaliers pakistanais »   . Mais Ilyas Khan n’est pas parvenu à établir une liste exhaustive des opérations indiennes du 29 septembre 2016. En privé, des officiers de police pakistanais ont admis par exemple qu’une opération terrestre avait eu lieu dans la région de Madarpur-Titrinot dans le secteur de Poonch, à l’Ouest de Srinagar. Autres zones touchées : non loin de Muzaffarabad, capitale de l’Azad Jammu and Kashmir, la Vallée de Leepa (tout près du village de Mundakali) et la régon de Dudhnial dans la Vallée du Neelum. Toutefois Khan n’a pas obtenu la confirmation de destructions des « structures en bois »   abritant des militants (ce que l’Inde nommait camps d’entraînement). New Delhi se targuait tout particulièrement de la destruction de camps du Lashkar-e-Toiba qu’accueillaient les villages de Khairati Bagh (vallée du Leepa) et de Dudhnial (vallée du Neelum). Des villageois de Dudhnial qui, suite aux frappes indiennes, ont ravitaillé en munitions des avant-postes pakistanais, avaient effectivement constaté qu’une ou deux « structures en bois » étaient endommagées. Celles-ci avaient peut-être été la cible de l’opération du 29 septembre.

Les gouvernements pakistanais et indien ont, jusqu’à ce jour, conservé la position qu’ils ont adoptée à la fin du mois de septembre 2016. Quant aux politologues, ils sont face à la problématique de l’interprétation de l’action indienne et de sa possible manipulation médiatique. Serait-ce cependant que Narendra Modi, s’inquiète de la décroissance de sa popularité alors qu’il n’est pas parvenu, comme nous l’avons auparavant noté, à répondre aux promesses de dividendes économiques qui avaient permis son élection ? Accédant à la fonction de Premier ministre, il s’était, il est vrai, engagé à défendre l’honneur national, et se devait d’en donner des preuves, tout au moins à des partisans crédules.

L’Inde a, en tout état de cause, mis un terme ou du moins suspendu ce qu’elle nomme la doctrine de la « contrainte stratégique » qui exigeait qu’elle n’envisage pas de répliques armées (à tout le moins, publiques) aux attentats que les militants pro-pakistanais fomentaient au Jammu-et-Cachemire. Quant à la modération pakistanaise, elle s’explique peut-être aussi par la crainte que Modi inspire, en particulier parce que le nom de ce dirigeant est associé aux pogroms antimusulmans dont le Gujarat fut la triste scène en 2002   .

 

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