Ce troisième volet de la série « Inde-Pakistan : l'inquiétant regain des tensions » analyse la divergence des positions pakistanaise et indienne sur la question du Cachemire.
Au lendemain des discours devant l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies des Premiers ministres pakistanais (Nawaz Sharif) et indien (Narendra Modi) les 21 et 23 septembre 2016, New Delhi s’est flatté de l’audience dont Modi jouit sur la scène internationale. Il a souligné que les puissances mondiales n’avaient guère tenté d’apporter de réponse à la problématique du Cachemire que Nawaz Sharif avait soulevée dans son discours du 21 septembre. L'écrivain et diplomate Vikas Swarup, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a déclaré :
« Deux jours se sont écoulés depuis le début de la session de l’Assemblée Générale. Cinquante pays ont parlé… Mais aucun d’entre eux n’a fait référence à la question à laquelle le Premier ministre Nawaz Sharif a consacrée 80 % de son discours. Bien au contraire, chaque délégation s’est attachée à décrire le terrorisme comme la principale menace à la paix et à la sécurité internationale »((Kallol Bhattacherjee, India Claims Diplomatic Win Over Pakistan at U.N., The Hindu, 23 septembre 2016, Chennai, www.thehindu.com/todays-paper/india-claims-diplomatic-win-over-pakistan-at-un/article9138145.ece)).
L’appel du Premier ministre à la communauté internationale
Nawaz Sharif, dans un discours de vingt minutes, avait déclaré que son pays souhaitait entretenir des relations apaisées avec son voisin. Cependant l’Inde et le Pakistan se devaient d’abord « de résoudre la question du Cachemire »((Nawaz at UNGA: Pakistan Wants Peace with India, Urges RHYPERLINK "http://www.dawn.com/news/1285192/nawaz-at-unga-pakistan-wants-peace-with-india-urges-resolution-of-kashmir-issue"esolution of Kashmir issue, The Dawn, 23 septembre 2016, Karachi, www.dawn.com/news/1285192)). Sharif avait ajouté qu’une « nouvelle génération de Cachemiris » avait entamé « une lutte pour la liberté à l’encontre de l’Inde » . Il avait déclaré :
« Burhan Wani, le jeune leader assassiné par les forces de sécurité indiennes, est désormais le symbole de la plus récente intifada cachemirie ; il s’agit là d’un mouvement populaire pacifique mené par les Cachemiris, jeunes et âgés, hommes et femmes, armés de leur foi éternelle en la légitimité de leur cause : la liberté » .
Le Premier ministre avait enfoncé le clou, soulignant que « Les forces d’occupation indiennes composées d’un demi-million de soldats avaient, comme à l’accoutumée, répondu à ce mouvement incontestablement cachemiri par une répression brutale » .
Sharif, soulignant que son pays soutenait le droit à l’autodétermination du Jammu-et-Cachemire , en avait vainement appelé à la communauté internationale. Il avait feint de chercher à obtenir de l’ONU qu’elle entame des consultations avec l’Inde et le Pakistan mais aussi « les véritables représentants du peuple cachemiri » Le Pakistan, en tout état de cause, tentait une nouvelle fois d’exiger l’application de résolutions que le Conseil de Sécurité avait adoptées à la fin des années 1940 .
Islamabad (et Rawalpindi, quartier général d’une armée omniprésente) ne prête aucune légitimité au gouvernement élu du Jammu-et-Cachemire. Il est vrai que la population de la Vallée du Cachemire, épuisée par un long combat, a pris coutume de tenir deux fers au feu : elle ne refuse plus de se rendre aux urnes, votant pour des partis politiques qui évoluent sur la scène légale. Elle continue (faute de choix) d’espérer en l’All-Party Hurriyat Conference (APHC, Conférence des Partis pour la Liberté), organisation-parapluie qui regroupe diverses formations politico-militantes. La réputation de nombre de leaders appartenant à cette organisation est bien entachée. Néanmoins, ceux-ci demeurent fidèles à l’idée d’un plébiscite , conformément aux résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité. L’Inde, pour sa part, récuse une telle lecture de textes dont la teneur n’a, selon elle, plus lieu d’être depuis la Déclaration de Simla du 2 juillet 1972. De plus, elle estime que des élections démocratiques régulières constituent un mode d’expression suffisant ; elle refuse l’argument avancé par nombre de Cachemiris, selon lequel les consultations électorales ont souvent fait l’objet de grandes irrégularités. Demeure une problématique que les deux adversaires ne sont pas parvenus à résoudre, alors qu’ils revendiquent chacun le Jammu-et-Cachemire : le sentiment indépendantiste qui nourrit l’imagination de la Vallée du Cachemire.
Le Pakistan, première victime du terrorisme
Nawaz Sharif n’ignorait pas le refus des puissances mondiales, suite à la guerre indo-pakistanaise de 1971, d’intervenir. Les blocs occidental et soviétique s’étaient depuis lors contentés de souligner que le conflit du Cachemire, conformément à la Déclaration de Simla, relevait d’un règlement bilatéral. Tel n’était pas la lecture du Pakistan ; celui-ci avait dû, pour la première fois (en 1972), faire face à l’Inde seul, alors qu’autant l’Organisation des Nations Unies, Washington et Londres que Moscou avait refusé leur médiation. Vaincu, il avait été contraint de signer un accord de paix (la Déclaration ou l’Accord de Simla) qui entérinait également la naissance du Bangladesh dans ce qui constituait jusqu’en décembre 1971 la partie orientale de son territoire. Il n’en avait pas moins continué à estimer que seul un plébiscite et donc l’application des résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité autoriserait un règlement honorable de la problématique du Jammu-et-Cachemire.
L’Inde, quant à elle, avait imaginé à Simla le moyen d’en finir avec l’épineuse question du plébiscite. Depuis la fin des années 1980, elle s’estimait victime, au Jammu-et-Cachemire, d’un phénomène qu’elle qualifiait de deux manières. Elle dénonçait une guerre par procuration pakistanaise ; Islamabad et surtout Rawalpindi n’étaient pas parvenus à emporter la victoire sur leur voisin militairement ; ils avaient imaginé un conflit de basse intensité dont la durée contraindrait l’Inde à mobiliser de grandes ressources. Autre volet de l’argumentaire indien : le terrorisme dont l’Etat pakistanais était responsable, ce qui en faisait un Etat-voyou.
Longtemps, le Pakistan se contenta de nier de telles accusations. Il semble aujourd’hui avoir défini une meilleure parade dont nul n’est toutefois la dupe . Sharif, dans le discours qu’il a prononcé au mois de septembre dernier devant l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, a ainsi souligné que « le Pakistan [était] la principale victime d’un terrorisme parrainé de l’étranger », des milliers de personnes issues de la population civile et de membres des forces de sécurité ayant perdu la vie . Le Premier ministre faisait référence à l’intrusion de la guerre contre la terreur étatsunienne en Afghanistan suite à l’Opération Liberté Immuable (Enduring Freedom) aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001. Il soulignait à demi-mot que le Pakistan, contraint de se joindre au camp états-unien, avait payé un lourd tribut. Il s’abstenait (de toute évidence) d’évoquer la politique de deux fers au feu du Pakistan. Celui-ci, tout en feignant de soutenir l’effort de l’OTAN, avait offert asile à ses alliés talibans qui, espérait-il, parviendraient un jour à regagner le pouvoir.
En tout état de cause, Sharif s’exprimant devant l’Assemblée Générale de l’ONU a ajouté :
« Le terrorisme est un phénomène mondial qui doit être appréhendé de manière globale, dans toutes ses formes ; il ne s’agit pas d’omettre la problématique du terrorisme d’Etat ».
Et Nawaz Sharif de vanter les résultats incontestables d’une des récentes opérations armées pakistanaise – l’Opération Zarb i Azb (l’Epée du Prophète Saint) , et les efforts de son pays de venir à bout du terrorisme qui sévissait sur le territoire national. Dans une allusion à peine voilée à l’Inde et à l’Afghanistan, Nawaz Sharif a dénoncé le terrorisme « financé par l’extérieur » qui constituait une menace à la stabilité du Pakistan.
C’était là une remarque qui ne pouvait que susciter l’ire du voisin afghan qui fait le triste bilan du rôle qu’a joué le Pakistan de l’intervention soviétique (25 décembre 1979) à nos jours. Quant à l’Inde, elle s’indignait de la bonne-conscience que le Pakistan affichait, alors que son territoire avait fait l’objet d’attentats spectaculaires. Les événements de Mumbai (26-29 novembre 2008) étaient encore dans les mémoires. La population indienne s'était certes accoutumée à ce que les médias évoquent les attentats qui continuent de rythmer le Jammu-et-Cachemire. Elle s’insurgeait cependant que le reste du territoire national fût l’objet d’attaques qui semblaient à tout le moins d’inspiration pakistanaise, tandis que ses gouvernants paraissaient s’abstenir de toute réplique, se conformant aux vœux d’une communauté internationale inquiète d’une escalade entre deux adversaires détenteurs de l’arme nucléaire. Cependant, le Premier ministre Modi oserait le recours à des frappes dites chirurgicales en Azad Kashmir, et - contrairement à ses prédécesseurs - s’en vanterait, plaçant le Pakistan dans une situation bien délicate.
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