Cette semaine, Maryse Emel s’entretient avec Peggy Sastre, auteur de La domination masculine n’existe pas, et selon laquelle tous les féminismes ne se ressemblent pas.

Chaque semaine dans « Nation ? (chronique) », Maryse Emel présente des essais ou des œuvres, des intellectuels ou des artistes qui nous permettent de repenser nos manières de vivre ensemble au XXIe siècle.

Le titre du dernier livre de Peggy Sastre La domination masculine n’existe pas est un peu provocateur. Son style d’écriture aussi d’ailleurs. Elle refuse le ton protocolaire et académique. « Je veux surtout être comprise et m’adresser au plus de monde possible, pas forcément qu’aux femmes et féministes. Cette opposition hommes-femmes est stérile. Je suis dans la filiation d’Elisabeth  Badinter. Un féminisme rationnel et factuel. Je pense par exemple à son livre, XY, où elle prend appui sur des hypothèses scientifiques ou à Fausse Route, où elle écrivait : 

« Au bout du compte, on peut se demander si la notion simplificatrice et unificatrice de “domination masculine” n’est pas un concept obstacle. Autre nom d’une altérité radicale, il servirait à éviter de penser la complexité, l’historicité et l’évolution du rapport des sexes. Ce concept “attrape-tout”, en enfermant hommes et femmes dans deux camps opposés, ferme la porte à tout espoir de comprendre leur influence réciproque et de mesurer leur commune appartenance à l’humanité. »

Je me suis rappelée ce passage après la publication de mon livre, mais je peux à peu près parfaitement le faire mien. Le mouvement féministe militant type “Chiennes de garde” est trop dans la doctrine, le slogan, la réactivité et pas assez en prise avec une réalité féminine forcément diverse. Aujourd'hui, en France, les femmes ont obtenu leurs droits fondamentaux, on peut donc envisager d'autres outils que la militance pour avancer. Pour en revenir à ma démarche qui s’éloigne du ton universitaire, elle se justifie non par un rejet de la science, bien au contraire, mais je reproche aux chercheurs un ton trop élitiste, un trop grand entre-soi. Il faudrait qu’ils interviennent plus auprès de l’opinion. Ceci explique mes propos parfois peu révérencieux, mais c’est un choix. Il faut faire circuler les idées. »

 

 

Une démarche scientifique

La formation de Peggy Sastre est scientifique et philosophique. Elle a longtemps travaillé sur le rapport entre Nietzsche et Darwin. Elle est aujourd’hui journaliste et mène un combat pour diversifier le féminisme. Ce n’est pas son premier livre. « J’ai été élevée dans l'égalité entre hommes et femmes. Il n’y avait aucune discrimination entre les enfants. Nos parents avaient établi un système de répartition des tâches équitable entre eux. Si j’ai choisi d’écrire sur la question du féminisme, c’est parce que je suis lasse des discours vides et, de fait, contre-productifs. “Evo-féminisme”, c’est ainsi que je nomme mon féminisme qui tient compte des théories darwiniennes de l’évolution et qui fait passer la réalité, forcément mouvante, avant n'importe quelle doctrine. » 

« Les individus ne contrôlent pas tout. Il y a des lois, des processus de “sélection” qui expliquent certains comportements. Cela devrait permettre de comprendre qu’il y a des différences entre les hommes et les femmes. Les féministes ont bien trop souvent tendance à confondre l’identité et l’égalité, différences et injustices. La force masculine pousse les hommes à des activités belliqueuses mais aussi à protéger leur groupe. Cela ne veut pas dire que c’est une loi indépassable. Mais à environnement difficile, correspondra une adaptation masculine. La morale n’a pas sa place dans les théories évolutionnaires : elles décrivent et expliquent ce qui est, mais ne disent rien sur ce qui doit être. Il ne faut pas tout confondre. Si je m’appuie sur Darwin c’est pour d’une part fonder scientifiquement mes propos, et sortir de l’impasse trop métaphysiquement agressive du féminisme militant. »

 

Pour un féminisme non militant

« Ce que je pense c’est que le dogmatisme ne mène à rien. La méthode des “Chiennes de garde” ne me convient pas. Florence Montreynaud dont je lis le dernier livre n’argumente pas rigoureusement à mon sens. Elle s’appuie sur des affirmations péremptoires, des slogans et est souvent contradictoire : comment peut-on défendre les droits des femmes en refusant, exemple éloquent, que les personnes prostituées ne soient plus soumises à un système législatif d'exception et obtiennent les mêmes droits que tous les travailleurs ? Qui plus est, l'ensemble est trop binaire. Il ne s’agit pas d’opposer les hommes et les femmes. La situation masculine n’est pas aussi agréable qu’on pourrait le croire. Il y a certes quelques hommes qui ont de hauts salaires, par rapport aux femmes, mais il y a aussi plus d’hommes que de femmes qui souffrent de la misère. Les SDF, les chômeurs, les détenus sont plus nombreux à être des hommes que des femmes.

Bien sûr, je m’inscris dans une démarche scientifique. Ce que j’écris provient d’une méthode factuelle et expérimentale. Je fais référence à des travaux récents, des recherches qui font aujourd'hui consensus auprès des spécialistes. Je ne veux pas faire dans l’idéologique, même si les résultats sur lesquels je tombe contrarient parfois mes convictions. Cessons de croire à une conspiration pénienne : les hommes ne sont pas arrivés avec leurs bateaux sur le continent des femmes en leur disant “maintenant, on vous oppresse”. Tout le monde était là, dès le départ, et ce que l'on nomme la domination masculine n'est qu'un point de vue sur une histoire où le gros des conflits entre hommes et femmes a comme moteur et motif le sexe, et où le gros des luttes de pouvoir tourne autour de la sexualité et de la maîtrise du marché sexuel. »

 

L’exemple du harcèlement sexuel

« Prenons l'exemple du harcèlement sexuel. La loi à ce propos est récente. Elle se heurte néanmoins à la délimitation du champ de son application. Si on s’appuie sur les théories de l’évolution, on retiendra que les hommes réagissent à des signaux émis par les femmes, qui n’en ont pas toujours conscience. C’est au besoin de copuler qu’obéit le harceleur, avant la quête de pouvoir. Les hommes et les femmes n’ont pas, en tendance, les mêmes intérêts sexuels. Pour résumer les choses, l’homme est en quête de quantité là où la femme recherche qualité et durabilité. À partir de là le harcèlement est plus une stratégie parmi d'autres qu’une fin en soi. Il faut comprendre que l’essentiel des relations hommes-femmes est tributaire de ce rapport à la sexualité. Les femmes peuvent ainsi aussi recourir à la technique du harcèlement, mais selon d'autres modalités. Les hommes et les femmes voient le monde à travers des lunettes sexuelles, mais à divers degrés de correction. Là encore il ne faut pas mêler la morale ou même ce qui nous semble aujourd'hui acceptable et légitime et les théories de l’évolution. »

 

La domination masculine n’existe pas

« À mon sens, affirmer que la domination masculine n’existe pas, c’est donc, et le titre de mon livre l’exprime peu clairement, affirmer qu’il faut accepter le point de départ posé par la théorie darwinienne, pour ensuite la rectifier par des lois et des droits. Bien sûr qu’il y a des inégalités ! Je ne le nie pas. Mais il faut en comprendre les raisons, les origines, pour agir sur elles. Si on fait un mauvais diagnostic d'une maladie, il sera impossible de bien la soigner. Tout organisme vivant évolue en fonction de son environnement, donc en agissant sur cet environnement, on peut envisager une modification des organismes. Plus l'environnement sera rude, et la survie précaire plus les individus développeront des stratégies que l'on estime aujourd'hui traditionnelles, voire réactionnaires. Le darwinisme laisse finalement une place à la liberté et au choix, puisque fondamentalement, il nous apprend que ce qui est aurait pu être autrement, que la vie n'est qu'un mélange de hasard et de nécessité. »

 

Sortir de la morale et de la pudibonderie.

« Le paradoxe du féminisme militant, c'est de confondre cas et généralité, vu que tout est analysé par un prisme moral. J’ai retenu de mes lectures de Nietzsche une sorte de pessimisme distancié, son “pathos de la distance”, et une méfiance certaine face à l'esprit de sérieux. Certes, rien n’est donné ou acquis facilement, mais cela n’empêche pas une certaine ironie critique.

Ironiser c’est se poser des questions. C’est cette ironie, ce retrait qui manque à ces féministes à la vision aussi dogmatique que réductrice, si ce n'est borgne. »

Pour conclure laissons la parole à Nietzsche : « Je crois que Socrate était profond. Son ironie correspondait à la nécessité où il était de se donner un air superficiel pour rester en relation avec les hommes »

 

 

Peggy Sastre, La domination masculine n’existe pas

Ed. Anne Carrières, 2015, 18 euros

 

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