Cette troisième chronique "arts et sciences" souhaite approfondir une dernière fois la question posée par un ancien volume des Colloques de Cerisy-la-Salle, publié à nouveau par les Editions Hermann (2012), sous le titre originel de Art et Science : de la créativité. C'est sur une communication d'Albert Flocon que nous nous arrêtons cette fois.

Si ce nom ne dit rien aux générations présentes, il suffit de rappeler qu'il fut professeur à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, que ses dessins ont été commentés par Gaston Bachelard, et qu'il a joué un rôle dans la perspective qui est nôtre des rapports entre arts et sciences.

Son propos porte sur "création-récréation", ce qui ne dit pas encore tout, puisque, comme le lui fait remarquer un intervenant, on pourrait parler aussi de recréation plutôt que de récréation. Du moins, cela ouvre-t-il encore plus de portes à la réflexion. Flocon rappelle qu'il est à la fois impliqué dans les arts plastiques, c'est-à-dire dans la créativité même, et "sensible" à la rationalité. Comme si la dualité sensible-raison commençait, c'est heureux, à poser des problèmes. Pour autant, il peut s'appuyer sur son métier, puisque, précise-t-il plus loin, il touche dans son enseignement aux géométries, à différentes méthodes de saisir le réel à travers une démarche rationnelle. Il a donc quelque expérience dans ces domaines.

Le problème qui intéresse les intervenants du jour de la communication de Flocon est de savoir comment trouver un commun dénominateur entre la créativité dans les différentes branches (du savoir et des activités humaines), de savoir aussi comment la définir, et comment la favoriser. Et Flocon d'être prudent sur ce point, puisqu'il reconnaît que le problème est récent/nouveau, même si, à d'autres époques, diverses questions de ce type se sont posées.

Après avoir brodé sur le terme de "création" (comme les autres intervenants, cf. notre chronique I, de cette suite), et avoir donné sens au couple création-récréation, il se penche sur la théorie de Freud, afin de donner corps à son propos. En tout cas, ce qui l'intéresse en elle, est le sort fait à l'imagination, dont il saisit la théorie dans la question du jeu de mots et de ses rapports avec l'inconscient. Il n'est guère nécessaire de se demander pourquoi Flocon opère cet apparent détour. En vérité, il a une stratégie en tête : celle de profiter de cette notion d'imagination pour trouver une voie d'intersection entre arts et sciences.

Cette voie d'ailleurs, il la concrétise, dans la deuxième partie de son exposé, par le recours à la notion de "jeu" et à la mise au jour de techniques susceptibles d'éveiller chez les étudiants une pulsion de jeu, "qui pourrait amener tout un chacun à être un inventeur, un créateur, en tout cas quelqu'un qui sache mieux régler l'emploi de son capital d'énergie à la fois psychique et physique que ne l'autorise le système social représenté dans la Psyché par le surmoi".

Ce qui est ici essentiel est à la fois cette thématique, dont on sait qu'elle a du poids de nouveau de nos jours, et la manière dont Flocon l'articule, à l'époque, à son expérience du Bauhaus. Ainsi insistant sur la pédagogie découverte dans cette institution, Flocon affirme : "Pour l'instant, on a, je crois, toujours l'avantage devant l'éducation classique de l'artiste d'offrir aux jeunes qui viennent quelque chose qui est peut-être plus palpitant pour eux que de sécher devant d'immenses collections de moulages et de plâtres". Pour partie, cette phrase ne s'entend que si on rappelle la date de réalisation de ce colloque et de la première publication de ses Actes : 1970.

Ainsi entre Arts et Sciences, il y aurait un point commun : l'éveil de la créativité. Et Flocon de souligner un mot de Moholy-Nagy : "tout être humain est doué". Et l'artiste d'approfondir son propos : nous sommes tous doués pour inventer et au lieu d'en faire une exception, cela pourrait être la règle. En quoi, Jean Ricardou lui réplique : si tout le monde est doué, le problème théologique du "don" est éliminé.

En un mot, cette discussion, et sa conférence d'appui, donne encore matière à analyse. Ceux qui tiennent à la mise en œuvre des rapports arts et sciences dans notre contexte, savent que les notions de créativité, de création, d'imagination, ... sont encore placées au cœur des discours. Parfois même, certains chercheurs sont-ils encore reliés aux débats de 1970

 

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