Un chapeau de paille d’Italie – dans la mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti à la Comédie-Française – transcende les genres. La plus célèbre des pièces de Labiche, créée en 1851, est certes d’abord un classique du vaudeville : le jour de son mariage, Fadinard, jeune rentier, traverse le bois de Vincennes pour se rendre à sa noce ; mais voilà que son cheval mange le chapeau de paille d’une dame qui se trouvait là avec son amant lieutenant. La menace de la jalousie de son mari et celle – non moins terrifiante – du militaire poussent le jeune Fadinard à la recherche éperdue d’un chapeau de paille identique. Dans sa traversée effrénée de Paris, il rencontre des personnages drolatiques et jongle avec une belle-famille cocasse qui le poursuit en semant la confusion.

Mais G.B. Corsetti a situé l’action d’Un chapeau de paille d’Italie dans les années 1970 et en a fait presque un musical. Les acteurs relèvent cette modernisation avec bonheur. Pierre Niney est Fadinard, jeune rentier un peu coureur, naïf mais pas niais, prêt à tout : il court dans tous les sens, grimpe sur les meubles, dégringole, fait appel à une maîtresse éconduite (Coraly Zahonero), se fait passer pour un chanteur italien pour approcher la Baronne de Champigny, une aristocrate comme on en rêve (Danièle Lebrun). Bref, il fait de son mieux pour sauver les deux amants fougueux – ainsi que son propre mariage. Véronique Vella est Anaïs, la dame surprise aux bois de Vincennes avec son amant lieutenant (Laurent Natralle) : elle se pâme magnifiquement pour mieux retomber dans les bras de son amant, anéantie par le courroux d’un mari bourru et parfaitement crédule (Jérôme Pouly en alternance avec Nâzim Boudjenah).

Mais c’est avec la future belle-famille de Fadinard que la comédie devient farce à l’état pur. Christian Hecq est Nonancourt, beau-père pépiniériste et pilier du spectacle. Il est affublé d’un myrte qu’il transporte partout avec lui et qui semble posséder une vie propre. Père maladivement jaloux, il veille jalousement sur sa fille Hélène (Adeline D’Hermy). Elle, elle ne pense qu’aux épingles de sa robe qui la piquent cruellement, et à son cousin un peu trop collant (Félicien Juttner).

Ces personnages linéaires sont des caricatures d’une société bourgeoise où seules comptent les apparences et les signes extérieurs du statut social. Le jeu de danses et de pantomimes donne à voir leur vacuité psychologique. Ils sont animés par des désirs primaires et des instincts enfantins : posséder, consommer, cacher. Car ils ne peuvent se séparer de leur respectabilité. Les rituels fondamentaux qui signalent leur condition sociale ne sont que des mascarades grotesques, comme le montrent les chorales discordantes et en chorégraphies stéréotypées, joyeusement portées par plusieurs musiciens sur scène (Christophe Cravero, Hervé Legeay, Hervé Pouliquen). Les costumes de Renato Bianchi contribuent à cette avalanche de kitsch : robes affriolantes, costumes flashy, pattes d’éléphants et perruques marquent l’irruption, dans l’espace de la Comédie-Française, de l’esthétique des seventies.

L’écriture de Labiche est rehaussée par cette contamination explosive du vaudeville et de la comédie musicale : quiproquo, gags à répétition, farandoles et pirouettes s’enchaînent dans un décor de plus en plus déconstruit. Les bâches qui tombent avec fracas, les chaises qui volent, les lampadaires qui s’écrasent donnent à voir une société dont l’ordre vacille. Par ailleurs, la dérive du protagoniste s’apparente progressivement à une incursion dans l’absurde et l’onirique. La recherche du fantasmatique chapeau de paille devient une quête abstraite, un pur mouvement autosuffisant, comme le suggèrent peut-être les décors Op’ Art. Revendiquant son autonomie la plus extrême, cette mise en scène met cependant bien en valeur la spécificité du théâtre de Labiche, qui dynamise le vaudeville, introduit le mouvement à la place de la situation. En relisant cette pièce à la lumière du contemporain, elle invite à s’interroger sur une société, la nôtre, qui fait du spectacle sous toutes ses formes son seul credo

* Plus d'informations : Un chapeau de paille d'Italie d'Eugène Labiche, Comédie-Française, Salle Richelieu – Théâtre éphémère
Jusqu’au 7 janvier 2013

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