Composée en 1840, La Fille du régiment est le premier opéra écrit par Gaetano Donizetti (1797-1848) sur un livret intégralement en français. Son action se déroule lors de l’occupation franco-bavaroise du Tyrol, sous le Premier Empire. Un choix qui fut peut-être inspiré par la préparation du retour du corps de l’empereur le 15 décembre de cette même année   .

Aprement critiqué par Berlioz - qui y voyait de la musique commerciale (per la fame plus que per la fama) -, La Fille du régiment fut pourtant un succès. Sa partition offre en effet l’occasion de démonstrations de virtuosités vocales et d’airs célèbres parmi lesquels Au bruit de la guerre j’ai vu le jour (Acte I), Ah mes amis quel jour de fête (Acte I), Il faut partir (Acte I), Tous les trois réunis (Acte II), Au fait elle est charmante (Acte II) et, bien sûr, Salut à la France !

L’intrigue est tout à fait simple et ne constitue d’ailleurs pas le point fort de l’œuvre. Marie, trouvée enfant sur un champ de bataille, a été adoptée et élevée par le 21e régiment français. Alors âgée d’une quinzaine d’année elle participe à la vie des soldats comme lingère puis vivandière. Un jour qu’elle manque de tomber dans un ravin, un jeune Tyrolien lui sauve la vie et aussitôt les deux êtres s’éprennent l’un de l’autre. Cette passion soudaine ne plait guère à Sulpice, le sergent du régiment, pas plus qu’au reste de la troupe - ses "papas" - parmi laquelle elle a juré de choisir son futur mari. Qui plus est, le jeune prétendant est un Tyrolien hostile à la France et partisan de l’Autriche. Qu’à cela ne tienne, l’amour lui change ses vues et il décide de s’engager dans le 21e et d’embrasser la cause française en attendant d’autres étreintes. Devenu l’un des leurs, il peut en effet, comme tout soldat du régiment, légitimement espérer épouser Marie. C’était sans compter la présence inattendue d’une aristocrate, la marquise de Berkenfield, qui reconnait dans la fille du régiment l’enfant autrefois abandonné à la guerre et qui ne serait autre que l’unique héritier de sa famille. Cette découverte soudaine est confirmée par une lettre conservée par Sulpice et voilà la jeune Marie, avec ses manières de soldat, changeant de destin et emmenée par la marquise dans le château des Berkenfield. Fin du premier acte.

L’éducation de Marie n’est pas une mince affaire et pour s’attirer les bonnes grâces de l’ex-vivandière, la marquise a prié Sulpice de demeurer au château pour l’assister dans cette tâche. La vie du régiment manque cependant au vieux soldat et à la jeune fille. Au grand dam de la maîtresse de maison, ils ne peuvent s’empêcher de préférer les chants de caserne aux romances qu’elle joue au piano. Il faut pourtant que Marie soit irréprochable car un prestigieux mariage lui est promis : Scipion, le neveu de la Duchesse de Crakentorp. Mais l’amour intarissable de Tonio, le jeune Tyrolien engagé dans l’armée française et à présent chargé de médaille, est plus fort. Il fait irruption en compagnie de tout le régiment pour reconquérir Marie. La flamme de l’amour se réanime dans le cœur de la jeune fille qui refuse d’épouser Scipion. La marquise s’oppose à son union avec Tonio, lequel la menace de révéler son secret : elle n’est pas la tante de Marie, mais sa mère. Cette nouvelle change tout. Marie est bouleversée de connaître enfin sa mère et son secret. De son côté, la marquise est émue est n’a pas le cœur d’imposer à sa fille un mari qu’elle ne veut pas se rappelant elle-même de sa passion pour un capitaine français, Robert, le père de Marie. La Duchesse et les invités sont outrés et quittent le château quand tous entonnent le final : "Salut à la France !". Rideau.

Le spectacle donné en ce moment à Paris est une coproduction datant de 2007 (Paris, Londres, New York) qui après avoir triomphé hors de France arrive enfin sur la scène de l’Opéra Bastille. Mise en scène par l’excellent Laurent Pelly qu’on a pu apprécier cette année au festival de Glyndebourne (L’Heure espagnole, L’Enfant des sortilèges), cette Fille du régiment est truffé d’inventions heureuses et poétiques comme les montagnes aux aspects de cartes IGN, le salon avec des cadres vides dans lesquels les soldats viennent placer leurs têtes, le trio Tous trois réunis dont la chorégraphie semble empruntée à 8 femmes de François Ozon (2001) ou encore l’arrivée de Tonio sur un char d’assaut pour reconquérir sa bienaimée (l’action est transposée pendant la guerre de 14-18).

Autant d’idées et de trouvailles parfaitement servies par les décors de Chantal Thomas, une complice de longue date (Platée, L’Elixir d’Amour, La Grande Duchesse de Geroldstein, La Vie parisienne …), sans l’ombre d’une faute de goût ni d’une surcharge. Quant à la distribution, on peut difficilement espérer mieux. Nathalie Dessay (Marie) est dans son éléments et ses mimiques sont - "pour une fois", dirons les grincheux - parfaitement à propos. Juan Diego Florez (Tonio) fait encore la démonstration de la force et de la justesse de sa voix. Doris Lamprecht est une marquise admirable, tant scéniquement que vocalement et Felicity Lott, dans le rôle de la Duchesse, est plus vraie et plus juste que nature.

Dans le livret qui accompagne le spectacle, on pourra lire un texte très intéressant d’Alain Pigeard sur la condition des femmes dans l’armée napoléonienne et une analyse musicologique brillante de Damien Nicolas sur les liens entre la musique de Donizetti et la France. On pourra enfin fredonner ou réécouter des jours durant les airs charmants de cet opéra pour lequel Berlioz n’a eu la dent dure que parce qu’il en préssentait l’inéluctable succès


* Plus d'informations : 
La Fille du régiment, G. Donizetti. Opéra de Paris, jusqu’au 11 novembre