L’Union pour la Méditerranée a encore une fois manqué l’occasion de s’imposer en acteur politique majeur dans la région méditerranéenne. Depuis sa création lors du sommet de Paris le 13 juillet 2008, elle tente de poursuivre les politiques de coopération économique entamées par le Processus de Barcelone de 1995, mais peine a trouver des solutions viables aux différentes tensions politiques qui existent tout autour du bassin. Son incapacité à agir dans le conflit israélo-palestinien est constamment soulignée. Alors que l’Autorité Palestinienne et Israël sont tous les deux membres de l’Union, celle-ci se trouve sans cesse reléguée au second plan pour ne pas dire au dernier lorsqu’il s’agit de médiation dans les pourparlers de paix entre les deux entités. La question israélo-palestinienne, alors qu’elle devrait être une question avant tout méditerranéenne est devenue avec le temps et l’absence d’interlocuteur méditerranéen une problématique exclusivement américaine. Cette nouvelle institution qu’est l’UPM n’a malheureusement pas les moyens de ses ambitions annoncées, elle est toujours occultée par des institutions plus anciennes et plus solidement ancrées dans le système politique et géostratégique international. L’implication de l’Otan dans le conflit libyen qui est intervenu suite à la révolte populaire de mars 2011 a été une preuve supplémentaire de l’incapacité de l’UPM à agir diplomatiquement en Méditerranée. De fait, une interrogation reste posée : quel sera l’avenir du Processus de Barcelone, quelle Union pour la Méditerranée après les printemps arabes ?

Un processus fragile constamment remis en question

Le terme d’institution ne convient pas encore tout à fait pour qualifier l’UPM, il s’agit davantage d’un processus en cours qui est constamment remis en question de part et d’autre de la Méditerranée. Les raisons de cette remise en question sont liées à la structure même de l’Union et à des tensions anciennes entre certains de ses membres. Les Printemps arabes, bien que considérés comme des événements positifs pour les sociétés concernées, ont été des révélateurs de sa faiblesse et de son manque de réactivité.

Une structure floue et déséquilibrée

L’UPM se caractérise par trois spécificités qui diffèrent des partenariats euro-méditerranéens précédents. La première est l’exigence d’une coprésidence représentant à la fois le nord et le sud, la deuxième est l’obligation d’élire un secrétaire général issu d’un pays de la rive sud. Ces deux premières caractéristiques démontrent la volonté d’impliquer davantage le Sud dans la prise de décisions. Le manque d’implication dans le processus décisionnel a toujours été reproché au Processus de Barcelone qui était considéré comme un processus fait par le Nord pour le Sud. Enfin la troisième caractéristique est que l’UPM est avant tout une union de projets. Ce dernier point constitue un point positif pour certains, notamment les membres de l’Union Européenne, car cela demande moins d’engagement qu’une véritable union et plus de souplesse dans la gestion des projets. C’est cet engagement à demi-mot que critiquent certains intellectuels et représentants des rives Sud(s). Mustapha Cherif considère que la dénomination même d’Union Pour la Méditerranée est volontairement restrictive. " Une Union méditerranéenne serait une union politique, économique, culturelle, sécuritaire qui ne limite pas les degrés de coopération. Une UPM cela veut dire qu’on se met autour de projets, que chacun met les moyens dont il dispose pour arriver à leur application. Donc il y a une grande différence ". Cette différence est ce qui empêche une implication forte et sincère de certains membres du Sud et de l’Est.

La structure de l’Union est une structure intergouvernementale confuse et déséquilibrée. Il y a de part sa composition une inégalité de fait qui défavorise les membres du Sud, minoritaires en nombre et que des intérêts hétérogènes empêchent de former un bloc uni dans les prises de décisions et la définition des priorités. En effet, nous avons d’une part l’Europe des 27 qui peut compter à ses côtés la Principauté de Monaco et les quatre Etats balkaniques (Bosnie, Croatie, Albanie, Monténégro) et d’autre part, neuf Etats arabes formant un bloc plus ou moins homogène. A ces deux blocs s’ajoutent deux entités au statut complexe, la Turquie et Israël , qui peuvent former des alliances avec les uns ou les autres selon les problématiques discutés et l’environnement international. Il s’agit donc d’une Méditerranée variée avec des moyens et des besoins hétérogènes voire antagonistes. Par ailleurs, la fragilité de l’Union est profondément liée à la fragilité structurelle et/ou politique de certains Etats de la rive Sud et de la rive Est. Avant les Printemps arabes nous pouvions compter l’Autorité palestinienne ou le Liban parmi ces Etats fragilisés, mais aujourd’hui, d’autres qui étaient considérés comme des entités stables et pérennes, se sont ajoutées à la liste, c’est le cas de la Tunisie et de l’Egypte ou encore de la Syrie. Si la première semble avoir emprunté la voie démocratique grâce à des élections libres et multipartites – reste désormais à voir si le processus démocratique s’inscrira dans la durée – la deuxième reste embourbée dans les méandres des révoltes populaires et des manifestations et la troisième s’engage sur le chemin de la guerre civile. Il ne peut donc y avoir d’édifice euro-méditerranéen stable et solide si ses composantes sont fragiles et rongées de l’intérieur.

Des tensions qui handicapent le processus en cours

L’une des tensions majeures qui handicapent sérieusement le processus est le conflit israélo-palestinien. Quelle que soit la thématique abordée lors des conférences et des forums euro-méditerranéens, elle renvoie toujours à la situation des Palestiniens et à l’occupation de leur territoire. La conférence sur l’eau du mois d’avril dernier s’est, comme toutes les conférences qui s’attachent à des problématiques liées aux conditions de vie des populations du sud, soldée par un échec en raison d’un différend lié à l’accès à l’eau des Palestiniens dans les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie. Le soutien des Etats arabes à la cause palestinienne et l’abstention de certains Etats européens empêchent souvent la résolution des questions posées lors des séances de débat et rendent extrêmement difficile les prises de décisions et l’avancement du processus de coopération. D’autres tensions entre Etats-membres gangrènent également le déroulement du processus. Les antécédents historiques entre l’Algérie et la France interdisent toute relation fondée sur la confiance mutuelle, le poids de l’histoire pèse sans cesse sur les discussions entre les deux pays, et alors que leur entente représenterait une consolidation du processus, leur perpétuelle mésentente est un sérieux facteur de ralentissement voir de blocage. Par ailleurs, les tensions entre Etats arabes ne sont pas complètement absentes, la question du Sahara Occidental refroidit les relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc et empêche par exemple la libre circulation des citoyens de part et d’autre des frontières de ces deux pays voisins. De façon plus générale, le manque de solidarité et d’union parmi les pays de la rive Sud rend difficile une cohésion d’ensemble au niveau méditerranéen, favorise un fonctionnement basé sur le bilatéralisme et affaiblit la volonté multilatérale et unificatrice de l’Union. (On ne comprend peut-être pas de manière évidente pourquoi les divisions, au sein des pays de la rive Sud renforcent le bilatéralisme, pourriez vous le détailler ?)

Quel avenir pour l’UPM après les printemps arabes ?

L’UPM a brillé par son absence et son silence tout au long des " Printemps arabes ", et pour cause l’un de ses deux coprésidents Hosni Moubarak était l’un des principaux dictateurs visés par le mouvement de révolte. Le deuxième et non le moindre, Ben Ali, préparait quant à lui sa fuite alors que ses alliés européens, qui l’érigeaient en exemple dans les domaines démocratique et économiques auprès des autres Etats-membres du Sud, tentaient de trouver des circonstances atténuantes aux exactions que ses forces faisaient subir à la population tunisienne révoltée. Comment l’UPM peut-elle garder un minimum de crédibilité alors que dès sa création elle a fait de la Tunisie de Ben Ali et de l’Egypte de Moubarak des piliers de la coopération Nord/Sud en Méditerranée et qu’elle a été ravie de compter parmi ses Etats observateurs la Libye de Kadhafi, Lybie qu’elle espérait compter un jour parmi ses Etats-membres ? Drôle de composition pour une institution qui se montrait soucieuse des revendications des peuples du sud : plus de liberté, de justice et une meilleure répartition des richesses nationales. Près de trois ans et demi après son inauguration, l’Institution demeure inconnue pour la plupart des peuples, notamment ceux du Sud et de l’Est parmi lesquels le sentiment d’appartenance nationale ou religieuse prime sur le sentiment d’appartenance méditerranéenne qui leur est pour la plupart complètement étranger. Il y a donc tout un travail de vulgarisation et d’information à faire auprès des sociétés civiles afin de les familiariser avec le concept d’Union pour la Méditerranée et ceci commence d’abord par une relation de confiance et d’accessibilité de l’institution par les citoyens méditerranéens.

Mais la cause de l’UPM ne semble pas complètement perdue. L’Institution a enfin inauguré son site Internet trilingue Français-Anglais-Arabe. Il est donc possible pour les internautes des deux rives de s’informer sur l’Institution, ses Etats-membres, les projets en cours et, chose encore impossible il y a quelques semaines, prendre contact avec son secrétariat général qui a connu lui aussi un cheminement laborieux. En effet, mis en place en avril 2010 avec la nomination du jordanien Ahmad Massa’deh au poste de secrétaire général, soit deux ans après le sommet de Paris, le secrétariat général a eu de grandes difficultés à s’imposer en interlocuteur et représentant de l’institution. La paralysie qui a caractérisait l’UPM depuis sa création, notamment à cause des tensions israélo-palestiniennes, a eu raison de la patience et de l’engagement de son secrétaire général qui démissionnera un an après sa nomination. Trente mois après le premier sommet, signe du lancement d’une union novatrice et médiatrice, l’organisation d’un deuxième sommet semblait plus incertaine que jamais pour le Secrétaire général qui ne parvenait pas à réunir l’ensemble des chefs d’Etats et de gouvernements des deux rives. Prévu le 7 juin puis le 21 novembre 2010, le deuxième sommet a été reporté à une date ultérieure non déterminée.

Le 25 mai dernier, l’UPM a nommé son nouveau secrétaire général en la personne du diplomate marocain Youssef Amrani. Plus consensuel, il aura peut être la possibilité de relancer le processus. En tout cas, son arrivée coïncide avec l’inauguration du site Internet du Secrétariat général en novembre 2011 et l’organisation du premier Forum méditerranéen de l’eau à Marrakech le 20 décembre dernier. Cela peut être considéré comme un bon signe, une sorte de renaissance après des mois de paralysie

 

 

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