Pour sa quatrième édition, La Cité des Livres accueillait une voix bien connue des auditeurs de la matinale de France Inter, celle de Thomas Legrand. L’éditorialiste politique était invité à débattre de son livre, Ce n’est rien qu’un président qui nous fait perdre du temps (Stock/ Parti Pris), en présence de Laurent Bouvet, coresponsable des pôles Science Politique et Université&Recherche de nonfiction.fr, et de Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès.


Ce n’est rien…

La discussion, qui s’étendit sur plus d'une heure et demie, mit en perspective la thèse centrale du livre de Thomas Legrand, selon laquelle les Français feraient face à un président banalement de droite qui ne tient absolument pas ses promesses de rupture. Elle s’adresse à la fois aux sarkozystes fidèles et aux antisarkozystes forcenés puisqu’il s’agit pour Thomas Legrand d’affirmer que la politique de Nicolas Sarkozy n’est ni une "rupture", ni "une dictature"   .

Thomas Legrand a pris deux exemples pour étayer ce point de vue original. D’abord, celui de la loi sur le service minimum. Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait abordé le sujet du droit de grève, en laissant entendre qu’il était indispensable qu’aux heures de pointe, les transports en commun fonctionnent. Or, outre que le "service minimum" recouvre une notion juridique précise, le projet de loi soumis au vote du Parlement était une loi de prévention des conflits inspirée selon Thomas Legrand d’idées anciennes, de "type CFDT". Cette loi ne correspond absolument pas à un "service minimum", ce sont simplement les députés UMP qui ont commencé à l’appeler ainsi, et l’opposition serait tombée dans leur piège rhétorique en s’y opposant avec virulence. Pour Thomas Legrand, les socialistes auraient mieux fait de dénoncer l’écart déjà patent entre les discours et les actes du président de la République plutôt que de cautionner l'idéologie de la réforme et du volontarisme politique en s’opposant systématiquement aux projets de lois de la majorité. Tout le monde se retrouvait là dans "un rôle caricatural". Il suffit donc qu’il y ait "une bonne campagne de com’, une bonne opposition pavlovienne, et le tour est joué !". Et puisque l’attitude de Nicolas Sarkozy est vite exaspérante, il devient facile de s’y opposer.

De même, en matière de politique d’immigration, Thomas Legrand considère que ce sont surtout les discours qui sont "assez scandaleux". Les chiffres de reconduite à la frontière sont passés approximativement de 15 000 sous le gouvernement Jospin à 20 000 sous le deuxième mandat de Chirac jusqu’à 30 000 aujourd’hui. Et dans ces derniers chiffres, il faut compter la reconduite d’environ 8 000 roumains qui partent suite à des accords entre Etats, et reviennent souvent par d’autres moyens. A côté de cela, les préfets régularisent des sans-papiers de façon normale. Par conséquent, le discours de Sarkozy aurait pour effet principal de renflouer les rangs de Réseau Education Sans Frontières (RESF).


…si ce n’est de la communication

Thomas Legrand voit donc le président Sarkozy comme "un roi de la com’ ", "un Chirac en sueur", qui gouverne comme ses prédécesseurs, en favorisant ses réseaux, et en entravant la fluidité et la transparence dont il se réclame. Le problème démocratique que cela pose est qu’il n’y a pas de situation de dialogue entre le président et ses électeurs.

Néanmoins, comme le rappelait Laurent Bouvet, la campagne de Nicolas Sarkozy incarnait quelque chose de plus large que la droite traditionnelle. Il avait réussi à adresser un discours à toute une nation. Lorsque l’on constate qu’il met en œuvre "une politique de représentation et de classe" et que l’on mesure le niveau de déception des Français, peut-on vraiment dire que Nicolas Sarkozy ne réalise rien ? Thomas Legrand reconnaît dans cette déception un constat d’échec par rapport à un retour momentané du politique. Si l’élection présidentielle avait incité nombre d’électeurs à se déplacer, c’est parce que le discours de Nicolas Sarkozy avait réussi à toucher le peuple directement et joué de cette veine populiste. Cependant, sa politique, symbolisée par le bouclier fiscal, "le dernier dogme sarkozyste encore debout", n’est rien d’autre qu’une politique de droite classique aux yeux de Thomas Legrand. Il pense que le bouclier fiscal sera abandonné, après les propos de François Baroin, ministre du Budget, dimanche dernier sur France 5, assurant que "le bouclier fiscal n’est plus qu’une feuille de vigne fiscale".


"La République est plus forte que ce petit communicant"

Si Thomas Legrand a reconnu que ses arguments pouvaient atténuer le poids de la rhétorique agressive du gouvernement actuel, c’est pour insister sur l’idée qu’en dernière instance, les chiffres démentent les discours. La laïcité progresserait, le racisme reculerait, l’homophobie reculerait, en dépit des annonces faites sur la "laïcité positive" ou le voile intégral. Bref, la société progresserait et le discours sarkozyste ne parviendrait pas à en freiner le mouvement. Les paroles qui stigmatisent une partie de la société française ne produisent pas forcément des effets négatifs à long terme. Thomas Legrand regrette simplement que ce soit Nicolas Sarkozy qui occupe la première fonction de l’Etat et l’incarne de façon aussi médiocre. Son rapport à la communication le confronte directement à une "tyrannie de la cohérence". S’il y a encore dix ans, il était impossible de mettre les hommes politiques en contradiction avec eux-mêmes, rappelait Thomas Legrand qui en a vécu l’expérience chez RTL en 1997, aujourd’hui, la moindre parole, la moindre phrase ou le moindre mot peuvent être repris et comparés avec ce qui a été dit précédemment. C’est précisément le rôle de l’éditorialiste, selon lui, de mesurer la distance entre le dire et le faire. C’est pourquoi il se sent tenu de pointer toutes les contradictions et failles de la politique gouvernementale à partir des discours qui la fondent.

Loin de se résigner à une certaine complaisance pour une politique qui dévalorise complètement la chose publique, Thomas Legrand s’en tient donc à son rôle de "contre-pouvoir". "Je comprends le ressentiment qui peut être le vôtre lorsque je dis : "ce n’est rien", mais je veux surtout vous rassurer en vous disant que ce n’est pas si grave que ça, nous ne sommes pas dans une dictature." Le cours actuel de la politique française est réversible. Et Thomas Legrand sera là pour tenter de nous le montrer

 

A lire sur nonfiction.fr :

- Thomas Legrand, Ce n'est rien qu'un président qui nous fait perdre du temps, par Guillaume Houzel.

- 'Pierre Joxe à la Cité des Livres', par Clémence Niérat.

- 'Jacques Pilhan, cet "artisan" de l'ombre- Franços Bazin à la Cité des Livres', par Mathieu Gaulène.

- 'Lionel Jospin à la Cité des Livres', par Pierre Testard.