Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution sur les relations franco-allemandes.
Pas une célébration franco-allemande, pas un événement européen, qui ne soit l'occasion de rappeler le texte de la déclaration Schuman du 9 mai 1950 : "l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne".
Voilà même désormais que, dans le cadre de l'agenda franco-allemand 2020 adopté le 4 février 2010, la ministre française de l'économie participe au conseil des ministres allemand - grande première le 31 mars 2010 et politesse rendue le 14 avril, par la présence du ministre allemand des affaires étrangères au conseil des ministres français. Un agenda franco-allemand de 80 propositions qui se veulent "concrètes" pour développer "une même vision de leur avenir à l'horizon 2020". Mais la crise grecque n'est-elle pas venue faire voler en éclat la belle façade européenne des solidarités de fait ? En mettant sous une lumière crue les désaccords franco-allemands en termes économiques et financiers, en révélant au grand jour l'égocentrisme de la politique économique de l'Allemagne – qui a pourtant été le premier pays à bénéficier de la solidarité économique d'une Union européenne qui a accepté de voir pendant près de dix ans sa croissance plombée par les conséquences d'une réunification politiquement indispensable mais aux conséquences économiques désastreuses pour les autres pays de la zone –, elle a révélé non pas la faiblesse de l'Europe politique mais le caractère fantomatique de son existence. Elle a, plus encore qu'il y a vingt-cinq ans les exigences anglaises du "I want my money back" thatchérien, dévoilé les rouages de la conception néolibérale de l'Union européenne : un cadre pour la mise en place de politiques d'orthodoxie monétaire au niveau européen, et budgétaire à celui des Etats, favorables aux grands financiers internationaux, ne nécessitant qu'un effort budgétaire réduit au minimum syndical - 1% du Revenu National Brut (RNB), âprement rediscuté tous les six ans – et devant si possible être strictement compensé, ce qui exclut naturellement toute politique ambitieuse de solidarité à l'échelle des 27 Etats membres.
Or, est-ce cette Union européenne que nous souhaitons défendre ? Est-ce l'Union du Pacte de stabilité rejetant systématiquement tout mécanisme de solidarité ? Est-ce l'Union au ton professoral sanctionnant les mauvais élèves de la classe, leur apposant – et imposant – des bonnets d'âne sans même chercher à les comprendre et à les soutenir, sans même chercher à s'interroger sur ses propres erreurs ? Est-ce l'Union des discours néolibéraux et démagogiques incapables de comprendre la crise grecque en dehors de la métaphore de la fable de la cigale et de la fourmi ("accepteriez-vous qu'on vienne vous demander de l'argent pour aider votre méchant et imprudent voisin qui s'est permis de consommer plus que ce qu'il avait ? ") ? Est-ce l'Union de la rigueur monétariste aujourd'hui encore incapable de financer des politiques sociales ambitieuses en direction de ses 500 millions de citoyens ?
La solidarité de fait appelée de ses vœux par Robert Schuman ? Il a fallu attendre le 26 mars pour que les chefs d'Etat et de gouvernement des seize pays formant la zone euro se mettent d'accord, en marge d'un Conseil européen, pour aider la Grèce en cas de besoin. Et encore quel accord, imbroglio inconsistant mêlant allègrement possibles aides européennes et potentiel recours au Fond monétaire international (FMI) : le mécanisme repose sur une possibilité de prêts bilatéraux accordés en dernier recours par les Etats membres de la zone euro et complétés par des prêts du FMI si le financement de la Grèce – qui doit lever plus de 20 milliards d’euros entre début avril et fin mai 2010 – par le marché se révélait insuffisant, tout en sachant que les prêts du FMI ont des taux d'intérêt plus avantageux que ceux de la zone euro et que l'accord précise que les taux seront non-concessionnels, excluant ainsi tout élément de don. Bien évidemment, dans le texte de la déclaration, aucun chiffre, aucun délai ni aucune précision sur le pays ou l'instance politique qui coordonnera le mécanisme lorsqu'il sera mis en application. Les réalisations concrètes devant aboutir aux solidarités de fait ?
Oserait-on citer les 80 propositions du programme de coopération franco-allemand à l'horizon 2020 lorsque l'on sait que la moitié sont des reprises du programme qu'avaient présenté la France et l'Allemagne lors des célébrations du 40e anniversaire du traité de l'Elysée en 2003, il y a déjà sept ans ? C'est le cas de la possibilité pour un ministre allemand d'assister au conseil des ministres français – et vice-versa –, de la préparation des positions communes dans les négociations internationales, ou du soutien de la France pour que l'Allemagne obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies.
De quoi s'étonner que le 9 mai soit encore aujourd'hui considéré comme la Journée de l'Europe...
Alors oui, la présence de la ministre française de l'économie au conseil allemand des ministres a été l'occasion d'une belle photo de famille. Mais derrière l'affichage fraternel, la réalité est toute autre. Le 15 mars, les critiques publiques (à l'occasion d'un entretien au Financial Times) de la ministre française de l'économie du modèle de croissance outre-Rhin, ont été pour le moins acerbes : "je ne suis pas sûre que ce soit un modèle viable à long terme et pour l'ensemble du groupe de la zone euro. Il est clair que nous avons besoin d'une meilleure convergence". Sa sortie du lendemain sur la politique fiscale germanique – elle suggère à l'Allemagne de réduire ses impôts pour encourager la consommation intérieure (ce qui accessoirement permettrait de soutenir les exportations françaises) – n’est également pas passée inaperçue. La réponse de la chancelière allemande sera vive le 17 mars : "un gouvernement économique européen doit s'aligner sur les plus rapides, pas sur les faibles".
Les dissensions au sein de l'Union européenne, au-delà de la symbolique et de la rhétorique fraternelles, s'affichent donc dans les prises de position politiques. Et également dans les faits.
Au G20 de Pittsburgh avait été annoncé un projet de taxation des banques, à charge pour chaque Etat de le mettre en œuvre. L'attente d'un projet européen commun sur le sujet était légitime. Elle a été déçue. L'Allemagne a présenté le 31 mars son projet, qui consiste à taxer plus fortement les produits présentant un risque pour le système financier, le produit de la taxe devant permettre la création d'un fonds de stabilisation chargé de financer en cas de crise les coûts de restructuration des établissements bancaires. Au même moment, la ministre française de l'Economie a rappelé que la France est encore dans une phase de préparation. Si, d'ailleurs, le projet de loi allemand de taxation sur les produits risqués ne concerne exclusivement que les banques, l'assiette de la taxe en France devrait également viser, à l'instar du projet américain, les hedge funds et les assurances. Et les sommes récoltées devraient dans le cas français être directement allouées au budget de l'Etat, afin de financer de nouveaux projets ou de réduire le déficit public.
Nombreux sont ceux qui ont reproché et reprochent encore aujourd'hui au non français du 29 mai 2005 d'avoir fait perdre à l'Europe plusieurs années. D'avoir conduit à enterrer des avancées avant tout symboliques – l'adoption de la notion de loi européenne, la création d'un ministre des affaires étrangères européennes. En semblant ignorer que ce ne sont non pas les peuples, en attente d'une Union capable de répondre à leurs difficultés sociales, capable d'être un véritable appui des Etats dans la lutte contre le chômage, en faveur de l'emploi, en faveur du développement de l'accès à l'éducation supérieure et de la formation tout au long de la vie, mais les gouvernements, incapables de porter et de défendre l'idée d'une véritable solidarité européenne, qui condamnent peu à peu l'Union européenne à n'être qu'un cadre réglementaire et poussent les citoyens à se détacher d'une organisation indifférente à leurs attentes quotidiennes.
Il est encore temps aujourd'hui de se battre pour un projet européen mobilisateur, permettant de dépasser les égoïsmes financiers et économiques nationaux et se dotant d'un volet social conséquent. La crise grecque a révélé les fragilités de la zone euro et les divergences au sein de l'Union européenne. Elle pourrait également constituer l'occasion de s'engager enfin vers un mécanisme de gouvernance économique européenne, en dotant l'Union européenne de la capacité de lever des impôts, lui permettant ainsi d'augmenter son budget. Budget supplémentaire qui aurait deux fonctions fondamentales : d’une part donner à l'UE la capacité d'intervenir en cas de crise économique, lui permettant ainsi de jouer un rôle de stabilisation des cycles ; d’autre part créer une manne financière dédiée à de véritables politiques sociales au niveau européen.
Non, l'avenir de l'Union européenne ne doit pas être dans la mise en place de coopérations renforcées ou de mini-unions à géométrie variable. Il ne faut au contraire jamais oublier ce qui aujourd'hui n'apparaît plus comme une évidence : l'objectif premier de l'Union européenne n'est pas d'être le cadre réglementé permettant l'expression maîtrisée de la compétition économique, ni le lieu de valorisation des expériences des "grands" Etats faisant sans cesse la leçon aux "petits", mais d'être, tout simplement, une union. Et idéalement une union des peuples exprimant librement leur solidarité
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