Cette semaine, cartessurtable.eu revient sur la visite en France du président Medvedev.

 

 

 

La visite en France du président de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev, nouvel "ami" du Président Sarkozy, est une jolie valse à trois temps.
Au premier temps de la valse, la Russie s’engage à durcir sa position au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la question iranienne. Les mauvaises langues parleront d’un temps pour rien : le pouvoir de veto de la Chine suffit largement à l’Iran. Mais préférons un instant les beaux parleurs à ces mauvais parleurs là.
Au deuxième temps de la valse, "on est deux, tu es dans mes bras" : Sarkozy et Medvedev s’embrassent, l’accord est parfait autour de la vente de porte-hélicoptères Mistral à la Russie. L’acquisition de ces navires de guerre français inquiète les voisins baltes. Mais il n’est pas tout à fait illégitime de penser également à la bouffée d’air qu’un tel contrat pourrait représenter pour les chantiers navals.
Au troisième temps de la valse, la danse prend des airs de rock acrobatique. Hier – enfin, n’exagérons rien, il y a trois ans tout de même –, Nicolas Sarkozy ne voulait voir  "la France des droits de l’homme" se taire ni face aux "assassinats de journalistes" russes, ni face aux "200 000 morts des guerres de Tchétchénie". Mardi 2 mars, il vantait – il vendait ? – l’attachement de son homologue russe à "l’Etat de droit" et à la "défense des droits de l’homme" lors d’un dîner au palais de l’Elysée. "Les vérités les plus opposées s’accordent bien quand elles ne sont que relatives". Parlons donc un peu de la relativité – et de la relative volatilité – des droits de l’homme en Russie.

Parlons de cette relativité dans les relations avec la Géorgie, plus d’un an après l’invasion d’août 2008, alors qu’un rapport du Conseil de l’Europe dénonçait en octobre 2009 "l’occupation de la partie du territoire d’un Etat membre, le nettoyage ethnique et l’absence de droit d’accès pour les organisations humanitaires". Relativité et relative volatilité : "rien n’a changé en ce qui concerne la situation politique ou la situation humanitaire et si quelque chose a changé, la direction de ces changements est au pire".
Parlons de cette relativité pour les victimes d’assassinats politiques, que l’on a vu se multiplier en 2009 et dont en France on ne retient que quelques noms (Anna Politkovskaïa, tuée en 2006 à Moscou ou Stanislav Markelov, spécialiste des crimes en Tchétchénie abattu en plein jour en janvier 2009).
Parlons de la relativité de l’Etat de droit en Russie et de la relative volatilité de son système judiciaire, sept ans après l’arrestation pour escroquerie et fraude fiscale de Mikhaïl Khodorkovski, un temps homme le plus riche de Russie, désormais prisonnier politique le plus connu, dont le cas est depuis le début du mois en partie entre les mains des juges européens. Mikhaïl Khodorkovski, ancien patron de la société pétrolière Ioukos, aujourd’hui démantelée (ses actifs ont été captés par Gazprom et Rosneft), accusé avec son ex-associé, Platon Lebedev, d’avoir détourné plus de pétrole que Ioukos n’en produisait.


"Les vérités les plus opposées s’accordent bien quand elles ne sont que relatives". Mais lorsqu’elles ne le sont pas ?
Nicolas Sarkozy pouvait feindre d’ignorer la réalité de la situation des droits de l’homme en Russie. Décider de ne pas aborder la question des violations quotidiennes des libertés. C’est son choix en tant que chef de l’Etat, et les comptes se feront dans deux ans maintenant. Mais pouvait-il saluer l’attachement de Medvedev "à l’Etat de droit, au respect des lois, à la sécurité juridique, à la défense des droits de l’homme" ? Saluer "les idées qui sont les [siennes] contre la corruption, l’Etat de droit, le respect de la parole donnée" ?
Lorsque Medvedev et Sarkozy partagent une danse, le premier peut piétiner allégrement les droits de l’homme. Car, par son discours, le second les foule également allègrement du pied.

"Les vérités les plus opposées s’accordent bien quand elles ne sont que relatives".
Peut-être, au fond, Nicolas Sarkozy, en nous présentant deux images si tranchées de la situation des droits de l’homme en Russie alors que l’ensemble des spécialistes de la question s’accordent à affirmer qu’aucune évolution n’a pu être observée – quand ils ne parlent pas de dégradation –, considère-t-il que les droits de l’homme ne sont qu’une réalité toute relative. Une nécessité toute accessoire.
On savait que le respect des droits de l’homme n’était pas une vérité en Russie. On voit sa relative importance aux yeux du président français – déjà en question lors de l’installation dans le parc de l’Hôtel Marigny de la tente du colonel Kadhafi – se confirmer.
Opter pour une realpolitik plutôt que pour la politique des droits de l’homme vis-à-vis de la Fédération de Russie n’est qu’un choix de politique extérieure contestable.
Remettre à la Russie, en France, un brevet de défenseur des droits de l’homme et de protecteur de l’Etat de droit pour ne pas avoir à assumer publiquement un nouveau renoncement aux engagements – sans doute opportunistes – de la campagne présidentielle, est une décision politique condamnable.

"Les vérités les plus opposée s’accordent bien quand elles ne sont que relatives".
Un mot pour finir sur cette phrase. Elle est de Darlu, professeur de philosophie méconnu. Méconnu mais admiré par Marcel Proust, dont Sarkozy s’inspire sans doute; « Nous n’arrivons pas à changer les choses suivant notre désir, mais peu à peu notre désir change ». Elle est de Darlu, à la veille de la Première guerre mondiale. A cette époque, la France et la Russie n’étaient-elles pas militairement alliées ?

 

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