L'Afrique à l'orée d'un nouveau cycle?

Dans ce court ouvrage, l’économiste Edward Miguel, connu notamment pour ses projets de santé et d’éducation au Kenya, veut nous communiquer son optimisme quant à l’avenir de l’Afrique. Ses différents arguments sont dans une seconde partie débattus, complétés ou infirmés par des politologues et des économistes qui connaissent bien le sujet. Les raisons de craindre sont finalement aussi nombreuses que les raisons d’espérer, mais ces observateurs de terrain nous donnent l’impression qu’après deux décennies de stagnation économique et de violence politique il y a quelque chose de nouveau en Afrique subsaharienne.

Premier point : la croissance est de retour (3% en moyenne de 2000 à 2007). L’afflux d’investissements étrangers l’a favorisée, en provenance des Etats Unis mais aussi de plus en plus de Chine. Les investissements chinois ont aidé à développer les infrastructures, routes et barrages. Autre facteur lié aussi à la croissance de la Chine, la hausse du prix des matières premières agricoles et minières dont les pays Africains sont de grands producteurs. Au Kenya qu’Edward Miguel connaît bien, la hausse des prix du café de 40 à 113$ a stimulé la croissance de tout le pays et profité aux producteurs et non producteurs .
Second point : la démocratie est en bonne voie. Dans beaucoup de pays les dictateurs et autres présidents à vie appartiennent au passé, les élections font participer une réelle opposition et les critiques à l’égard des gouvernements s’expriment par une presse plus libre. L’exemple du Kenya a montré au tournant des années 2000 que la vie politique pouvait se passer de coups d’état militaires. Malheureusement en 2007 le président démocratiquement élu s’est maintenu au pouvoir par une fraude électorale patente. Les protestations de l’opposition et les pressions internationales l’ont pourtant contraint à former un gouvernement de coalition en 2008.

La discussion qui suit l’article de Miguel souligne d’abord les limites de ces évolutions : une croissance peu diversifiée et dépendante de marchés volatiles est plus fragile. De plus l’exploitation pétrolière croissante de l’Afrique de l’Est et l’arrivée d’investisseurs chinois peu (ou encore moins) scrupuleux favorisent la corruption et compromettent la stabilité politique de l’Afrique. Une démocratie sans alternance est-elle digne de ce nom ? Il semble que la transition démocratique des années 2000 se soit arrêtée à une phase intermédiaire, et les campagnes électorales tournent souvent à la confrontation interethnique.
D’autres thèmes sont développés par les discutants : le réchauffement climatique, qui menace la région sahélienne et la croissance démographique, qui devrait en 50 ans doubler une population de 753 millions (hors Maghreb).  Tous deux vont poser des problèmes majeurs à l’agriculture, qui devra s’adapter au manque d’eau et augmenter suffisamment sa productivité pour mieux nourrir un nombre d’hommes croissant. L’enjeu n’est pas seulement technologique : l’adoption d’autres variétés, l’utilisation d’engrais ou de techniques d’irrigations suppose l’équivalent de la Révolution Verte indienne.  

Enfin une question est débattue âprement au fil de l’ouvrage : l’utilité de l’aide internationale (la préface de William Easterly, connu pour sa position très sceptique lance la discussion). Une fois admis que le développement d’un pays ne peut être déclenché seulement par l’aide, la question des modalités de cette aide garde son importance. Les deux maîtres mots sont contra-cyclicité, pour réagir aux évènements climatiques (tel le Rapid Conflict Prevention Support voulu par Miguel) et aux variations des cours  (fonds de lissage) ; et conditionnalité, pour encourager la transparence dans l’utilisation des fonds et l’engagement des bénéficiaires.

Pour ceux qui connaissent les problématiques africaines, ce petit ouvrage n’apportera rien. Ils trouveront le propos sans doute trop général. Ils remarqueront aussi que tous les contributeurs s’appuient sur des exemples de l’Afrique anglophone, sur les réussites économiques du Kenya, de la Tanzanie, ou du Mozambique. La situation désastreuse de la Côte d’Ivoire les coups d’état récents en Guinée ou au Madagascar appelleraient d’autres commentaires. Mais pour ceux justement qui connaissent peu l’Afrique, un point de vue original parce que optimiste et anglo-saxon a tout son intérêt. 

Faut-il oublier ce bel optimisme dans la crise économique actuelle ? Depuis que l’ouvrage est passé sous presse, les investissements étrangers ont fléchi et les prix du pétrole ou du café se sont effondrés. Quand à l’aide, il lui reste encore à trouver le chemin des pays qui en ont le plus besoin. Mais les facteurs de long terme, dont le développement de la Chine et de l’Inde sont toujours présents. Et si l’on croit avec Ted Miguel que le changement démocratique est pérenne, les gouvernements devraient trouver des solutions, redistribuer les revenus, surmonter la crise, et éviter de nouveaux conflits

 

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