Un livre intéressant, mais au titre trompeur, qui s'adresse davantage aux spécialistes qu'au grand public.

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La production scientifique massive des chercheurs africanistes depuis des dizaines d’années n’y a donc rien changé : une grande majorité de l’opinion demeure persuadée que l’Afrique, figée dans le mythe, la tradition et les coutumes ancestrales n’est jamais entrée dans l’Histoire, et que tout progrès en Afrique trouve son origine dans la conquête coloniale. Ces clichés ont été depuis longtemps battus en brèche, mais semblent vivaces : on a pu le constater en écoutant le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007, dans lequel le président français a martelé que "le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas suffisamment rentré dans l’Histoire". Erreur diplomatique ou provocation supplémentaire, ce discours fut prononcé dans l’enceinte de l’université de Dakar, baptisée université Cheikh Anta-Diop du nom du célèbre historien sénégalais qui a œuvré sa vie durant à la reconnaissance du rôle de l’Afrique dans l’histoire de l’humanité. Les réactions furent très vives dans les milieux intellectuels : Adame Ba Konaré, historienne et ancienne première dame du Mali a ainsi lancé un appel à contributions pour répondre au président français. Le Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, fruit de ce projet, rassemble donc les contributions de vingt-cinq chercheurs et intellectuels africanistes. Historiens, archéologues, politistes, sociologues se trouvent réunis, et les principaux centres de la recherche africaniste sont représentés, parmi lesquels les universités de Bamako (Mali), Dakar (Sénégal), Niamey (Niger), Kinshasa (RDC) et Abomey-Calavi (Bénin), l’EHESS, le CEMAF (CNRS & Paris-I), le SEDET (Paris-VII). Ce Petit précis porte cependant bien mal son nom et le lecteur novice qui y cherchera une synthèse claire d’histoire africaine sera déçu. Il s’agit en effet plutôt d’un recueil varié de contributions scientifiques et de déclarations militantes, intéressantes et pertinentes dans leur majorité, mais souvent bien trop techniques et disparates dans leurs propos pour constituer une synthèse propre à "remettre à niveau" qui que ce soit en histoire de l’Afrique.

 

Clore un débat

Ceci mis à part, l’ouvrage dirigé par Adame Ba Konaré est passionnant à bien des égards et réussit à répondre aux aberrations du discours de Dakar, de la loi sur le rôle positif de la colonisation et du musée des "arts premiers" (Quai Branly). L’un des enjeux du livre est de démontrer par des exemples l’insertion de l’Afrique dans l’histoire : on lira notamment avec profit l’article passionnant de E. Huysecom et K. Sanogo, qui démontrent que l’Afrique a été pionnière dans les évolutions vers le stade néolithique et qui proposent de reconnaître les spécificités du néolithique africain plutôt que de le nier. On y apprend notamment que la production de céramique et la domestication des bovidés, symptômes néolithiques par excellence, ont été plus précoces en Afrique qu’en Europe ou au Proche-Orient. Citons également l’article  de H. Maïga, sur les contributions africaines au développement des Amériques : l’implantation et le développement de la culture du riz, qui nécessite une expertise et un savoir-faire précis, est selon l’auteur "la preuve d’un tout premier modèle de transfert de technologie" de l’Afrique vers l’Amérique. Ces chapitres sont passionnants, et l’on regrette qu’ils ne soient pas plus nombreux.

L’ouvrage se donne également d’autres buts : entre autres, démontrer que l’historicité n’est étrangement pas conférée en Afrique et en Occident selon les mêmes critères. Les contributions qui traitent du musée du Quai Branly mettent particulièrement en valeur ce point. "Quelle différence y a-t-il entre le sacré du trône du sultan bamoun N’joya et celui du trône d’un roi de France ?" demande ainsi Catherine Coquery-Vidrovitch, qui constate que toute historicité est niée aux objets exposés dans ce musée. Elle en tient pour preuve que l’organisation du musée a été confiée à l’architecte Jean Nouvel, qui a privilégié la représentation d’une Afrique fantasmatique, qu’il qualifie lui-même d’"espace étrange, poétique et dérangeant". Au Quai Branly les historiens n’ont tout simplement pas été consultés, et tous les objets ont été ainsi uniformément regroupés sous l’appellation "arts premiers", sans distinction d’époque, de style ou d’artiste. Le tout pour "éviter les sujets sensibles", et ne pas contrarier les attentes des visiteurs. On le voit, il n’est donc pas seulement question d’Afrique dans cet ouvrage : il traite aussi de l’Occident (la France en particulier) et des raisons de la vision misérabiliste de l’Afrique qui y a cours. Selon Olivier Le Cour Grandmaison, cette vision sert surtout à entretenir le mythe d’un Occident prestigieux et civilisateur, et, en France, à faire perdurer l’adhésion populaire au "catéchisme impérial", thème fédérateur et rassurant.

 

En ouvrir d’autres

L’ouvrage ne se contente cependant pas de répondre au discours de Dakar : il rouvre les débats qui dérangent en histoire de l’Afrique, tel que celui de l’origine de la corruption ou celui de l’esclavage domestique précolonial. Sur ce point précis, le clivage entre auteurs est de taille : ainsi, Kinvi Logossah défend l’idée d’un esclavage "intégrateur", à visage humain avant la traite. Il réfute tout lien de parenté entre ce type d’esclavage et celui de la traite négrière, qui serait une pure création de l’Occident. Ibrahima Thioub s’oppose à ce point de vue et critique l’extrême timidité des historiens africanistes sur le sujet de l’esclavage domestique, qui a selon lui crée les conditions de la traite. Plus largement, c’est le concept même d’Afrique qui est mis en question : de nombreux auteurs s’interrogent sur la question des frontières du continent, dont une vision restreinte à l’Afrique subsaharienne semble de plus en plus délaissée au profit d’une vision large intégrant non seulement l’ensemble du continent physique mais également les diasporas africaines dans le monde. Au vu des discours dont il est l’objet, les auteurs s’interrogent également sur que désigne le mot "Afrique" : est-ce un continent, au sens géophysique, ou est-ce devenu une notion politique et culturelle, plus ou moins synonyme d’archaïsme ? On notera cependant que quelques contributions, soucieuses d’insister particulièrement sur la responsabilité (par ailleurs indéniable) de l’Occident dans les problèmes de l’Afrique contemporaine, pêchent par manque de nuances et ont ainsi un effet contreproductif dans cet ouvrage qui prétend lutter contre les préjugés : ainsi, dire avec K. Logossah, cité plus haut, que les Africains ne pouvaient rien face à la traite négrière et qu’il fallait "vendre ou être vendu", conforte, selon I. Thioub, ceux qui remettent en question "la capacité du sujet africain de se libérer des contraintes structurelles". De la même manière, la contribution qui porte sur la responsabilité de la colonisation dans l’ethnicisation du politique en Côte d’Ivoire n’est guère concluante, puisqu’elle s’achève sur le constat de l’importance du rôle joué par Félix Houphouët-Boigny.

 

Un appel à la mobilisation

Le Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy est également un ouvrage militant : de ce point de vue, il s’adresse d’abord aux historiens. P. Boilley rappelle dans sa contribution qu’ils figurent parmi les responsables de la pérennité des stéréotypes sur l’Afrique, faute de les avoir «anéantis" par une action de vulgarisation scientifique efficace. Pour Elikia M’Bokolo, auteur de la préface de l’ouvrage, seuls les historiens peuvent véritablement mettre un frein aux manipulations et aux réécritures de l’histoire du continent auxquelles s’adonnent les responsables politiques, français mais également africains : il faut donc diffuser le plus largement possible "l’histoire, la vraie histoire de l’Afrique". Pour les concepteurs de l’ouvrage, il y va en effet de l’avenir des relations politiques de l’Afrique avec le reste du monde. Rétablir la vérité s’impose pour mettre un terme aux rapports de force imposés par les "faux-amis" de l’Afrique, ceux qui prétendent vouloir "l’aider" et savoir toujours mieux qu’elle-même ce qui est bon pour elle. Le discours de Dakar ici encore, est abondamment cité : "La Renaissance dont l’Afrique a besoin […], je suis venu vous la proposer" a dit le président Sarkozy, s’adressant aux jeunes africains qui n’en demandaient pas tant. Mais pour les auteurs du Petit Précis, il ne s’agit pas seulement d’une assistance maladroite et déplacée : selon eux, les "faux-amis" de l’Afrique agissent ainsi pour alimenter les divisions, notamment entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Djohar Sidhoum-Rahal s’insurge notamment contre les velléités occidentales de "désafricaniser" l’Afrique du Nord et d’instaurer des rapports de hiérarchie qui brisent les solidarités transsahariennes. C’est ainsi qu’elle interprète la différence de registre entre le discours de N. Sarkozy à Constantine où il avait célébré une Algérie "moderne", "héritière d’une histoire plusieurs fois millénaires", et celui prononcé à Dakar. I. Nziem livre une analyse similaire dans son étude sur le projet de l’Union pour la Méditerranée : selon lui, ce projet n’est rien d’autre qu’une machine de guerre contre l’unité africaine et un projet cynique de délocalisation du contrôle de l’immigration d’une rive à l’autre de la Méditerranée. L’ouvrage  n’est cependant pas seulement critique : il contient également quelques propositions concrètes à appliquer à la France (inscription de l’histoire de l’Afrique dans les programmes scolaires notamment) mais surtout à l’Afrique. Reprenant l’idée d’une "Renaissance africaine" et rappelant le potentiel considérable de l’Afrique en divers domaines, Alioune Sall notamment se prononce pour l’abandon des politiques de mimétisme, et en appelle à l’invention d’un avenir propre à l’Afrique et non pas calqué sur les modèles occidentaux imposés. 

Le Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy est finalement l’inverse de ce qu’il prétend être : ce n’est pas un ouvrage "grand public" de vulgarisation de l’histoire africaine. Pour les spécialistes d’histoire de l’Afrique, que le discours de Dakar a bouleversés, l’ouvrage est réconfortant, rassurant. Ils l’attendaient depuis longtemps, cette réponse précise et informée, qui ne souffre guère de réplique. En outre, l’ouvrage est pour eux passionnant et très instructif. Mais pour le grand public, la situation est bien différente : le lecteur non averti sait désormais que ses préjugés sur l’Afrique sont faux, mais le Petit Précis ne lui a guère permis de combler le vide ainsi crée. L’Afrique a une histoire, soit. Mais laquelle ? C’est là le reproche essentiel que l’on peut faire à cet ouvrage : en le refermant, on a le sentiment d’en avoir appris davantage sur l’Occident que sur l’Afrique. Les occasions de parler de l’histoire de l’Afrique, les moments où le public est disposé à s’informer sur le sujet sont rares, et il regrettable que les auteurs du Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy n’en aient pas profité davantage. Ils se débarrassent du sujet en un seul chapitre de C. Coquery-Vidrovitch, à la lecture fastidieuse, et n’y reviennent que très ponctuellement, comme on l’a signalé plus haut. Pourquoi tant de timidité à parler vraiment d’histoire de l’Afrique ? Pourquoi n’avoir pas parlé, pêle-mêle, de l’implacable État aboméen, des ruines de Great Zimbabwe, des conquêtes d’El Hadj-Omar, de la monnaie akan, du mystère de l’origine des Peuls, de la route des Esclaves, des révoltes anti-coloniales, de la grève des cheminots du Dakar-Niger, des leaders nationalistes des années 60… ? C’est un véritable petit précis d’histoire Africaine, synthétique et de lecture facile, qui aurait permis de lutter efficacement et surtout durablement contre les préjugés en la matière. Une "Histoire de l’Afrique pour les Nuls" ? Pourquoi pas ? Gageons qu’ainsi formulée, l’adresse à Nicolas Sarkozy aurait-été toute aussi claire