Écrivaine, brillante avocate, soutenant la cause d'hommes et de femmes opprimé(e)s, députée, ambassadrice UNESCO, Gisèle Halimi a oeuvré pour défendre les droits des femmes : lutte contre le viol, pour l'IVG, pour l'égalité professionnelle, la parité... Toutes ces années d'engagement, cette femme d'exception, mais aussi d'une grande simplicité et d'une grande gentillesse, les raconte dans un ouvrage absolument captivant, prenant, surprenant : Ne vous résignez jamais ! (Plon, 22 janvier 09)
Nonfiction : Pourquoi cet ouvrage ?
Gisèle Halimi : Si j'ai écrit ce livre, c'est parce que j'ai voulu relier mon parcours passé avec ce que je suis, et ce qui me reste. J'ai un parcours parsemé de procès, de batailles, d'engagements, j'ai eu besoin de voir s'il y avait une unité, une cohérence dans ma vie. Les combats que j'ai eus sont longs, ceux qu'il me reste, plus limités...
Nonfiction : Une révolte contre les injustices faites aux femmes qui vous vient dès votre enfance, en Tunisie, alors colonisée, dans les années 30...
Gisèle Halimi : J'ai fait du féminisme sans le savoir. Mon enfance m'asphyxiait, j'étais très malheureuse. Ma mère me disait : “Tu es une fille, ma grand-mère, ma mère ont vécu ainsi, moi aussi, tu vivras comme ça...”. On me racontait ma naissance, vécue comme une malédiction, cachée pendant trois semaines par mon père. Lorsque j'ai exprimé le souhait d'étudier, ma mère m'a répondu : “pour quoi faire ?”, alors que l'on se sacrifiait pour que mes frères aillent au lycée. J'ai senti en moi, physiquement, une révolte terrible, sauvage, je préférais mourir que d'accepter ça ! Faire les lits de mes frères, les servir à table, avec ma soeur, alors que nous étions bonnes à l'école et eux, des cancres : j'ai dit non ! Comment faire à 12 ans ? J'ai décidé de faire la grève de la faim. Je ne me levais pas, je ne mangeais pas, je ne buvais pas, je n'allais même pas au lycée, un crève-coeur. Le 3ème jour, mes parents ont pris peur. Pour ma mère, depuis toujours, j'avais un “grain”. Je tenais un journal dès que j'ai su écrire. Le 4ème jour j'y ai inscrit : “j'ai gagné mon premier morceau de liberté !”
Nonfiction : Vous dressez dans votre ouvrage un portrait assez inattendu de Simone de Beauvoir, avec qui vous fondez le mouvement féministe Choisir en 1971, mêlé d'admiration et d'incompréhension !
Gisèle Halimi : Je l'ai découverte étanche à la cause, mais parfaite, régulière, lançant des défis. Par exemple, Djamila Boupacha : j'étais effondrée par son enlèvement, qu'elles ne puissent pas se rencontrer : “C'est terrible, vous ne l'avez pas vue Castor !”. Elle m'a répondu : “Ce n'est pas grave, c'est la cause !”. Elle avait une barrière d'étanchéité, comme une anthropologiste. Nous avons eu un parcours au féminisme inversé. Elle était petite bourgeoise, avait fait des études, n'avait jamais connu la moindre discrimination. C'est quand Sartre lui a conseillé d'écrire Le Deuxième sexe qu'elle s'est rendu compte être féministe. Dans ses écrits de jeunesse, elle se dit amoureuse d'un cousin inodore, crétin, veut sa petite maison, son petit mari. Après tout, ce sont des écrits de jeunesse, mais elle avait quand même 21 ans, était agrégée de philosophie. Elle a également publié les lettres que lui adressait Sartre, mais pas celles qu'elle lui envoyait. Sa fille adoptive les a éditées : on y découvre un ton différent de ce que l'on connait d'elle et de celui de Sartre, un ton passionné : “mon cher mari, je serai votre petite babiole d'amour...” J'espère que les chercheuses féministes, en étudiant cela, nous rendront Simone de Beauvoir dans toute sa complexité !
Nonfiction : On le voit, vous avez mené un formidable parcours : quel regard portez-vous sur tous ces combats, sur ce destin d'exception ?
Gisèle Halimi : Dès 12 ans, j'obtiens en cachette une bourse pour aller au lycée où je choisis latin, car je sais déjà que je veux devenir avocate : un parcours banal en quelque sorte, puisque presque sans rebondissements ! De la même façon, je voyais autour de moi des Arabes colonisés souffrir du même mépris que les femmes. J'ai fait les liaisons politiques un peu plus tard, je suis restée dans la même veine, n'ai pas beaucoup changé, même si je reconnais des erreurs d'appréciation. C'est la première fois que je dis, car je me taisais, complice, qu'il existe des femmes se servant du féminisme pour faire carrière mais ne servant pas le féminisme. On peut citer Condoleezza Rice qui est contre l'avortement et l'assurance maladie, pour la peine de mort... Pourquoi sommes-nous sommées, toutes affaires cessantes, de soutenir une femme quand elle fait la politique ? Je me bats contre ça ! Ça implique une réflexion, il ne faut pas être complice ! On a beaucoup d'excuses : on se dit, elle n'est pas tout à fait féministe, mais on se sent solidaire ; puis, les femmes ont un tel retard, donnons lui une chance ; et enfin, c'est vrai que ce n'est pas tout à fait ça, mais il faut sauter le pas, le verrou, mettre une femme à l'Elysée : pas si elle n'est pas compétente.
On aura gagné lorsque devant une femme politique médiocre, on dira “regardez, elle est médiocre” et non “regardez, c'est une femme !” Etant donné mon âge, et une certaine responsabilité à l'égard des femmes, j'aurais dû parler, mais je me suis tu. J'ai pu faire preuve d'un lyrisme débridé aussi sur le désir d'enfant. Mais on n'a pas assez dit aux femmes que leur enfant aura sa propre histoire. La mère est conditionnée dans l'idée que jusqu'à la fin de sa vie, ce sera fusionnel avec son enfant. Raconter aux femmes que leur destinée, ça peut être ça et que jusqu'au bout ça va remplir leur vie, c'est injuste ! Être mère, c'est une histoire à plusieurs épisodes, je ne l'avais pas assez dit ! L'indépendance économique est un des socles de la liberté des femmes. C'est important dans les campagnes contre la violence faite aux femmes : si on ne fait que mettre en place un accueil, une attitude compassionnelle, quel choix aura la femme au foyer, sans argent, sans formation, sans travail, avec ses enfants, quand son mari violent reviendra la chercher ? Alors que celle avec l'emploi le plus modeste qui soit, ne sera plus seule ; le travail socialise, elle aura des adresses, ou même pourra aller à l'hôtel et saura que ses enfants ne manqueront de rien : elle a devant elle une vraie alternative !
Nonfiction : Vous êtes dure avec vous-même, vous avez fait énormément pour la cause des femmes. Pour ne citer qu'un exemple : l'autorisation de l'IVG !
Gisèle Halimi : J'ai moi-même vécu dans ma jeunesse, seule, à 18 ans, à Paris, un avortement clandestin, dans des conditions horribles. Je me suis battue pour que les femmes ne soient plus sujettes de leur corps. Je me suis engagée, seule avocate signataire du manifeste des 343, j'ai été sanctionnée...
Nonfiction : Est-ce qu'être féministe, c'est être athée ?
Gisèle Halimi : On peut être agnostique ! Objectivement, toutes les religions monothéistes ont infériorisé les femmes. Ce n'est pas juste cet haro sur l'islamisme, regardez dans les rues de Tel Aviv, certaines femmes ne regardent pas les hommes, des rabbins ne serrent pas la main des femmes, ce serait une souillure : c'est dire comment les religions les considèrent ! Toutes ont assujetti les femmes à une série de préceptes les transformant en êtres soumis, c'est cela l'intégrisme !
Nonfiction : On plaint les “hommes dévirilisés” : n'est-ce pas une chance pour eux ?
Gisèle Halimi : Ce concept est absurde ! Une fabrication de ceux voulant conditionner les femmes à avoir des remords, mais la liberté de l'homme passe par celle de la femme !
Nonfiction : Votre prochain combat ? La clause de l'Européenne la plus favorisée ?
Gisèle Halimi : C'est une idée que j'ai eue, un peu inattendue ou farfelue, il y a une vingtaine d'années. Dans cinq domaines – le droit de choisir de donner la vie, la famille, le travail, la politique et les violences faites aux femmes –, il s'agit de glaner dans chaque pays européen les lois existantes les plus en avance sur la cause des femmes, et d'en faire un bouquet législatif profitant au 255 millions d'Européennes. Les lois contre la violence en Espagne, la prostitution en Suède, le harcèlement sexuel en Lituanie..., deviennent la loi de toutes les Européennes. Une commission travaille sur le sujet, sur sa faisabilité, indépendamment du traité. C'est une lutte de l'avenir, l'occasion pour les Européennes de progresser toutes ensemble... Mais le combat c'est d'abord la vigilance, ne pas croire que tout est acquis.
Nonfiction : Souhaitez-vous que Maud, votre petite fille, suive votre voie ?
Gisèle Halimi : C'est pour elle que j'ai écrit ce livre, j'ai une passion pour ma petite fille. À 16 ans et demi, elle passe son bac, première de sa classe, et ne conçoit pas que l'on puisse penser qu'une femme soit inférieure à un homme. C'est à la fois bon signe, mais ça comporte aussi le danger de ne pas voir qu'il reste des combats à mener. Tout dépendra de ce qu'elle trouvera dans sa vie, je veux qu'elle ait conscience d'être l'avenir de l'égalité avec les hommes. Je ne suis pas inquiète, on n'a pas besoin de lui expliquer qu'elle est l'égale d'un homme et peut faire aussi bien !
À lire également sur nonfiction.fr :
- Notre dossier "2009, les femmes à la maison ?"
- Christine Delphy, L'ennemi principal, L'économie politique du patriarcat, t.1 (Syllepse), par Fabrice Bourlez.
- Christine Delphy, Classer, dominer. Qui sont les autres ? (La Fabrique), par Nathalie Heinich.
- Séverine Liatard, Les femmes politiques. En France, de 1945 à nos jours (Complexe), Cécilie Champy.
- Collectif, 14 femmes. Pour un féminisme pragmatique (Gallimard), par Marta Segarra.
- Sophie Cadalen, Les femmes de pouvoir. Des hommes comme les autres ? (Seuil), par Antoine Aubert.
- Collectif, Gender mainstreaming. De l'égalité des sexes à la diversité ? (L'Harmattan), par Emmanuel Da Silva.