Un bon livre sur la discrimination, les minorités et la crise des banlieues qui recadre un débat souvent marqué par des digressions stériles.

Encore un livre sur les discriminations, sur les minorités dites visibles, sur la crise des banlieues… oui, mais un bon. Un livre qui tombe donc à pic pour recadrer un débat marqué jusqu’à présent par des digressions parfois loufoques, très souvent stériles.


Une clarification des enjeux

Premièrement, sur la manière de penser les banlieues. En revenant sur les dynamiques sociétales qui ont transformé ces "cités radieuses" en "espace de relégations", l’auteur jette les bases d’une analyse qui, reconnaissant les dynamiques de séparation à l’œuvre, se refuse toutefois d’assimiler les banlieues françaises aux "ghettos".
Deuxièmement, sur la manière de penser les jeunes de banlieues. Pour l’auteur, ces jeunes sont à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la société. Ils sont dans la société puisqu’ils en partagent les aspirations et les comportements. Mais, ils demeurent en dehors tant ils subissent des traitements différenciés dans la quasi-totalité des domaines.


Des "exclus de l’intérieur"

Le livre s’attache ensuite à caractériser les mécanismes à l’origine de cet état de fait. Pour cela, l’auteur s’emploie à montrer que cette exclusion est "le produit de mécanismes d’occultation, de dénégation et de discrimination". Sans entrer dans les détails de l’argumentation, on soulignera l’habileté avec laquelle l’auteur explicite le mode de traitement actuel d’une question de société "qui consiste à prendre la partie pour le tout" et inverse "l’ordre des effets et des causes" en faisant du discriminé le responsable de son stigmate.

Le lecteur de cette critique comprendra donc que l’on conseille vivement la lecture de cet ouvrage. S’il parvient toutefois à se défaire de l’interprétation qu’impose son titre...


Un titre mal choisi

Le titre est trompeur car le lecteur intéressé par le thème des discriminations n’y trouvera pas son compte : l’objet du livre n’est simplement pas celui-là (les références sur ces parties sont d’ailleurs particulièrement maigres). Il obscurcit le débat car pour comprendre le "caractère collectif des phénomènes de discrimination" et plus généralement faire "l’économie des relations entre les groupes sociaux", il est nécessaire de distinguer les sentiments envers les membres d’un groupe (aime-t-on ou n’aime-t-on pas ces gens ?) des représentations qu’on a des membres de ce groupe (sont-elles stéréotypées ?) et des traitements qu’on leur inflige (allons nous toutefois effectuer une transaction avec ces gens ?). Sans cette clarté, on ne peut comprendre pourquoi il peut y avoir hostilité envers un groupe sans discrimination et vice versa. Il peut y avoir hostilité envers l’autre sans discrimination et discrimination sans hostilité.

Robert Castel aurait gagné à se démarquer par une plus grande précision conceptuelle sur ce sujet, dans un contexte où elle fait terriblement défaut, et ce de manière récurrente, dans le débat hexagonal sur les discriminations. Il nous empêche de saisir la complexité des mécanismes à l’œuvre et d’y trouver ainsi les remèdes nécessaires.


* En complément, vous pouvez également lire :

La critique du livre d'Alain Renaut, Egalité et discriminations (Seuil), par Céline Spector.

La critique du livre de Patrick Savidan, Repenser l'égalité des chances (Grasset), par François Dietrich.

La critique du livre de Rachida Dati, Je vous fais juges (Grasset), par Florent Bouderbala.

La critique du livre de Marco Oberti, L'école dans la ville (Presses de Sciences Po), par Olivier Rey.

La critique du livre de Frédérick Douzet, La couleur du pouvoir (Belin), par Romain Huret.

La critique du livre d'Olivier Ihl, Le mérite et la République (Gallimard), par Ludwig Speter.

Le compte-rendu de deux articles du New York Times, par Boris Jamet-Fournier.