Deux articles très intéressants dans l’édition online du New York Times cette semaine : on parle d’une nouvelle politique d’affirmative action et des facteurs d’ascension sociale aux Etats-Unis. Pas de doute, on reste dans des thèmes très américains !

Le premier article nous décrit le nouveau visage des politiques de discrimination positive sur la côte ouest. Instituées depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, elles sont aujourd’hui considérées avec un peu de recul, notamment par les membres des communautés ethniques eux-mêmes. Ward Connerly, un homme d’affaires californien, a par exemple mené une campagne dans son Etat pour que les politiques d’affirmative action ne puisse plus prendre la "race" comme critère de sélection ; son raisonnement est que cette prise en compte ne change rien à la racine des problèmes de la communauté noire aux Etats-Unis, et finit par être un argument un peu facile pour ceux qui veulent que rien ne bouge : " on a déjà la discrimination positive", répondraient-ils comme on se sert d’un alibi.

Or la société américaine, et les minorités raciales en particulier, ont justement besoin que "ça bouge". Dans une tradition johnsonnienne assez déterministe, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les ratés des politiques de discrimination positive, puisqu’elles commettent l’erreur assez grossière de ne presque jamais prendre en compte les facteurs socio-économiques. Résultat, la porte des universités reste fermée pour bien des familles modestes, et les classes moyennes des communautés ethniques se trouvent, elles, largement favorisées. On a fini par faire primer le moyen sur le but : il ne s’agit plus aujourd’hui d’effectuer un recrutement plus juste (l’objectif de départ), mais simplement d’arriver à un corps étudiant "plus mixte" - "more diverse", comme on l’entend partout dans les grandes universités américaines. L’idée est donc d’introduire petit à petit des facteurs socio-économiques dans les procédures d’affirmative action, qui ne sont d’ailleurs pas des succès sur tout le territoire. Parmi les plus prestigieuses institutions académiques des Etats-Unis, seules UCLA et Berkeley ont su réellement continuer à faire vivre la philosophie de l’affirmative action. Berkeley, meilleure université publique du pays, utilise par exemple une approche holiste pour le traitement des candidatures : contrairement à ce qui se passe ailleurs, c’est la même personne qui étudie les notes des "high school graduates" et qui lit les "statements" dans lesquels ils se présentent et font état, le cas échéant, des difficultés de vie qu’ils ont eu à surmonter. Petite surprise à la fin de ce long article : 85% des américains trouvent plus logique de baser l’affirmative action sur des critères économiques que sur des critères ethniques. Ce peuple d’Amérique fera donc tout pour ne pas coller aux stéréotypes qu’on veut lui attribuer en Europe !

Autre page à visiter, celle du blog Freakonomics, qui fait suite à l’excellent livre de Dubner et Levitt : on y retrouve un schéma un peu iconoclaste sur les trajectoires sociales aux Etats-Unis.

Décidément, en Amérique, l’époque semble être propice à la réintroduction de problématiques classistes qui n’existent même pas sur le vieux continent. Mais puisque la tendance en France est aux libéraux américanophiles, qu’ils se rassurent : ce ne sont que deux articles, et surtout, ce n’est que le New York Times !


"The New Affirmative Action" et "What Do Close Encounters of the Third Kind and a Border Fence Have in Common?", NYT online du 28.09.2007

* En complément, vous pouvez également lire :

La critique du livre d'Alain Renaut, Egalité et discriminations (Seuil), par Céline Spector.

la critique du livre de Patrick Savidan, Repenser l'égalité des chances (Grasset), par François Dietrich.

La critique du livre de Robert Castel, La discrimination négative (Seuil), par Jérémie Cohen-Setton.

La critique du livre de Marco Oberti, L'école dans la ville (Presses de Sciences Po), par Olivier Rey.

La critique du livre de Frédérick Douzet, La couleur du pouvoir (Belin), par Romain Huret.

La critique du livre de Rachida Dati, Je vous fais juges (Grasset), par Florent Bouderbala.

La critique du livre d'Olivier Ihl, Le mérite et la République (Gallimard), par Ludwig Speter.