N’en demandons pas trop au sport : voilà ce que l’on pouvait retenir en somme du séminaire "Les grands événements sportifs : un outil de reconquête de la reconnaissance internationale ?" organisé par l’Institut français des relations internationales (IFRI) le mardi 9 septembre.

Dans le cadre de son cycle de séminaires organisés par le programme de recherche "Sport et Relations internationales", l’institut avait réuni Patrick Clastres, historien du sport et de l’olympisme, et Jérôme Champagne, directeur des relations internationales de la FIFA   , pour confronter leur regard sur la complexité des liens entre sport et politique. Un sujet d’actualité donc, 15 jours après la cérémonie de clôture des Jeux de Pékin   et l’extinction des spots occidentaux, tournés un mois durant - mais pas plus - vers la plus grande dictature du monde. Pourtant, peu de temps fut consacré à ces Jeux, les 29e de l’histoire moderne. Il est étrange de voir les participants au débat n’accorder que peu de mots à cet évènement mondial où le sport, relayé au rang de prétexte, fut d’abord victime de la politique.


De Napoléon à Zidane

Car l’objet est bien là : le sport et les sportifs ont souvent été utilisés par le pouvoir, et dans une double optique. Premièrement comme outil d’identification et de construction d’un patriotisme : Zidane et Ribéry sont les nouveaux Napoléon et Clemenceau, et en France, on sait combien de mauvais résultats sportifs d’une équipe peuvent influer sur le moral d’un pays. Secondement, comme un élément de puissance : en effet, il faut bien penser les Jeux olympiques, comme tout autre grand évènement sportif, comme une vitrine à visée internationale. À cet égard, la République populaire de Chine, tant louée pour la qualité de son organisation autant que pour l’efficacité de ses sportifs, a parfaitement réussi son coup.

De ce point de vue là, une partie signifiante du séminaire portait sur un thème pour le moins intéressant mais quelque peu déconnecté du sujet, à savoir l’importance de la compétition, modèle dominant dans le sport mais bientôt dépassé, d’après Patrick Clastre. S’il est acquis que l’évolution lourde des pratiques sportives tend à une démocratisation de plus en plus profonde, faisant même parvenir le sport jusqu’à notre salon grâce aux consoles de jeux vidéos, on aurait aimé se voir expliquer plus en détail comment on pourrait arriver à la disparition de la compétition, même concurrencée par un hédonisme de plus en plus prégnant. Les enjeux financiers semblent trop importants, les traditions de supporting trop ancrées. Nos héros victorieux et nos perdants magnifiques ont encore une longue vie devant eux.



La Jamaïque : 11 médailles pour moins de 3 millions d’habitants ; l’Inde : 3 médailles pour 1 milliard

C’est finalement ce qu’on pouvait reprocher à cette conférence : sa brièveté. Certes, de nombreux points ont été soulevés et des éléments de réponse donnés, mais certains sujets méritaient plus de temps. Le sport et la mondialisation, par exemple, est un thème aussi passionnant que trouble. Le sport participe de façon notable à la mondialisation culturelle, c’est évident. Par exemple, le basket, sport yankee s’il en est, est le plus pratiqué de tous en Chine, et le football est internationalement célébré depuis près de 80 ans   . Mais certains faits sont remarquables de complexité sociale. Prenons le cas de l’Inde : quelles sont les raisons qui expliquent qu’un pays aussi important (plus d’un milliard d’habitants) ne rentre de Pékin qu’avec 3 médailles, dont une seule en or ? À ces questions, les réponses sont multiples, mais jamais définitives.

Certains sujets auraient donc mérité d’être approfondis, et d’autres n’ont même pas été traité, ou si peu. Le phénomène de la corruption, notamment, fléau qui gangrène le sport tout autour du monde et en empêche le développement, surtout dans les régions qui en ont le plus besoin. De même, le nationalisme, bien qu’il fût quelque peu évoqué, notamment pour déplorer le chauvinisme des télévisions, françaises comme étrangères, eut pu être approché d’une façon plus complète. Et certains auront souri en écoutant l’idéalisme de Jérôme Champagne, diplomate de formation il est vrai, parler "de patriotisme sain". Sans doute n’était-il pas né en 1969, lors de la "guerre des Cent heures", qui vit le Honduras et le Salvador s’affronter à l’issue d’un match de football. Des milliers de mort, tout de même.

Mais il ne faudrait pas "réécrire l’histoire par le petit côté", comme le dit justement Dominique Moisi, qui présida ce séminaire. Dans la "guerre des Cents heures", le ballon rond n’eut que le rôle de l’étincelle. Finalement, on a tôt fait d’accabler le sport de tous les défauts et de toutes les responsabilités. Jérôme Champagne rappelle d’ailleurs qu’il n’y a pas de raison que le football ne possède pas son lot "de racistes, de tricheurs, de sexistes et d’escrocs parmi [ses] 250 millions de licenciés". De même, gardons nous de "demander au sport de régler les problèmes du monde", en somme, ce que les politiques ne parviennent pas à accomplir. Là n’est pas son objet, son ambition. Et ce, malgré toute son emprise sur les quatre continents et parmi toutes les couches de la population. Emprise que ne reniaient nullement les participants : à leur discours et à leur enthousiasme, on les sentait passionnés par leur sujet. Et c’était bien là le plus important


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Notre photo : image de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Pékin.

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

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Une étude sur le rapport ambigu entre sport et politique à la lumière des instrumentalisations du premier par le second dans l'Allemagne et l'Italie des années 1930. Par Emmanuelle Loyer.

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Entre dévotion, honnêteté intellectuelle et naïveté, une tentative de réhabilitation qui ne convainc pas vraiment. Par Jérôme Ségal.

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Yvan Gastaut revient sur l'espoir déçu de l'esprit "black-blanc-beur", né lors de la victoire en Coupe du monde de football en 1998. Une analyse inaboutie. Par Thomas Fourquet.

- la critique du livre de Sébastien Darbon, Diffusion des sports et impérialisme anglo-saxon. De l’histoire événementielle à l’anthropologie (Éditions de la Maison des sciences de l’Homme)
Darbon examine le lien entre l'impérialisme anglo-saxon et la diffusion des sports dans le monde. Un ouvrage exceptionnel à plus d'un titre. Par Mathieu Fonvieille.