Pierre Manenti, contributeur de Nonfiction, propose la première biographie historique de Charles Pasqua, l'une des figures les plus controversées du gaullisme et de la Cinquième République.
« Corsaire », « voyou », « mafieux » : rien n’a été épargné à celui qui a pourtant été un serviteur loyal du général de Gaulle avant d’être l’homme-lige de Jacques Chirac et l'un des fondateurs du RPR. Dix ans après sa mort, c’est grâce à des archives publiques et privées inédites, que sa famille a bien voulu lui laisser consulter, que Pierre Manenti lève enfin le voile sur la vie de Charles Pasqua.
Ce petit-fils de berger corse et fils de policier, résistant dès l’âge de 16 ans, puis commercial créatif et visionnaire chez Ricard, impressionne : il s’est fait tout seul, de plagiste et détective privé à député, eurodéputé, sénateur, président de conseil général et même deux fois ministre de l’Intérieur. En même temps, son nom est lié à des dossiers pour le moins sensibles, de sa participation au SAC (la police parallèle du gaullisme) à ses relations sulfureuses avec le monde du banditisme et la Françafrique. Pasqua, c’est enfin le nom d’une certaine droite, d’obédience gaulliste, de tradition bonapartiste, souverainiste, mais aussi sociale et populaire. Voici, pour la première fois racontée par un historien, l'une des carrières les plus controversées de la Cinquième République, au miroir de laquelle se lisent les fractures et les divisions de la droite contemporaine.
Nonfiction.fr : Après Albin Chalandon et « Les barons du gaullisme », vous consacrez votre dernier ouvrage à Charles Pasqua. En quoi son parcours est-il exceptionnel ?
Pierre Manenti : C’est une figure incontournable de la droite gaulliste et post-gaulliste de ces cinquante dernières années. Je me suis beaucoup intéressé, dans mes précédents ouvrages, à la question de la survivance du gaullisme. Comment le parti survit-il au général de Gaulle ? Que devient le gaullisme après son retrait de la scène politique ? C’est une question d’histoire, mais aussi d’actualité à l’heure où tout le monde s’en revendique.
Or, il y a un phénomène incroyable, en 1974-1976, qui est la captation de l’héritage gaulliste et la phagocytose du parti par Jacques Chirac, d’abord depuis Matignon, ensuite à travers un nouveau parti créé de toutes pièces : le Rassemblement pour la République (RPR). Dans cette transformation de la droite, il y a un homme qui fait la passerelle entre le passé et l’avenir, c’est Charles Pasqua. Jeune loup, mais déjà vieux militant avec vingt ans d’expérience au sein du service d’ordre du parti, et notamment du SAC, gaulliste fidèle et intransigeant, devenu député en 1968, puis président de conseil général en 1973. C’est le début d’une carrière de quarante ans, qui méritait d’être racontée.
Homme de réseaux et stratège, plusieurs dérives ont participé à la construction d’une légende noire : ses méthodes comme ministre de l’Intérieur, ses relations avec certains régimes africains ou encore ses affaires judiciaires. Comment avez-vous traité ces aspects ?
Il était impossible de ne pas évoquer ces affaires et cette part d’ombre du personnage au moment d’en faire la biographie. J’ai pu bénéficier, pour l’écriture de ce livre — le premier depuis sa disparition il y a dix ans maintenant — d’un accès inédit à ses archives. C’est un matériau brut, neutre, pour l’historien, qui m’a permis de reposer certaines choses, ainsi de pointer du doigt des moments méconnus de son parcours, mais aussi d’écarter certaines « légendes noires ».
Sa participation au SAC est l’exemple même de ce trait grossi du personnage, sur lequel beaucoup de choses ont été dites, sans toujours s’intéresser à la vérité. On le présente ainsi souvent comme l'un des fondateurs du service d’ordre gaulliste, ce qu’il n’était pas. Le recueil de près d’une cinquantaine de témoignages m’a permis de compléter ce portrait en nuances, ni dans l’hagiographie, ni dans le procès.
Ce n’est pas votre première biographie, mais le personnage est entouré de nombreuses zones d’ombre. Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la préparation de cet ouvrage et comment les avez-vous surmontées ?
Comme pour toute biographie d’une personnalité contemporaine, il y a une richesse incroyable, c’est l’accès aux sources « vivantes » (les contemporains, journalistes, politiques, collaborateurs, membres de la famille). C'est aussi un risque pour un travail historique d’une telle ampleur, qui doit toujours revenir à la trace écrite, au croisement, à la vérification de l’information, etc. Cela tient souvent de l’enquête. Je dois une grande reconnaissance à la famille de Charles Pasqua, qui m’a donné accès à ses archives, mais qui m’a aussi laissé travailler de manière apaisée.
Le fait de ne pas être à mon coup d’essai, de bien connaître le milieu gaulliste, ses derniers témoins, mais aussi les arcanes de la vie politique – pour avoir travaillé au Parlement et dans plusieurs cabinets ministériels – a été un atout pour réussir ce livre. Il m’a aussi ouvert la perspective de futurs ouvrages.