Si l'anthropologie connaît des sociétés aux rapports de sexe équilibrés, le matriarcat est un mythe historique. L'égalité doit donc être cherchée dans l'avenir, plutôt que dans le passé ou l'ailleurs.

L’existence d’un matriarcat primitif est-elle une condition sine qua non pour envisager l’émancipation des femmes ? Que nous disent au juste des disciplines comme la préhistoire ou l’anthropologie sur les rapports entre les hommes et les femmes dans les sociétés du lointain passé ? Comment s’assurer que leurs découvertes ne soient pas obscurcies par des biais méthodologiques ? Et quid de l’hypothèse selon laquelle la domination masculine aurait une origine évolutive ? Pour répondre à ces questions brûlantes, nous avons rencontré la préhistorienne Anne Augereau et l’anthropologue Christophe Darmangeat, récents coordinateurs aux PUF du livre Aux origines du genre.

 

« Un spectre hante le féminisme : le spectre du matriarcat primitif », écrivez-vous au tout début de votre ouvrage. Qu’entendez-vous par là ?

Depuis un siècle et demi que l’on tente de raisonner sur l’histoire (et la préhistoire) des rapports entre les sexes, une idée revient régulièrement : celle selon laquelle les femmes auraient été, à l’aube de l’humanité, les égales des hommes, voire qu’elles auraient occupé une place prépondérante. L’oppression des femmes aurait donc constitué un phénomène tardif à l’échelle des sociétés humaines, que l’on situe généralement quelque part entre le Néolithique et l’apparition des États.

Ce scénario a été proposé pour la première fois en 1860, avec la publication du livre fondateur de J. J. Bachofen sur Le droit maternel, sur la base d’arguments qui se sont rapidement révélés très fragiles. Cependant, depuis lors, la conviction d’une phase initiale des sociétés humaines marquée par une absence de domination masculine et une prééminence plus ou moins prononcée des femmes n’a cessé de resurgir. Elle a parfois mobilisé des arguments nouveaux, mais le plus souvent, elle s’est contentée d’ignorer les objections qui lui avaient été apportées.

Tout récemment, une série de publications et de documentaires – les livres de Marylène Patou-Mathis ou encore le film Lady Sapiens, pour ne citer qu’eux – qui ont bénéficié d’une forte exposition médiatique, a décliné sur tous les tons la supposée « puissance » des femmes du Paléolithique.

Le succès de tels narratifs, qui contraste avec la minceur des indices sur lesquels ils reposent, s’explique avant tout par le fait qu’ils répondent à un besoin. Pour beaucoup de celles et ceux qui aspirent aujourd’hui à la disparition de la domination masculine, son caractère tardif est censé constituer un point d’appui en faveur de succès futurs : « cela n’a pas toujours été ainsi, donc cela peut changer ». Inversement, admettre que cette domination masculine pourrait exister depuis des temps très reculés est volontiers vu comme une manière de la considérer comme naturelle et par là-même, inéluctable.

En réalité, de telles manières de raisonner sont séduisantes, mais elles sont trompeuses. Ce n’est pas parce qu’elle s’avérerait aussi ancienne que l’humanité elle-même que la domination masculine ne saurait être dépassée. Inversement, ce n’est pas parce qu’elle serait, à l’échelle de l’histoire des sociétés humaines, un phénomène récent, qu’elle pourrait pour autant être facilement abolie. Il n’est d’ailleurs pas inutile de se rappeler que la thèse d’une prééminence initiale des femmes n’est pas une spécificité moderne. Bien avant même d’être une théorie scientifique, elle fut un mythe fondateur pour de nombreux peuples. Et ce récit des origines était loin de s’inscrire dans une perspective féministe : au contraire, il avait pour fonction d’expliquer que cette domination initiale ayant mené le monde au chaos, les hommes avaient dû le remettre dans le bon ordre pour toujours.

 

Pour essayer de comprendre quels étaient les rapports de genre dans le lointain passé, les sciences humaines mobilisent généralement deux disciplines, l’archéologie et l’anthropologie. Commençons par la première. Dans quelle mesure permet-elle de reconstituer ces rapports et que nous dit-elle à leur propos ?

Les sciences humaines enseignent que le genre n’existe que lorsqu’il s’énonce et se matérialise, notamment dans les vêtements, les habitudes alimentaires, dans les espaces, les activités, les objets, les outils, etc. Par exemple, il n’y a pas si longtemps, la cuisine était un lieu féminin et le salon un lieu plutôt masculin où Monsieur recevait ses connaissances. Aujourd’hui encore, les métiers dédiés au soin d’autrui, comme ceux de l’infirmerie ou de la puériculture, sont occupés en grande majorité par des femmes. On dit aussi que les grandes bourgeoises font preuve d’un raffinement discret dans leur mise. Certains de ces marqueurs matériels de genre sont perceptibles dans les données archéologiques. Ainsi, les grands cimetières du Néolithique rubané, une culture présente dans toute l’Europe centrale jusque dans le Bassin parisien, autour de 5000 ans avant notre ère, ont livré une profusion d’individus dont on peut étudier les parures, les attaches de vêtement, les armes et outils déposés à leur côté dans la tombe. En observant les microtraumatismes ou les déformations osseuses, on peut aussi restituer une partie des activités qu’ils ont menées de leur vivant et ainsi aborder la division sexuée du travail, dimension clef de la domination masculine. Ainsi, certains hommes portent au coude droit des traces de tendinite, probablement provoquée par des mouvements de lancés répétés tels que le maniement de l’herminette ou peut-être le tir à l’arc – leurs tombes sont les seules à contenir des flèches.

Chez les femmes, les marqueurs osseux indiquent une grande robustesse des bras, peut-être due au maniement intense d’outils de broyage comme le va-et-vient de molettes sur des meules fixes. L’arsenal des analyses chimiques nous permet d’explorer le domaine alimentaire, pour lequel les récits ethnographiques relèvent souvent des différences entre hommes et femmes. Il s’avère qu’au Rubané, la diète se caractérise par l’ingestion plus ou moins importante de féculents ou de protéines animales selon le sexe, l’âge ou le statut. Enfin, les analyses génétiques montrent que les femmes ont probablement circulé davantage entre les groupes que les hommes, peut-être dans le cadre de systèmes de mariages où la fiancée vient résider chez son futur mari. Nous avons donc des informations tangibles sur la division du travail, l’alimentation, les origines, etc. On notera que ces résultats évoquent une configuration assez commune dans les données de l’ethnologie.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que seule nous parvient une infime partie des rapports de genre : l’information sur la division sexuée du travail reste très partielle et nous ne savons rien des systèmes religieux, des mythes et des croyances, des droits sexuels qui sont des vecteurs importants de la domination masculine.

 

Tout de même, il semblerait que certains vestiges archéologiques, comme la Dame du Cavillon, exhumée en Italie, non loin de la frontière française, ou encore la « femme chasseresse » de Wilamaya Patjxa, découverte dans les Andes, attestent de l’existence, dans un lointain passé, de sociétés ou des femmes puissantes ont vécu sur un pied d’égalité avec les hommes.

Ce type d’interprétation est effectivement en vogue. Comme il correspond à quelque chose que le public a envie d’entendre, il permet de faire du buzz et de vendre du papier. Quant à savoir si ces éléments archéologiques prouvent effectivement ce qu’on veut leur faire dire, c’est une autre paire de cubitus. Notre livre consacre justement deux chapitres à ces cas, écrits par des spécialistes de ces périodes – dont Dominique Henry-Gambier, récemment disparue, et à qui le livre est dédié.

En deux mots, il n’existe absolument rien dans la sépulture de la Dame du Cavillon qui permettrait d’affirmer que celle-ci aurait joui d’une considération ou d’un statut particulièrement élevé. L’idée d’une « femme puissante », voire d’une « princesse », parfois évoquée, ne repose en réalité sur rien de plus que de vagues impressions. Quant à la possible chasseuse andine, pour commencer, ni son sexe, ni ses activités ne sont établis avec certitude. Ensuite, même si ce cas était avéré, il faudrait un peu de prudence avant d’affirmer qu’il est représentatif de l’ensemble de la population féminine pour l’ensemble des Amériques – voire pour le monde entier – et sur toute la durée du Paléolithique.

Ces interprétations, ou plutôt ces surinterprétations, procèdent d’une aspiration plus générale : celle qui aimerait à penser qu’il n’existait aucune division sexuée du travail au Paléolithique et que cette institution indispensable à la domination masculine ne serait qu’une innovation plus tardive. À l’appui de cette opinion, on invoque parfois l’argument selon lequel les traces archéologiques pour cette période ne laissent entrevoir ni division sexuée des tâches, ni oppression des femmes. C’est tout à fait vrai, mais la question est tout de même de savoir si, selon la formule consacrée, cette absence de preuves constitue bel et bien une preuve de l’absence.

Quelles traces la division sexuée du travail aurait-elle pu laisser, sachant le peu de données archéologiques qui nous sont parvenues ? Pour cette immense période, nous n’avons tout au plus que quelques dizaines de squelettes mal conservés. Et dans des sociétés dépourvues de richesse, qui n’enterraient pas leurs morts, qui non seulement n’écrivaient pas, mais dont l’art ne représente ni scènes, ni humains réalistes, à quoi serait-on censé pouvoir identifier la domination masculine ?

En réalité, il faut bien garder à l’esprit que sur toutes ces questions, nous ne disposons pour ainsi dire d’aucun indice direct et que nous ne savons donc à peu près rien. Nous ne pouvons que bâtir des raisonnements, sans avoir de réels moyens de les vérifier. Comme la division sexuée du travail (le plus souvent accompagnée d’un degré plus ou moins prononcé de domination masculine) était présente dans la totalité des peuples de chasseurs-cueilleurs observés en ethnologie, l’hypothèse la plus probable est tout de même que ces traits remontent à une époque assez ancienne, sans que nous puissions la situer plus précisément.

 

Quid de l’anthropologie sociale ? Apporte-t-elle des éléments probants à l’hypothèse selon laquelle il aurait existé, avant un moment de bascule catastrophique (le néolithique, la modernité capitaliste, etc.), des sociétés matriarcales ou, à défaut, égalitaires au niveau de leurs rapports de genre ?

Il faut bien dissocier ces affirmations, et les discuter une par une. Au vrai sens du terme, le matriarcat constitue un « pouvoir des mères » (ou des femmes), c’est-à-dire un pouvoir s’exerçant y compris sur les hommes. Clairement, aucune société répondant à cette définition n’a jamais été observée. Quant aux données archéologiques, elles ne donnent pas davantage d’arguments en faveur de son existence passée. Cette absence (totale, jusqu’à preuve du contraire) de société dominée par les femmes représente une constante anthropologique remarquable et intrigante, et qui appelle évidemment une explication.

En revanche, des sociétés caractérisées par des rapports de sexe équilibrés sont parfaitement attestées, qu’il s’agisse de chasseurs-cueilleurs (comme par exemple ceux des îles Andaman) ou de cultivateurs, comme les célèbres Indiens iroquois. Ce type de rapports entre les sexes, s’il n’est pas exceptionnel, reste cependant un cas de figure assez minoritaire. Il faut également bien garder à l’esprit qu’il est très éloigné de l’idéal qui marque certaines des sociétés contemporaines et que l’on appelle « l’égalité des sexes ». Cette expression désigne en effet une situation dans laquelle les êtres humains, quel que soit leur appareil génital, bénéficieraient des mêmes droits, mais aussi des mêmes opportunités pour l’ensemble des aspects de leur existence sociale. En d’autres termes, l’égalité des sexes, ce n’est rien d’autre que la disparition des genres. Mais cet idéal est tout à fait spécifique de la société moderne. Dans les sociétés que, faute d’un meilleur terme, on appelle « primitives », les rapports entre les sexes ne sont jamais conçus ainsi. Il s’agit toujours d’un équilibre entre deux sphères qui demeurent bien délimitées et séparées. Hommes et femmes sont tenus de s’adonner à des tâches et à des activités spécifiques, et l’on peut donc dire que même lorsque toute domination de genre est absente, ces sociétés sont sexistes.

Quant à savoir s’il a existé un moment de bascule des rapports de genre, c’est une question bien difficile. Il n’y a certainement pas eu, comme le pensaient Bachofen ou Engels, de seuil identifiable à partir duquel la domination masculine aurait été instaurée. Certains cas de domination masculine très affirmée et structurée ont été relevés dans des sociétés de purs chasseurs-cueilleurs. Comme nous le disions précédemment, l’hypothèse la plus économique est que cette domination masculine soit apparue très tôt, au moins dans certains groupes humains – sans qu’on puisse être plus précis. On ne peut en revanche exclure qu’une certaine détérioration générale de la situation des femmes soit intervenue à des stades ultérieurs de l’évolution sociale. C’est une hypothèse aussi difficile à étayer qu’à démentir. Le grand nombre de situations différentes observées en ethnologie empêche d’établir des statistiques et des raisonnements généraux fiables.

 

A vous croire, le patriarcat serait donc aussi ancien que l’humanité elle-même. Faut-il alors y voir un héritage dans notre évolution biologique ?

Les seuls éléments d’information dont on dispose sur ce point sont les rapports de genre parmi les espèces de singes, qui sont nos proches cousines. Parmi ces espèces, on s’intéresse en particulier au chimpanzé dit robuste, marqué par une forte domination masculine, et au chimpanzé gracile, ou bonobo, avec des rapports de genre beaucoup plus équilibrés, voire une certaine prééminence féminine. Mais nous ne savons pas à quoi ressemblait, sur ce plan, notre dernier ancêtre commun. On ne peut donc pas exclure l’hypothèse que la domination masculine, comme d’autres traits tels que l’exogamie, soit un héritage biologique qui aurait ensuite été « humanisé », c’est-à-dire refaçonné par la culture, au point d’être systématisé et formalisé dans la plupart des cultures, et virtuellement éliminée dans quelques autres. L’humanité est marquée par sa capacité à faire évoluer ses rapports sociaux et ses valeurs culturelles, même si ces évolutions n’interviennent pas dans n’importe quel contexte. Ainsi que le disait déjà Marx : « L'Histoire tout entière n'est qu'une transformation continue de la nature humaine ».

 

Dans quelle mesure les données scientifiques sont-elles fiables ? Ne témoignent-elles pas d’un biais masculin poussant les hommes à rétroprojeter sur les sociétés du passé leur propre domination dans le présent ?

Il est très facile de répondre à cette question : les données scientifiques sont fiables… dans une certaine mesure ! Plaisanterie mise à part, il est non seulement possible, mais légitime, de garder une approche critique vis-à-vis des données. Les observations ethnologiques, par exemple, doivent toujours être accueillies avec prudence : il faut les évaluer en fonction de l’identité de l’observateur et du contexte, exactement comme un enquêteur scrupuleux s’efforce de soupeser la valeur de chaque témoignage. On ne peut exclure que dans certains cas, les exemples allégués de domination masculine soient en réalité des faux-semblants, dus à l’impact du colonialisme ou aux lunettes déformantes de l’ethnologue. Ces nuances ne remettent cependant pas en cause le tableau d’ensemble. Celui-ci repose sur des données si nombreuses et si convergentes qu’elles ne laissent guère place au doute – et il ne faut pas oublier que parmi ces témoignages, il y a ceux des membres de ces sociétés eux-mêmes, qui a priori savent de quoi ils parlent !

En ce qui concerne l’archéologie, le problème est un peu différent. Son histoire est évidemment jalonnée par des interprétations en partie marquées par les préjugés de l’époque – et la nôtre, que ce soit d’une manière ou d’une autre, ne fait évidemment pas exception. Le travail scientifique et la discussion critique permanente qui le caractérise, ont précisément pour fonction de corriger ces erreurs et d’améliorer sans cesse notre connaissance de la réalité. Et si la collectivité scientifique peut en partie se tromper et être victime de certains biais, il serait tout de même très problématique de proclamer sans ambages (et sans arguments sérieux) qu’elle se trompe et que, comme le disait une fameuse série télévisée, « la vérité est ailleurs ».

 

L’historienne Christelle Taraud distingue patriarcats de basse et de haute intensité, suggérant que ces derniers ne sont apparus qu’au Néolithique. Que vous inspire cette position ? pensez-vous que le Néolithique ait constitué une période d’intensification du patriarcat et de dégradation de la condition féminine ?

Nous le disions plus haut, il est très délicat d’être affirmatif à ce niveau de généralité et il y a certainement eu bien des trajectoires et bien des Néolithiques. Néanmoins, dans les cultures néolithiques européennes, une forme d’ores et déjà prononcée de patriarcat semble hautement probable : les données montrent des hommes dominants par leur statut, leurs origines strictement locales, leur position centrale dans les cimetières. A cela s’ajoute des femmes plus mobiles, dont certaines ont pu être raptées suite à des conflits armés entre communautés : dans plusieurs charniers, parmi les individus massacrés, on constate un déficit de femmes en âge de procréer.

Et puis, si le patriarcat existait au Néolithique, cela ne veut pas dire qu’il n’existait pas avant ! L’étude des derniers chasseurs-cueilleurs européens, les mésolithiques, montre des indices en faveur de différences alimentaires hommes/femmes et une division sexuée du travail conforme aux observations anthropologiques. Quant aux femmes que le Néolithique aurait reléguées au foyer et à leurs fonctions reproductives, c’est une projection de nos préoccupations actuelles : les femmes néolithiques étaient très actives et, même si les hommes semblent avoir arpenté plus intensément le territoire, les attaches musculaires féminines portent aussi les traces de longues marches et du port de lourdes charges ! En d’autres termes, les femmes, comme les hommes, travaillaient beaucoup, et pas seulement à la maison.

 

Récemment, le collectif d’historiens Actuel Moyen Age a critiqué l’instrumentalisation et l’usage imprécis que certaines militantes féministes – dans ce cas la député Sandrine Rousseau – peuvent faire de l’histoire, notamment à propos de la chasse aux sorcières, révélant des problèmes voisins de ceux auxquels sont confrontés anthropologues et préhistoriens. Ce à quoi certains intellectuels de gauche ont répondu que l’instrumentalisation du passé et la construction de mythologies politiques sont nécessaires et légitimes d’un point de vue stratégique pour autant qu’ils servent une bonne cause, en l’occurrence l’émancipation des femmes. Que vous inspire ce débat ?

À propos de la chasse aux sorcières, l’un d’entre nous s’était déjà exprimé il y a quelques années pour dénoncer la manière dont se construisait un narratif contestable, qui piétinait quelques réalités historiques. Quoi qu’il en soit, ce débat précis recouvre effectivement une question plus large. Il fut un temps où, pour le camp qui se disait progressiste, il allait de soi que les seuls à avoir intérêt à la dissimulation et au mensonge étaient les exploiteurs, et que le combat pour l’émancipation était indissociable de celui pour la vérité. Pour diverses raisons, on a assisté ces dernières décennies à un renversement assez paradoxal. Certaines franges de ce même camp progressiste ne cessent d’exprimer leur peu de considération pour les faits. La raison elle-même est devenue suspecte, et soupçonnée de servir l’ordre existant : mieux vaudrait ainsi un bon mensonge qu’une mauvaise vérité. En réalité, chaque jour qui passe confirme que le déni du réel est une arme qui sert les pires courants, à commencer par l’extrême-droite. Par définition, une cause qui aurait besoin qu’on mente pour elle ne saurait être « bonne ». Et si elle est bonne – comme l’est celle du féminisme – elle n’a pas besoin de fantasmes, mais de conscience et de lucidité.

 

A lire sur Nonfiction :

Entretien avec Anne Augereau et Christophe Darmangeat, à propos de Aux origines du genre (PUF, 2022)

Entretien avec Christelle Taraud, à propos de Féminicides. Une histoire mondiale (La Découverte, 2022)

Recension de Irène Théry, Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle (Le Seuil, 2022)