Guillaume Bachelay revient sur plus de vingt ans de socialisme pour analyser les choix du Parti socialiste français et explorer des voies pour l'avenir face à cet angoissant "désert d'avenir".

Depuis la fin des deux septennats de François Mitterrand, les socialistes ont de nouveau affaire à leurs vieux démons. Renvoyés dans l’opposition, ils se sont contentés de succès intermittents (régionales, législatives) et n’ont pas été capables de reprendre le dessus pour gagner la dernière élection présidentielle. 2002 aurait du être un électrochoc, un appel au mouvement. Or un an après une crise sociale et politique majeure – celle du CPE – on ne peut que constater l’échec. Certains diront, en guise de consolation, que les législatives ont constitué une petite victoire, que le nombre de députés de gauche a progressé. Il n’en reste pas moins que le "désert d’avenir" – expression empruntée à un site Internet de l’UMP dont l’objectif était de critiquer le programme et la candidate Royal – prend tout son sens aujourd’hui.

 

À l’instar des nombreux essais politiques qui paraissent en cette rentrée, celui de Guillaume Bachelay, un proche de Laurent Fabius, revient sur la défaite à l’élection présidentielle et sur ce fameux "désert d’avenir". L’intérêt de cet ouvrage réside dans le fait que l’auteur tente de mettre en lumière les contradictions qui ont hanté le parti pendant la période 1983-2007. Il fait reposer son analyse sur le prisme européen et met en parallèle les choix faits par les socialistes avec les grandes étapes de la construction européenne.

 
 
L’Europe comme excuse ?
 

L’Europe serait, selon l’auteur, "un rideau de fumée" ou encore une excuse qui permettrait aux dirigeants socialistes de se dédouaner de leurs choix en opposition avec le "corpus idéologique" socialiste. Le réquisitoire contre François Mitterrand peut sembler sévère. Elu sur la base d'un programme social, il serait le premier à s’être éloigné des fondamentaux doctrinaires. Pour les raisons économiques que l'on connaît, l’état de grâce a été de courte durée et les actes de François Mitterrand apparaîtraient donc en contradiction avec ses promesses. Le programme de son second septennat aurait été, quant à lui, simplement vide.

 

Plus loin dans le livre, Guillaume Bachelay entend montrer que le clivage du oui et non à la Constitution Européenne est encore très présent. Le parti est divisé entre ceux qui veulent une évolution réaliste au sens propre, c’est-à-dire adapter l’offre politique à la réalité, et ceux qui pensent que les idées ont le pouvoir de changer les choses. On le voit bien, cela pose le problème de la définition de la réalité qui est très idéologique en soi : il n’y a pas de "réalité" autre que celle qu’on délimite, par des choix politiques et nécessairement engagés.

 

 
S’adapter au réel ou "adapter le réel" ?

A la lecture de l’ouvrage, on en vient à s’interroger sur la perception de la mondialisation au delà de l’Europe, et à sa prise en compte par d’autres partis socialistes. Durant les années Mitterrand et Chirac, le contexte économique a évolué, la mondialisation s’est intensifiée. C’est à ce moment là que les socialistes n’auraient pas pris le bon chemin et auraient accepté par défaut des solutions contraires à leurs idéaux. "La vérité, c’est que depuis le tournant de 1983 chaque socialiste est un contorsionniste multipliant luxations doctrinales et déchirures verbales." Mais cette analyse n’est-elle pas incomplète ? La doctrine doit évoluer, elle n’a pas à être figée. Les convictions figées sont celles qui conduisent à un décalage avec les paramètres économiques et sociaux. Le serpent se mord la queue : l’inertie puis les évolutions – taxées d’être un simple renoncement aux idéaux – sont tour à tour rendus responsables de tous les maux du parti.

 

 

La présidentielle : une exacerbation des tensions

 

L'auteur revient assez peu dans son ouvrage sur la campagne présidentielle en elle-même : c'est pourtant la défaite qui l'a poussé à écrire. Toutefois, on perçoit – sans surprise – son hostilité à la candidature Royal. Selon l’auteur, il est inutile de revenir sur l'échec : les évènements se suffisent à eux mêmes pour expliquer la défaite. La fin de l'ouvrage nous éclaire sur les sentiments de ce jeune fabiusien, maintenant titulaire au Bureau National du PS. Pour lui, une seule personne pouvait apporter la victoire, c'était Laurent Fabius ; une seule conduisait à la défaite, c’était Ségolène Royal. Les causes de la défaite ne résident donc pas dans le projet ou les idées du Parti Socialiste mais dans les défaillances de la candidate.

 

On voit tout de suite les limites d’un tel raisonnement, qui ressemble plus au cri de désespoir d’un fabiusien déçu qu’à un argumentaire construit sur la défaite des socialistes à l’élection présidentielle. Il ne faut pas, bien sûr, négliger le facteur humain. Toutefois c’est une conclusion bien facile que de rejeter la faute sur une seule personne, pour éviter, encore, de se poser les questions de fond auxquelles l’ouvrage semblait pourtant vouloir s’attaquer.

 

 

 

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