Lionel Jospin revient sur la dernière élection présidentielle, la candidate socialiste, et s’interroge sur le futur de la gauche française.

Commençons par une anecdote. Quelques jours avant la parution du livre de Lionel Jospin –  que nonfiction.fr avait réussi à obtenir, en même temps que Libération au forum de Grenoble – un proche de François Hollande nous surprend avec le livre : "L'Impasse de Lionel Jospin ? Un livre contre Jospin, s'est-il écrié ! Pourquoi tant de haine ?". Cet "hollandiste" n'avait pas compris que le livre était de – et non pas contre – Lionel Jospin.

 

Un "droit d'inventaire".
 

"Les socialistes se sont laissés persuader de choisir comme candidate, sur une promesse de victoire, celle qui était la moins capable de gagner". Dès la page 7, Jospin donne le ton.

 

Consciencieusement, Lionel Jospin se livre à un portrait (en forme de réquisitoire) de celle qui fut la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle. A son passé de militant chevronné, Jospin oppose une femme peu intéressée par la vie du Parti Socialiste, jeune fille gâtée par le destin se retrouvant deux ans après sa sortie de l’Ecole Nationale d’Administration à l’Elysée, elle qui n’a jamais eu auparavant d’expérience de terrain, ni même exercé un métier. Mais lui-même, Bertrand Delanoë (dont il fait plus loin l’éloge), Benoît Hamon, et tant d’autres, non plus. Et est-ce donc à dire que la politique n'est pas un métier ? 

 

Face à cette trajectoire impromptue d’une femme portée à la candidature suprême, Lionel Jospin tente de comprendre ce qui s’est passé, après un retour rapide sur les élections de 1995 et de 2002.

 

Dans la compétition actuelle de pamphlets pro et anti-Royal, l’ancien premier ministre a le mérite de la clarté. Il pointe les "improvisations hasardeuses", dissèque "les étranges propositions" de la candidate, pour conclure qu’"elles relèvent plus de l’art de communiquer que de celui de gouverner". Contrairement à ses deux tentatives présidentielles, la candidate socialiste avait semble-t-il une situation politique favorable. Elle n’a cependant pas, dans ce contexte, ni attaqué le bilan de la droite - pourtant désastreux- ni assumé le bilan de la période 1997-2002. Ce qui laisse Lionel Jospin dubitatif.

 

Lionel Jospin ne dissimule pas les mots qui blessent. Il raconte ainsi comment il a accepté de participer au groupe des personnalités du P.S. aux côtés de la candidate. "Ce groupe n'a jamais été réuni, ce dont je me suis accommodé" écrit-il   .

 

Le toucher de Lionel Jospin n’est aucunement dû au hasard. Mesure par mesure, l’ancien chef d’orchestre de la gauche plurielle dissèque la "musique Royal". S’il lui concède des "intuitions plutôt justes", leurs répétitions (comme "l’ordre juste") trop récurrentes  masquent "un vide […] de véritables arguments". Il pointe que l’œuvre de celle-ci est parasitée de  "sautillements intellectuels" et qu’elle ne constitue pas une "vision d’ensemble cohérente".

 

La singularité de Madame Royal l’insupporte. En figure historique du Parti Socialiste, il n’admet pas la discontinuité qu’elle a pu incarner ces derniers mois, et semble nous réciter le catéchisme du P.S. jugeant en bon père de famille socialiste, à l’aune de la tradition et de la trahison. Lionel Jospin lui reproche notamment de n'avoir pas participé aux débats collectifs du P.S. et de s'être "tenue à l'écart du parti" : pourquoi pas. Mais se rend-t-il compte que c'est cette distance, précisément, qui lui a permis d'être désignée candidate ? Il s’emploie, en outre, à l’isoler historiquement et à démystifier l’affiliation possible à François Mitterrand. Ainsi, alors que l’ancien chef de l’État façonnait collectivement un parti pour conquérir l’opinion, Ségolène Royale a, elle, joué solitairement dans l’opinion "sur des sentiments anti-partis". Lionel Jospin a raison de pointer cette singularité et de tenter de démontrer ce qui lui semble être une imposture.

 

Lionel Jospin s’en prend par ailleurs au "concept flou de la démocratie participative" dans laquelle il perçoit "une infantilisation de la vie politique", allant jusqu’à écrire que ces méthodes appartiennent "d’habitude à l’extrême droite ou aux mouvements populistes". Cela est d’autant plus paradoxal de sa part qu’il vante, plus loin dans le livre, la démocratie participative quand celle-ci émane de Bertrand Delanoë…

 

L’ancien maestro du Parti Socialiste critique également François Hollande, qu’il avait lui-même intronisé en 1997 à la tête du P.S, lui reprochant, par la "synthèse", d’avoir stérilisé le débat interne. François Hollande se serait mué en "spectateur arbitre" oubliant le rôle prédominant qu’il devait jouer dans la fosse.


 
Quel avenir pour le PS ?
 

Le projet du livre va plus loin. Il ne s’agit pas seulement de révéler "l’illusion Royale" des derniers mois mais d’éviter toute prolongation : "Cette personnalité n’a pas les qualités humaines, ni les capacités politiques qui seront nécessaires pour relancer le Parti Socialiste et espérer gagner la prochaine élection présidentielle". Tout est dit.

 

Avec un certain sens de l’actualité et des priorités de la gauche, Lionel Jospin consacre à Nicolas Sarkozy une dizaine de pages seulement contre près de 90 pages à Ségolène Royal pour un livre qui en compte 142. Jospin confie que "La personnalité du nouveau président intrigue […]". Il y peint un Nicolas Sarkozy conservateur "préoccupé de lui-même et pas toujours d’autrui". Il se déclare favorable à une réforme - par référendum - pour une présidentialisation de l’exercice du pouvoir. On en vient à trouver le portrait modéré, après la charge qu’on a lue contre Ségolène Royal.

 

Lionel Jospin produit ensuite une analyse franche et passionnante sur ses anciens partenaires de la gauche plurielle. Sans concession, il nous explique que "La gauche se portera mieux quand l’impuissance de l’extrémisme de gauche sera comprise pour ce qu’elle est : la survivance d’un passé révolu et qui ne renaîtra pas". Dans cette gauche avec une écologie politique sans troupes et un "Parti Communiste sans destin", Lionel Jospin insiste sur le futur rôle central et rassembleur des socialistes.

 

Ecartant clairement l’idée d’une alliance avec le centre, il réaffirme l’identité idéologique d’un P.S. social-démocrate. C’est ici le meilleur passage du livre et ce qui aurait pu constituer le socle de son raisonnement. Lionel Jospin trace même les perspectives possibles de la gauche et du P.S. en sortant du chapeau l’idée "d’un grand parti de gauche" nécessaire à la reconquête du pouvoir.

 

Lionel Jospin revient par ailleurs sur la question de son éventuel "retour" : "Ai-je voulu opérer un "retour" ? Certains l'ont cru. Pourtant, si j'avais voulu revenir à la politique active, j'aurais agi autrement"   . Une telle phrase, d'une certaine mauvaise foi, met en doute la sincérité du livre. On aurait aimé, par exemple, lire sous sa plume sa position au sujet de la candidature DSK. S'il avait voulu vraiment lutter contre le phénomène Royal, il aurait pu se placer au service de son ancien ministre de l’économie, ce qu’il n’a pas fait.

 
Dans les dernières pages de son livre, Lionel Jospin encourage les socialistes "à reprendre un travail de réflexion et de proposition sur les grandes questions de l’époque".  En moins d’une page   , il dessine magnifiquement le plan d’un livre qu’il aurait pu écrire et que l’on aurait souhaité lire afin que les socialistes français sortent, enfin, de l’impasse.


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