Après les bouleversements de l'année 2020, 2021 semble revenir au «monde d'avant». Frank Tétart dresse le bilan géopolitique d'une année marquée par l'urgence environnementale et de multiples défis.

Dans cette neuvième édition du Grand Atlas, Frank Tétart et de nombreux spécialistes proposent plusieurs clés de lecture de l’année 2021 et des prospectives pour l’année 2022. Alors que la pandémie semble s’inscrire dans le temps, les rapports de force évoluent : la Turquie s’est imposée parmi les sunnites, notamment en transformant Sainte-Sophie en mosquée alors que les États-Unis craignent un rapprochement entre la Chine et la Russie. La pandémie a aussi montré la fragilité des ressources en eau et en multiples matières premières. Le confinement a pour sa part posé la question des libertés qu’il convient de replacer dans une approche multiscalaire comme le propose le Grand Atlas.

 

Nonfiction.fr : L’an dernier, vous aviez intitulé l’année 2020 : « Des rapports de force et des inégalités renforcés par un confinement forcé ». Avec l’urgence environnementale en toile de fond, l’année 2021 montre une pandémie inscrite dans le temps long alors que les rapports de force se recomposent au gré des changements de gouvernement. Quel titre donneriez-vous à cette année 2021 et pourquoi ?

Frank Tétart : Avec humour, j’intitulerai 2021 « retour vers le futur », puisqu'on a cru que le confinement allait nous conduire vers une rupture dans nos modes de vie, dans nos sociétés en allant vers plus de solidarité, de coopération, de prise en compte de l’environnement, du local et du social dans le développement économique, alors qu’en réalité l’on a le sentiment de retrouver le monde d’avant ou plutôt le futur, dont personne n’a vraiment envie. C'est-à-dire un monde où domine l’argent, la performance économique, sans voir que le réchauffement climatique est déjà bien présent, comme l’ont montré les catastrophes naturelles au cours de l’année.

 

Parmi les enjeux à venir pour l’année 2022, vous relevez certes le défi sanitaire mais insistez aussi sur l’évolution politique des grandes puissances mondiales (États-Unis), régionales (Turquie, Iran), ainsi que l’Écosse et la Biélorussie. Le Covid est-il devenu un enjeu parmi d’autres ?

Plus qu’un enjeu, le Covid est devenu un défi à la fois sanitaire, social, économique et international non seulement pour les États mais pour l’ensemble de la communauté internationale. Il soulève aussi l’enjeu de la vaccination à toutes les échelles, si l’on veut parvenir à une stabilité économique et sociale.

 

Bien que le Haut-Karabakh illustre le maintien des guerres interétatiques, vous montrez surtout la prééminence des conflits asymétriques. Le Yémen, le Sahel ou encore l’Amérique latine témoignent de la multiplication des acteurs et des enjeux qui se cachent derrière ces conflictualités. La paix ne serait-elle pas devenue un objet utopique ?

Mais ne l’a-t-elle pas toujours été ? En Europe, cette utopie est devenue réalité grâce à la construction d’institutions communes que forme aujourd’hui l’Union européenne, ce qui nous donne l’illusion que cela devrait être ainsi ailleurs et partout sur l’ensemble de la planète. Sauf que le système international reste dominé par des États qui ont leurs propres intérêts, contribuant à des rivalités que seule la volonté politique, la coopération et la démocratie permettent de juguler. La maxime de Clausewitz « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » reste donc d’actualité, d’autant qu’elle apparaît comme la seule voie possible pour les acteurs politiques qui s’opposent à des systèmes ou États autoritaires, ces « démocratures » toujours plus nombreuses dans le monde.

 

Vous relevez plusieurs défis pour « demain » dont l’urbanisation, les migrations climatiques, l’alimentation et la démographie. Lequel vous semble le plus urgent ?

C’est une question difficile, tant ces défis peuvent être imbriqués dans notre monde actuel. Mais la pression sur les ressources y compris les terres, aggravée par la crise climatique, contribue à perturber le fonctionnement des villes jusqu’à remettre en cause leur habitabilité (par exemple dans le golfe Persique), à repenser nos modes d’alimentation et renforcer les migrations, même si l’état de l’environnement ne doit pas être déconnecté des situations politiques, économiques ou encore sociales locales et globales.

 

La Chine se montre plus ambitieuse que jamais. Xi Jinping s’appuie sur les fondamentaux communistes, les diplomates de Pékin n’hésitent plus à moquer les faiblesses occidentales face à la pandémie et le pays s’est installé durablement dans de nombreux émergents. Joe Biden semble vouloir mettre un terme à cette ascension. Les États-Unis en ont-ils encore les moyens ?

Les États-Unis restent aujourd’hui la seule puissance complète qui dispose de toute la panoplie du hard et du soft power. Mais ils disposent aussi aujourd’hui d’un leadership moral de défenseur de la démocratie libérale, bien qu’écorné par l’administration Trump, auxquels aspirent tant les Hongkongais, les Taïwanais et les Birmans. On trouve là l’une des principales faiblesses de la Chine, dont le régime autoritaire n’est vu par aucun peuple comme un modèle inspirant. Bien au contraire, eu égard aux persécutions subies par la minorité ouïgoure musulmane ou les Tibétains.

 

Vous consacrez une vingtaine de pages aux libertés. Pourquoi avoir choisi cette thématique et sont-elles en recul ?

C’est une question qui s’est posée avec la crise sanitaire provoquée par le Covid. Et de fait, c’est ce que constate le rapport sur la démocratie 2021 de l’institut suédois V-Dem intitulé « l’autocratisation devient virale » en plusieurs pays du globe, notamment en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, dont la Chine et l’Inde. Ailleurs, les violations ont été mineures, mais il m’a semblé intéressant de regarder le monde à la loupe à travers l’analyse des libertés fondamentales (de culture, d’expression, de la presse, de sexe et de genre, de circuler) mais aussi de la protection des données à l’ère du numérique, et de la surveillance omniprésente. Le bilan est mitigé et est proportionnel à l’état de la démocratie des États.

 

Au regard de vos cartes (indices de liberté et de démocratie ou violations des libertés), la France apparaît comme l’un des « bons élèves » et l’un des rares pays à avoir su respecter les libertés majeures. En revanche, d’autres pays, y compris des démocraties, ont profité du contexte pour violer des libertés majeures. Comment expliquez-vous un tel décalage ?

Le niveau de démocratie est la raison principale d’un tel décalage, mais dans certaines démocraties des mesures plus strictes vis à vis de certaines populations, comme les Rom en Slovaquie ou les réfugiés en Grèce ont été mises en place. Des hommes politiques ont également joué de la désinformation qu’il s’agisse du Président américain Donald Trump ou celui du Brésil, Jair Bolsonaro. En France, les mesures prises ont été accompagnées de votes parlementaires pour respecter notre système démocratique.