Xi Jinping incarne les ambitions politiques et diplomatiques de la Chine. Pour parvenir à ses fins, il renoue avec les fondements du communisme, qu'il adapte aux enjeux du XXIe siècle.

Les années Trump et la crise du Covid-19 ont ouvert des possibilités à la Chine pour consolider ses positions sur le plan international. Les routes de la soie, la stratégie du « collier de perles », les ambitions maritimes et sa politique spatiale témoignent des ambitions du pays qui s’apprête à fêter les 100 ans du Parti communiste chinois. Si le pays s’avère capable de concurrencer les États-Unis dans certains domaines, y compris les nouvelles technologies avec les BATX, son soft power reste encore limité en raison, notamment, de la politique menée à Hong Kong ou contre les Ouïghours. Alice Ekman* revient ici sur les caractéristiques majeures de la puissance chinoise dans le cadre du Thème 2 de Première « Analyser les dynamiques des puissances internationales ».

 

Nonfiction.fr : Les années Trump ont laissé à la Chine une place certaine sur la scène internationale. Elle peut ainsi faire ressentir son influence aussi bien au Soudan du Sud qu’au forum de Davos. Quelles sont pour vous les caractéristiques fondamentales de la puissance chinoise sous Xi Jinping ?

Alice Ekman : La puissance chinoise se décline dans quatre domaines : tout d’abord, il s’agit d’une puissance économique depuis plus de dix ans, alors que le pays a consolidé son statut de deuxième économie du monde, au lendemain de la crise économique et financière internationale de 2008-2009. Cela est un fait de base, mais qui mérite d’être rappelé car les autres éléments de puissance découlent de ce statut. Ensuite, il s’agit d’une puissance diplomatique : Pékin a désormais les moyens de mener une diplomatie particulièrement ambitieuse, qui s’appuie sur un personnel et une présence institutionnelle à l’étranger en augmentation constante. La Chine dispose désormais du premier réseau diplomatique au monde, si l’on compte le nombre d’ambassades et consulats à l’étranger, devant les États-Unis et la France. Troisièmement, la Chine s’est affirmée ces dernières années comme une puissance technologique, avec des entreprises compétitives dans le secteur des télécommunications (réseau 5G, réseau satellitaire, centres de données, etc.), de la surveillance (caméras, applications de reconnaissance faciale, drones, etc.), de l’intelligence artificielle, entre autres. Certaines de ces technologies peuvent avoir un usage militaire ; leur développement renforce un quatrième champ de puissance, celui de la défense. Si l’Armée Populaire de Libération (APL) reste loin derrière la puissance militaire américaine en termes d’équipement, mais aussi d’expérience de guerre, elle se modernise et se professionnalise rapidement. Elle tente également de renforcer sa présence et sa capacité de projection au-delà de son environnement géographique proche : par exemple avec la base de Djibouti, inaugurée en 2017 – première base militaire chinoise à l’étranger.

 

Votre travail propose une analyse des discours des principaux dirigeants et s’appuie sur des entretiens menés avec des acteurs clés de la vie politique, économique et culturelle chinoise. Au travers de ces sources, quelles sont les ambitions du pays ?

Les ambitions politiques et idéologiques se sont renforcées depuis 2012 et ne doivent pas être sous-estimées. Le rôle et le poids du Parti communiste chinois est très fort, dans l’économie, la recherche, la supervision des artistes, intellectuels ou professeurs. Plus que jamais, les dirigeants politiques se réfèrent à Marx et à Mao dans leurs discours. Xi Jinping lui-même se présente comme un grand penseur marxiste, et affirme que le « socialisme est supérieur au capitalisme ». Le discours est édulcoré à l’étranger – les références à Marx et Mao ne sont pas aussi fréquentes et directes – mais l’ambition reste la même : promouvoir le système politique chinois. À l’étranger, la diplomatie chinoise cherche à positionner la Chine comme un pays de référence, dont le système politique et économique serait meilleur, plus efficace, que ceux promus par les démocraties occidentales. Cette promotion se fait à travers la glorification des « succès » présumés de la Chine (économiques, sanitaires, technologiques…) et en même temps le dénigrement de l’ « Occident » et de ses « échecs » présumés. Plus qu’une guerre de communication, une rude compétition entre systèmes politiques s’est engagée depuis plusieurs années et est actuellement en train de se renforcer.

 

Le pays s’apprête à fêter les cent ans du Parti communiste chinois. Votre ouvrage montre la manière dont la Chine se réclame toujours du marxisme-léninisme au XXIe siècle. Comment a-t-il adopté ce système idéologique à la mondialisation ?

En effet, les activités de célébrations des cent ans du PCC sont déjà lancées et incluent une « campagne de reportage » qui appelle les journalistes du pays à « montrer les succès historiques du Parti », notamment depuis le XVIIIe Congrès, c’est-à-dire l’entrée en fonction de Xi Jinping.  Plus d’une centaine de films de fiction, séries télévisées, documentaires, dessins animés glorifiant le Parti ont été commandés par les institutions de propagande pour une diffusion dans les prochains mois. Les autorités ont également lancé en avril 2021 une « campagne d’apprentissage et d’éducation de l’histoire du Parti » pour « guider les membres du Parti et les fonctionnaires dans la poursuite des correctes traditions du Parti »   .

En parallèle, la campagne va intégrer les établissements scolaires, notamment avec l’édition de nouveaux manuels scolaires accordant une place encore plus importante à l’histoire du Parti. 2021 s’annonce donc une année de recadrage politique et idéologique particulièrement fort.

Le renouveau idéologique que l’on observe en Chine depuis 2012 façonne à la fois les orientations de politique intérieure – avec le renforcement du poids du Parti dans l’économie et la société – et de politique extérieure. Si la diplomatie chinoise ne parle aujourd’hui plus ni de mouvement communiste international ni de lutte révolutionnaire à travers le monde, elle demeure internationaliste dans le sens où elle cherche à promouvoir un système de gouvernance au-delà de ses frontières, aux dépens d’autres systèmes de gouvernance. La rivalité conceptuelle et idéologique bat son plein aujourd’hui : le Parti communiste chinois s’oppose à l’existence de valeurs universelles, considère que le système démocratique promu par les États-Unis ou les pays européens est illégitime et n’hésite plus à le dire haut et fort.

 

Les années Xi Jinping sont marquées par une nouvelle génération de diplomates, parfois qualifiés de « loups guerriers » (en référence au film Wolf warrior), qui n’hésitent plus à pointer les lacunes du monde occidental, notamment dans sa gestion de la crise sanitaire, et à ériger Pékin en modèle. Ces acteurs marquent-ils un virage de la diplomatie chinoise ?

Oui, depuis mi-2020, la diplomatie chinoise est devenue plus offensive dans ses prises de décisions, notamment en renforçant sa politique de sanctions. La Chine a durci sa cette politique vis-à-vis des États-Unis, mais aussi plus généralement de tous pays ou acteurs qui remettrait en cause ses positions sur l’origine du coronavirus, le Xinjiang ou encore Hong Kong. Concernant ces enjeux, Pékin a décidé de répondre systématiquement et immédiatement à toute décision ou propos critique. Par conséquent, les relations de nombreux pays avec la Chine sont devenues plus volatiles et une escalade des tensions n’est jamais loin. Ainsi, l’Australie est depuis mai 2020 touchée par des sanctions économiques chinoises lourdes (concernant l’agriculture, les matières premières notamment), après une accumulation de décisions et de déclarations de Canberra jugées hostiles par Pékin (l’Australie a notamment été le premier pays à avoir demandé qu’une enquête internationale soit menée sur les origines du Covid-19).

Par ailleurs, la décision de Bruxelles du 22 mars 2021 de sanctionner (interdictions de visas et gels d’avoirs) quatre responsables chinois accusés d’atteintes aux droits de l’homme envers la population ouïghoure a été suivie le même jour de sanctions chinoises contre dix personnalités européennes (incluant des représentants politiques nationaux, des députés européens et des chercheurs) et quatre institutions (deux centres de recherche et deux comités politiques européens).

La diplomatie chinoise est devenue plus explicite dans son discours également : attaque directe contre l’ « Occident », diffusion par des diplomates d’images ou de théories à caractère conspirationniste sur les réseaux sociaux (Twitter notamment), formulation d’insultes à l’encontre de chercheurs ou hommes politiques, emploi d’expressions empruntées au vocabulaire maoïste, telles que « chiens errants du capitalisme », ou « laquais des États-Unis ».

 

La mise au pas des manifestants de Hong Kong et la politique menée contre les Ouïghours sont parmi les nombreux éléments empêchant la Chine de disposer d’un vrai soft power. Les dirigeants tentent-ils de remédier à cette image ?

Certes, l’image de la Chine s’est rapidement dégradée dans certains pays ces deux dernières années : aux États-Unis, dans la majorité des pays européens, au Canada, en Australie, entre autres pays. Mais la Chine semble désormais, notamment depuis mi-2020, prête à assumer les conséquences de ses actes - en termes d’image, mais aussi en termes économiques. Par exemple, Hong Kong perd actuellement de son attractivité en tant que place financière, mais cela n’a pas remis en question la stricte mise en application de la nouvelle loi sur la sécurité nationale adoptée en juillet 2020, car l’objectif politique prime avant tout. La diplomatie chinoise différencie de plus en plus les pays « occidentaux » des autres, et cherche moins à convaincre les premiers du bienfondé de ses actes, mais plutôt à fédérer les seconds autour de ses positions et de son discours, au sein de l’Organisation des nations unies notamment.

 

Les États-Unis soutiennent tous les concurrents de la Chine dans la région comme l’Inde et le Japon, puis dans le cadre du Dialogue quadrilatéral avec ces deux pays et l’Australie. Comment Pékin réagit-il face à cette présence dans son secteur d’influence ?

Depuis l’installation de l’administration Biden en janvier 2021, les États-Unis cherchent à retisser les liens avec leurs alliés – par exemple dans le cadre du Dialogique quadrilatéral pour la sécurité (le « QUAD », incluant États-Unis, Inde, Australie et Japon) et plus largement de la stratégie « indo-pacifique ». Et c’est avec l’aide des alliés que l’administration Biden souhaite faire face aux ambitions chinoises. Bien sûr, la Chine ne voit pas d’un bon œil cette dynamique, et relativise le poids de l’alliance dans ses communications officielles. D’un point de vue stratégique, elle mise sur les divergences entre alliés et la lenteur présumée de la mise en application de leurs initiatives (dans le domaine des infrastructures par exemple) pour continuer à renforcer sa présence économique et technologique dans la région et au-delà.

 

La réalisation de ces ambitions passe aussi par un réseau plus étoffé. Avec quels pays, la Chine tente-t-elle de renforcer ses liens ou d’en créer de nouveaux ?

En premier lieu la Russie, avec laquelle la Chine a renforcé ses liens de manière continue depuis 2014. La coopération économique et énergétique s’est consolidée, par la signature d’un accord gazier de trente ans pour 400 milliards de dollars en mai 2014. Mais aussi la coopération militaire, avec la conduite d’une série d’exercices militaires conjoints ces cinq dernières années (en mer Méditerranée, Baltique, mer de Chine du sud, Asie centrale…) et des partenariats de développement de certains équipements militaires (la Russie épaule la Chine dans le développement d’un système d’alerte avancée pour la défense antimissile, par exemple). Par ailleurs, leurs deux pays sont souvent sur la même longueur d’onde au sein de l’Organisation des nations unis et d’autres organisations multilatérales. Mais la Chine cherche à renforcer ce que Xi Jinping appelle son « cercle d’amis » bien au-delà de la Russie. Ce cercle inclut le Pakistan, le Laos, le Cambodge, la Serbie, l’Algérie, l’Ethiopie, le Venezuela et l’Iran, entre autres. Il s’agit d’un groupe de pays hétérogènes géographiquement et politiquement, que Pékin tente d’élargir actuellement à travers un activisme diplomatique que la crise sanitaire n’a pas ralenti.

 

*L’interviewée : Alice Ekman est analyste responsable de l’Asie à l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne (EUISS) et auteure de Rouge Vif – l’idéal communiste chinois, aux éditions de l’Observatoire, lauréat du Prix du livre de géopolitique et du Prix Aujourd’hui 2020. Le livre paraitra le 25 aout 2021 au format poche (Flammarion, collection Champs – actuel).

Ressources complémentaires:

- « La Route de la soie sanitaire, analyse et décryptage de discours », Le Grand continent, 2020.

- A. Ekman (Dir), La Chine dans le Monde, CNRS Editions, 2018.

- Le Monde, Hors série n°75 – 40 cartes pour comprendre la Chine.

Sur Nonfiction.fr:

- Emmanuel Véron, « Les ambitions géopolitiques de la Chine »