Une plongée au cœur de la Chine contemporaine qui révèle les écarts entre discours intérieur et extérieur.

Depuis la mort de Mao Zedong et l’arrivée de Deng Xiaoping, la Chine aurait emprunté une voie l’éloignant progressivement du communisme pour se rapprocher du libéralisme. Ce constat simpliste, largement diffusé, est ici déconstruit par Alice Ekman dans son livre qui a reçu le Prix du livre géopolitique 2020 et le Prix Aujourd'hui 2020. La solide enquête présentée montre que Xi Jinping, depuis le début de sa présidence, n’a cessé d’étaler les tentacules du Parti dans l’ensemble des strates de la société, de l’école à l’entreprise, mais aussi à l’extérieur. Si à l’intérieur le président aspire à mieux contrôler la population par les recettes traditionnelles du communisme, son objectif à l’international est d’établir un paradigme manichéen et de placer la Chine à la tête de l’un des deux blocs. La sinologue aspire davantage à comprendre le marxisme-léninisme recomposé avec pragmatisme par Xi Jinping qu'à savoir si la Chine est encore ou non communiste.

 

Déconstruire un discours occidental

Pour comprendre le système politique de Pékin et par sa maîtrise du mandarin, Alice Ekman a mené près de 400 entretiens dans les sphères politiques, économiques et culturelles chinoises, qui participent au positionnement du pays sur la scène internationale. Ces échanges révèlent une peur plus profonde de la hiérarchie que sous Hu Jintao. Autre source, les discours des dirigeants, peu étudiés hors du pays en raison de leur longueur, à l’image de celui prononcé par Xi Jinping lors du XIXe Congrès du Parti en 2017 et qui s’étale sur trois heures. Ces textes sont solidement construits et les fonctionnaires ont pour consigne de les lire, de les étudier et de les diffuser. Cette politique intérieure contraste avec les prises de parole des dirigeants à l’extérieur qui ont lissé leurs discours, et les ont harmonisés sur les normes internationales. Il faut donc bien se garder de penser la Chine au travers du discours de son président à Davos en 2017 où opportuniste, il profitait du vide diplomatique laissé par Donald Trump pour séduire les élites financières du monde.

Il convient de s'attarder sur les pages 37-38 pour bien saisir l'approche de l’auteure qui a présenté ses idées en 2018-2019 lors de conférences et affiné ainsi sa réflexion. On ne peut qu’apprécier sa démarche louable qui explique au lecteur pressé que l’essentiel des idées se trouvent en introduction, que les dix constats de la première partie peuvent se lire dans le désordre et qui laisse son courriel en fin d'introduction pour recueillir toute remarque bienvenue du lecteur.

 

Penser le marxisme du XXIe siècle

Les fondamentaux du marxisme-léninisme perdurent, notamment le contrôle de la population et la propagande qui multiplie les références au communisme. D'ailleurs, comme sous Staline, l’art et la culture sont également mis au service de l’idéologie. Si un important secteur privé est toléré, il demeure sous le strict contrôle de l’appareil étatique. Le Parti compte 90 millions de membres et des centaines de cellules dispersées dans l'ensemble des catégories sociales. De l’école à l’entreprise, l’individu est confronté dans son quotidien à des sessions qui martèlent les fondamentaux de la doctrine de Xi Jinping.

Sur la scène internationale, une nouvelle classe de fonctionnaires et de diplomates, plus agressifs, émergent avec Xi Jinping. La Chine ne cache plus son modèle quand il est exposé à l’extérieur mais s’en montre au contraire fière et cherche à l’ériger en exemple. Les ambassadeurs usent d’un discours plus virulent afin de se positionner face aux États-Unis et amener de nouveaux pays à se placer dans son giron. Forte de plusieurs soutiens sur la scène internationale, elle aspire également à élargir son influence par les « nouvelles routes de la soie », tout en se présentant comme la garante du multilatéralisme.

 

Le travail d’Alice Ekman présente davantage une radiographie du système chinois au début de l’année 2020 qu’une somme sur la question. Les interprétations proposées sont solidement documentées et appellent à être confirmées dans les années qui viennent. L’auteure a opté pour un format court (224 pages) et un propos fourni qui s'appuie sur sept années de travail. L’année 2021 s’avère décisive car elle marque les 100 ans du Parti communiste chinois. Pour ce centenaire, Xi Jinping souhaite présenter un communisme capable de concilier les fondamentaux du marxisme-léninisme tout en lui permettant de s’adapter et de triompher des enjeux du XXIe siècle, afin de l’ériger en exemple. Lire Alice Ekman offre une plongée dans le système chinois, loin de tout cliché réducteur établi depuis l’Occident.