Dans un court format, Marc Bergère retranscrit les enjeux majeurs de cette période complexe.

Dans L'épuration en France, l'historien Marc Bergère aborde les thématiques majeures liées à cette question dans un format court, comme le veut la collection Que sais-je ? Après le travail réalisé par Fabrice Virgili et François Rouquet, Marc Bergère propose un ouvrage qui vient compléter cette somme, surtout pour les aspects économiques et juridiques.

Avant d'entrer dans l'analyse du livre, il convient de s'arrêter un instant sur le titre L'épuration en France. Bergère ne donne aucune indication temporelle dans ce titre, comme s'il était clair pour tous que l'épuration se rapporte en France uniquement aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. L'auteur montre ici l'importance de la Libération en 1944-1945 dans notre imaginaire collectif : la période étudiée est implicite pour tous, auteur comme lecteurs. Mais on oublie souvent qu'il y a eu d'autres épurations, comme en 14-18 en Belgique et dans les départements français occupés. À l'image de l'épuration, les concepts de résistance ou de collaboration, créés par des historiens de la Seconde Guerre mondiale, ne sont pas employés dans les années 1920. D'où l'utilisation primaire et quasi exclusive pour le second conflit mondial, comme le fait ici Marc Bergère. Autre différence majeure avec Virgili et Rouquet : Bergère s'intéresse essentiellement à la période de la Libération (1944 et les années qui suivent) alors que les deux premiers proposent un cadre spatio-temporel plus large : depuis 1940 jusqu'à l'utilisation de la mémoire de l'épuration aujourd'hui. L'objectif de Bergère est de présenter une synthèse sur le thème, ce qui est l'essence d'un QSJ, plutôt qu'un travail ouvrant de nouvelles perspectives. La bibliographie est d'ailleurs conséquente et l'introduction, bien menée, fait un point historiographique solide sur la question.

 

Violences et épuration : réponses légales ou violences populaires ?

Marc Bergère entame L'épuration en France par une synthèse fort à propos sur la question de la part de la violence populaire dans le phénomène épuratoire, puis la réponse légale du GPRF et de la part des instances judiciaires remises en place par ce dernier après la Libération. Il montre bien les différentes phases de l'épuration au moment de la déliquescence de Vichy face à l'avancée alliée et à la reconquête de certaines régions par les FFI. Des violences populaires expiatoires, ni  « sauvages », ni apparues de façon spontanée avec l'arrivée des résistants à la légalisation progressive des arrestations suivies de jugements, Bergère décrit bien comment on passe par ces différentes phases et surtout comment le GPRF reprend les choses en main. Dans la sous partie intitulée : « L'épuration au village ; s'épurer entre-soi », il démontre parfaitement, en quelques pages, que dans la plupart des petites communes, il y a eu peu de procès. Les habitants ont ainsi délibérément voulu exclure eux-mêmes ceux qui ont frayé avec l'ennemi, notamment les femmes ayant eu des relations avec ce dernier.

Après avoir étudié les fondements juridiques voulus par le GPRF sur l'épuration, il tempère dans le chapitre suivant en montrant comment les autorités ont essayé de limiter toute épuration qui n'était pas légale et que même dans cette dernière, les contours des jugements sont parfois flous avec une adaptation au cas par cas, dans une volonté de compromis, mais aussi de recimenter une nation française divisée depuis la débâcle de 1940.

 

Quelle ampleur sociale pour l'épuration ? Qui la subit, qui réussit à fuir ?

Dans L'épuration en France, Marc Bergère montre combien l'apport de l'histoire sociale a été décisif pour comprendre et mesurer l'ampleur du phénomène épuratoire à la Libération. Plusieurs aspects sont ici démontrés par l'auteur, certains parfaitement étudiés depuis longtemps comme le nombre de « collabos » potentiels qui n'ont dans la réalité guère été inquiétés ou sanctionnés par la suite.

Bergère montre aussi, dans la lignée des travaux de Fabrice Virgili ou de Luc Capdevila, que les femmes ont payé un prix relativement plus élevé que les hommes à ces rites expiatoires, voire aux sanctions légales. Ce phénomène, même s'il est concomitant avec l'obtention par les femmes du droit de vote, montre que pour une large partie de l'opinion publique de l'époque, ces dernières restent le « sexe faible » qui doit être repris en main par les hommes en épurant toutes celles qui ont trahi la nation par leurs relations intimes avec l'ennemi. Si la femme devient en 1944 l'égal politique de l'homme, c'est encore loin d'être le cas au niveau social. D'autant que, l'épuration ne touche pas tous les individus suspectés d'avoir collaboré avec les Allemands ou avec Vichy. À l'image des nazis qui ont fui à l'étranger (comme l'a montré Gerald Steinacher), une partie des « collabos » a suivi le même chemin vers la Suisse, le Canada ou l'Amérique du Sud. L’auteur estime que cela représente environ 5 % de ceux qui auraient réellement collaboré.

 

Marc Bergère signe donc ici une synthèse claire sur l'épuration en France. En un peu plus d'une centaine de pages, avec une bibliographie complète et une introduction qui résume parfaitement les principaux enjeux historiographiques de la question, L'épuration en France est un ouvrage bref et précis. Il s’avère des plus utiles, tant pour l’enseignant dans le cadre de son cours, que pour le simple curieux aspirant à démêler le vrai du faux sur cette période trouble de l’histoire.