Bruno Cabanes et ses co-auteurs offrent une perspective globale sur l’histoire de la guerre contemporaine.
Une histoire de la guerre regroupe à la fois des écrits d'historiens, de sociologues et d’anthropologues, tous spécialisés dans l'étude des guerres contemporaines. Le travail se veut exhaustif en abordant sous tous les angles tout ce qui a trait à la guerre, mais aussi aux belligérants, aux civils, depuis le déroulement de la guerre elle-même jusqu'au retour de la paix et aux conséquences des affrontements armés sur les sociétés. Une histoire de la guerre n'est donc pas à proprement parler un ouvrage d'histoire militaire. Il va plus loin puisque les auteurs abordent des problématiques d'histoire sociale, mais aussi d'histoire culturelle de la guerre, dans la lignée des travaux pionniers d’Annette Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau exposés dans 14-18, retrouver la guerre .
Bruno Cabanes s'est entouré des meilleurs spécialistes du fait guerrier pour livrer un ouvrage complet qui doit faire date dans l'historiographie. Divisé en quatre grandes thématiques (« La guerre moderne », « Mondes de combattants », « Expériences de la guerre » et « Sorties de guerre »), Une histoire de la guerre regroupe 58 entrées qui présentent chacune un sujet en une dizaine de pages, avec à chaque fois une courte bibliographie commentée par l'auteur. Chacune de ces notices a été confiée à un rédacteur dont le travail est reconnu sur la question ; pas moins de huit nationalités sont présentes parmi les auteurs. L'ouvrage propose des exemples sur toute la période, sur tous les continents, ce qui permet de jeter un autre regard, plus seulement occidental, sur des guerres éloignées.
Ces exemples éclairent ainsi, par leurs problématiques différentes, l'étude du fait guerrier tel qu'elle est faite depuis les années 1970, grâce à l’Anatomie de la bataille de John Keegan , qui a renouvelé l’analyse de la guerre et de sa perception historique.
Une « histoire totale » du fait guerrier, de 1800 à nos jours
Comment parvenir à étudier le fait guerrier entre 1800 et nos jours dans un seul ouvrage, tant sont différents les conflits selon les espaces et les périodes étudiés ? En effet, faire la guerre en 1800, époque où les armées, souvent nationales, se font face sur un champ de bataille, n'a rien à voir avec la guerre d'aujourd'hui, plus asymétrique, avec des combattants qui ne sont, la plupart du temps, plus issus d'armées nationales. Dans Une histoire de la guerre, Cabanes et ses rédacteurs prennent de nombreux exemples, sur toute la période, mais aussi dans l'ensemble du globe, avec des contributions pour chaque continent.
La première partie est une étude « classique » sur la manière de faire la guerre depuis le XIXe siècle. Elle présente en détail les évolutions technologiques et tactiques sur la façon de mener un combat. La seconde s'intéresse aux soldats eux-mêmes, mais aussi aux partisans, aux prisonniers ou aux insoumis. Les enfants-soldats, soldats marginaux, mais qui ont bien existé sur toute la période, sont étudiés par la spécialiste de la question, Manon Pignot. L'approche choisie est plutôt thématique et tient compte de l'évolution de la recherche historique sur le fait guerrier. Ainsi, les civils et les conséquences de la guerre sur eux sont étudiés à l'aune des avancées historiographiques récentes, comment le montrent ici les contributions de Christian Ingrao sur les violences à l'Est durant la Seconde Guerre mondiale, ceux de Raphaëlle Branche sur les viols ou de Robert Gerwarth sur la mobilisation des sociétés entre 1914 et 1945. Des entrées sur les guerres civiles de Vendée, sur Hiroshima ou sur les bombardements font une mise au point bienvenue sur des aspects souvent contestés par une certaine histoire nationaliste dans les pays concernés. Du côté des soldats, le travail d'Hervé Mazurel sur les corps à l'épreuve des guerres, comme celui de Bruno Cabanes sur les rites funéraires, montrent bien l'évolution de la recherche historique vers des aspects socio-culturels devenus aujourd'hui des préoccupations majeures des historiens.
La dernière partie, sur les sorties de guerres, revient sur des lieux emblématiques de la paix post-guerre (Vienne, Paris, Yalta) en montrant leur portée symbolique et leur évolution dans les mémoires. L'évolution mémorielle de lieux de batailles comme Stalingrad est aussi étudiée, tout comme des questions sur le retour du soldat, le deuil, les névroses et autres chocs post-traumatiques. Une histoire de la guerre n'est pas un ouvrage uniquement consacré à la guerre et au fait guerrier. Il aborde la question des guerres sens large, et surtout leurs conséquences sociales et culturelles.
Un travail collectif des meilleurs spécialistes du sujet
Bruno Cabanes s'est entouré des meilleurs spécialistes de chaque thématique étudiée. Ainsi, Nicolas Offenstadt qui a, par le passé, étudié les mutineries et ceux qui ont refusé de suivre les ordres en 1917 parle des « rebelles et des insoumis ». Clémentine Vidal-Naquet, spécialiste de l'étude de la vie des couples pendant la Grande Guerre traite ici des relations épistolaires entre les soldats et l'arrière. Fabien Théofilakis aborde, de son côté, l'étude des prisonniers de guerre.
On retrouve également, pour citer les plus connus, Stéphane Audouin-Rouzeau (qui livre une introduction notable à la partie sur les « Expériences de guerre », tout comme celles faites par John Horne sur « Mondes de combattants » et Henry Rousso sur « Sorties de guerre »), Nicolas Beaupré, Alya Aglan, Annette Becker ou Annette Wieviorka. Certains, comme Johann Chapoutot, qui fait un excellent travail de synthèse sur la fabrique des héros de guerres et sur les différentes occupations, sortent un peu de leur espace habituel de recherche pour proposer des synthèses souvent originales grâce à un regard neuf sur ces questions.
Une histoire de la guerre est donc un ouvrage complet sur l'étude du fait guerrier, des combattants mais aussi des civils, victimes ou acteurs à part entière de certains conflits. Le défi, celui de faire une histoire nouvelle et internationale qui mette en avant de nouveaux aspects sur les guerres, est relevé. Une histoire de la guerre offre une perspective globale et reste cohérent, malgré la multitude des auteurs. S'il paraît épais et austère de prime abord, sa composition par de nombreux articles courts, érudits, toujours terminés par une bibliographie expliquée afin d'approfondir la question, rendent sa lecture aisée. Une réelle mise au point scientifique sur l'étude de la guerre, entendue ici au sens large.
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