Le sexe féminin, caché, montré, fantasmé, apparaît dans bien des œuvres du Moyen Âge. Mais il est parfois difficile à repérer.

Le sexe féminin serait-il un des plus grands tabous de l’histoire de l’humanité ? C’est en tout cas ce que supposent les récentes conférences, émissions ou manifestations sur le sujet. Au Japon par exemple, l’art vaginal de Megumi Igarashi défraie régulièrement la chronique. Son tort ? L’indécence d’exhiber la représentation artistique d’un sexe de femme même lorsque l’objet du délit est camouflé derrière une effigie à la mode kawaii ou lorsque l’impression 3D du sexe de la plasticienne est dissimulée au centre d’un canoë jaune citron ! Ces exemples voilent pourtant doublement la vulve : cette dernière est cachée et extraite de l’aine féminine. Alors, à l’époque médiévale, la vulve brille-t-elle déjà par son absence ?

 

La vulve virginale

À première vue, le tabou lié à l’art vaginal était déjà de mise au Moyen Âge : il semblerait bien qu’une peau lisse et imberbe fasse le plus fréquemment l’affaire pour signaler l’intimité des jeunes femmes, comme si rien ne comblait l’entrecuisse féminine. Pourtant, bien que les représentations phalliques soient dominantes à l’époque médiévale (en témoignent les célèbres arbres à pénis), les médiévaux ne rechignent pas toujours à représenter le sexe des femmes. Exemple remarquable, une enseigne (c’est-à-dire une sorte de badge) montre une vulve couronnée, portée en triomphe par trois sexes d’homme pourvus de bras, eux-mêmes constitués de membres phalliques. Loin d’être grivois, le sujet est sérieux, et même sacré. Des spécialistes pensent que ces enseignes étaient portées par des pèlerins : elles renverraient alors à des processions au cours desquelles une statue de la Vierge était portée en triomphe à travers la cité, et signaleraient ainsi le rôle primordial du sexe de Marie au moment de la conception christique. Quoi qu’il en soit, la vulve équivaut ici à la représentation de la femme. Force est d’observer que le sexe féminin révulse le Moyen Âge tout autant qu’il semble le fasciner !

D’ailleurs, la mère de Jésus constitue un support fécond pour l’imaginaire de la représentation de l’intimité féminine. Soucieux de respecter le caractère sacré de la Vierge, les peintres et leurs commanditaires ont imaginé des formes visuelles qui, sans reproduire exactement le sexe féminin, laissent percevoir sa présence. Ces images vulvaires invitent le spectateur à un jeu visuel. Ainsi vers 1455, l’Italien Giovanni Angelo d’Antonio peint, dans son Annonciation conservée à Camerino, une forme vaginale dans le nœud du bois qui recouvre le lutrin sur lequel Marie prie. Le procédé est subtil car la forme est divisée en deux zones : la première se trouve sur la porte du petit meuble tandis que l’autre occupe sa partie immobile. Dès lors, si l’œil du spectateur peut facilement reconstituer l’image vulvaire, à bien y regarder, le motif ne peut être assemblé dans l’espace du tableau puisque lorsque la porte est fermée, seule la partie supérieure de la forme reste visible. Par cet ingénieux procédé, le peintre traduit le caractère mystérieux de la maternité de Marie qui, rappelons-le, demeure vierge avant, pendant et après la venue au monde de Jésus.

Dans ces deux exemples, la vulve virginale – qu’elle soit explicite ou allusive – est extraite de l’endroit qu’elle devrait traditionnellement occuper. Bien entendu, le cas de la Vierge est exceptionnel, alors qu’en est-il des autres femmes ?

 

Qui cherche trouve

Hélène de Troie est une figure mythique de la beauté féminine. Pourtant, dans son Rapt peint par Zanobi Strozzi, la belle Grecque, alors enlevée par le prince troyen Pâris, est vêtue d’une élégante robe, à la mode du XVe siècle. Élégante certes, la robe est aussi très sage, sauf si l’on considère la forme qui se dessine dans le drapé de sa manche volante, gonflée par le mouvement des figures : alors apparaît un vagin, assez gigantesque compte-tenu de la taille de la jeune femme. La signification de cette proéminence vulvaire est claire, il s’agit de signaler le caractère adultérin de la relation qu’entretiennent les deux protagonistes principaux. De la même manière, une Grâce, sous le pinceau de Sandro Botticelli dans sa Naissance de Vénus, présente gracieusement du bout des doigts un drapé à l’aspect vaginal : une forme ovale et rougeâtre laisse délicatement s’échapper de son cœur, une fleur. Si cette vulve textile prend place près du visage de la déesse de la beauté, Vénus entièrement nue cache sa poitrine et son pubis comme le faisait quelques siècles plus tôt, sa semblable, la Vénus pudica de la statuaire antique. La pudeur de la déesse de la volupté ne serait-elle qu’un moyen pour le peintre de dévoiler davantage l’imaginaire du sexe féminin ?

Toujours est-il qu’au sein de ces représentations, la vulve a été déplacée de la figure vers un objet proche : dans le premier cas la manche volante d’Hélène, dans le second le drapé prêt à envelopper Vénus. Un tel procédé n’est pas sans rappeler les récentes initiatives pour valoriser les sexes féminins : si le Museum of vagina rassemble des images vulvaires variées, l’artiste anglais Jamie McCarthney a moulé, pour son Great Wall of Vagina, 400 sculptures de sexes de femmes âgées de 18 à 76 ans ! Ainsi, de l’époque contemporaine au Moyen Âge, isoler le sexe permet tout à la fois de polir l’objet licencieux tout en l’exhibant d’avantage. Effectivement, en extrayant le vagin de la femme, l’artiste pousse le spectateur à le chercher, le regarder, le découvrir. Et point non négligeable, la vulve y est représentée plus grande et donc plus détaillée !

 

 À la découverte du clitoris !

Isoler le vagin du corps féminin pour mieux en détailler le contenu semble aussi avoir inspiré la production littéraire, comme en témoigne un récit fort étonnant : le Roman de Renart. Contrairement à ce qu’indique son titre, ce texte n’est pas un roman, au moins pas dans le sens moderne du terme : il s’agit d’une collection de différents récits, écrits à partir du XIIe siècle (et appelés branches par les auteurs). L’intrigue se déroule à la cour des animaux autour d’un personnage, Renart le goupil (c’est le terme médiéval pour désigner le renard, ce dernier s’étant imposé grâce au personnage du roman !). Dans ce contexte, l’une des branches propose une histoire des plus savoureuses puisque Renart est présenté comme le créateur du vagin !

En cherchant à se venger de trois animaux – le coq, le cerf et le loup –, le célèbre goupil s’en va trouver un cinquième personnage : le roi Connin. Son nom (si poétique) dévoile la grande spécialité de ce roi qui passe son temps à dessiner, à l’aide d’une bêche, des sexes de femme alors composés d’une unique béance. Quand Renart arrive auprès de Connin et voit l’œuvre royale, il en exulte la laideur et se propose de l’améliorer. Pour ce faire, il commence par ordonner que ses trois adversaires soient écorchés (tant qu’à faire !), avant de s’employer au parachèvement de l’orifice initial : d’abord, il met en bonne place la peau du cou du cerf qui constitue dès lors le périnée, différenciant l’anus du vagin, puis Renart utilise la peau du loup pour matérialiser les poils pubiens, enfin la crête du coq lui sert à la confection de la partie la plus délicate de sa création : le clitoris. Si ce dernier semble absent de l’histoire médicale ainsi que des manuels scolaires (à l’exception des éditions Magnard !), notons que la littérature française ne l’a pas laissé de côté ! Mieux, le Roman de Renart offre, avec cette branche, la première mention littéraire du mot, qui en ancien français se dit landie. L’auteur souligne d’ailleurs que ce sont des femmes qui le lui ont appris.

L’épisode est particulièrement intéressant car, malgré son obscénité (le terme de con est mentionné de nombreuses fois), le sexe féminin, vu pour lui-même, ne semble pouvoir être conçu que par des biais détournés : s’il est d’abord une béance, il est ensuite formé de trois animaux, soulignant ainsi son caractère sauvage. De plus, le vagin se trouve créé par un personnage quasi diabolique, comme en atteste la couleur rousse de Renart. Dans la même veine, une autre œuvre médiévale (intitulée Le con fait à la bêche) a imaginé une vulve créée elle aussi à coup de bêche, mais cette fois, par le diable lui-même ! Notons que, dans les deux cas, ce sont des êtres masculins qui sont à l’origine du sexe de la femme...! Malgré tout, l’histoire de Renart se conclut par un bel éloge vulvaire puisque le narrateur proclame la douceur exceptionnelle du con et enjoint à sa célébration.

Alors, si Megumi Igarashi ne peut ni exposer d'image vulvaire, ni exhiber la reproduction plastique de son vagin sous peine d’être condamnée pour obscénité et pornographie (!), le Moyen Âge semble bien avoir trouvé le moyen de braver ces tabous : d’hier à aujourd’hui, le sexe féminin, à la fois fascination et répulsion.

 

Marie Piccoli-Wentzo et Nicolas Garnier

 

Pour aller plus loin

A lire sur nonfiction

 

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge.