L'étude de Limore Yagil montre la complexité de la situation de la police et de la gendarmerie sous l’Occupation.

Dans la lignée des travaux de Jean-Marc Berlière, l’ouvrage de Limore Yagil propose une recherche sur le rôle de la police et de la gendarmerie dans le sauvetage des Juifs de France, et sur leur aide à la Résistance. L’angle choisi n’est pas en tant que tel la participation d’une manière ou d’une autre à la Résistance, mais la totalité des actes qui ont permis d’empêcher des crimes d’être perpétués. C’est donc une histoire en creux que propose l’auteure. Elle privilégie la période 1940-1942. La situation est paradoxale puisque ces hommes agissent clandestinement d’un côté, tout en acceptant apparemment les ordres de l’autre. C’est en mettant en lumière leurs actions que l’auteure dresse un portrait contrasté.

En quelques chapitres, elle retrace l’action dans l’ombre des hommes de l’ordre. Trois grands thèmes sont liés : l’engagement résistant de certains membres des forces de l'ordre vichisoises, l’aide qu'ils ont pu apporter aux Juifs recherchés, et les aspects techniques de leur action.

Pour les policiers et les gendarmes, dès l’occupation commencée, il s’agit de cacher des armes. Les exemples donnés sont nombreux. Ensuite, des hommes des forces de l’ordre ont participé à la fois aux réseaux d’évasion des prisonniers, aidant à cacher les aviateurs et dès octobre 1940, et à faire passer des Juifs en zone sud. La particularité des réseaux résistants dans les forces de l’ordre est leur précocité. Limore Yagil en dénombre une dizaine dès 1941, comme le Groupe Valmy / Armée des volontaires, fondé par Arsène Poncey, ancien combattant policier du VIe arrondissement de Paris. Il met en place, entre autres, une filière d’évasion vers l’Espagne. Son fondateur meurt en déportation à Mauthausen en 1943.

En deuxième lieu, il s’agit d’aider les Juifs. La périodisation est importante car avant les rafles de l’année 1942, les forces de l’ordre (surtout en zone sud) ferment les yeux sur les évasions et les tentatives d’évasion. De même, à partir de 1942, les gendarmes et les policiers, beaucoup moins nombreux, préviennent ou font avertir les Juifs menacés d’arrestation et leur conseillent de quitter les lieux. Parallèlement, les gendarmes (surtout en zone sud) aident aussi au passage des frontières. Ce phénomène est connu depuis longtemps. L’exemple du village du Chambon-sur-Lignon en est une preuve. Comme l’a montré entre autres François Boulet dans Un refuge dans la Montagne (éditions du Roure, 2008), ce lieu de la Haute-Loire a accueilli et protégé des Juifs toute la guerre durant : presque 3 500 personnes au total y sont passées sans que personne ne les dénonce. L’auteure montre ainsi que le nombre de villages analogues est important, comme Saint-Martin-Vésubie dans les Alpes-Maritimes, Dieulefit dans la Drôme ou Vébron et Rousses en Lozère. Dans l’ensemble des cas, les forces de l’ordre participent au silence qui permet la protection des populations juives réfugiées.

Enfin, l'étude souligne que plusieurs inspecteurs et commissaires ont prévenu la population juive à Paris mais aussi dans le reste du pays juste avant les rafles. Elle donne des exemples nombreux à Paris mais également à Nice ou à Marseille, des civils ayant fait de même quand une menace pesait sur des réseaux résistants. Cette étude vient ainsi montrer la complexité de la situation de la police et de la gendarmerie sous l’Occupation, qu'on ne saurait résumer à une obéissance sans nuance aux ordres de l'Etat collaborationniste.

 

À lire aussi sur Nonfiction :

- Jean-Marc Berlière, Polices des temps noirs, par Sylvain Boulouque

- Michaël R. Marrus, Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs. Nouvelle édition, par Vincent Giroud

- Henry Rousso, Face au passé. Essais sur la mémoire contemporaine, par Anthony Guyon

- Yannick Simon, Composer sous Vichy, par Vincent Giroud

- Antoine Compagnon, Le cas Bernard Faÿ. Du Collège de France à l'indignité nationale, par Rémi Mathis