Un dictionnaire revient sur la collaboration entre la police et l’occupant, ainsi que sur les différentes formes prises par l’action policière durant cette période troublée.
La Police des temps noirs est appelé à devenir le livre de référence sur la police pendant la Seconde Guerre mondiale en France. Jean-Marc Berlière est le meilleur spécialiste de la police. Lassé des représentations et des reconstitutions erronées, il propose pour y remédier un dictionnaire de la police des années de collaboration qui synthétise des années de recherche.
Jean-Marc Berlière montre avec précision le fonctionnement de chacun des services et leurs compétences respectives permettant à chacun de se retrouver dans ce paysage complexe. En une centaine de notices, allant de quelques pages à plusieurs dizaines, l’auteur nous plonge dans les méandres des services de Vichy et de la collaboration.
La contrainte de l’occupation allemande
Le dictionnaire commence par l’Abwehr, le service de renseignement de l’armée allemande, qui est l’organisme qui a le plus contribué à faire chuter les réseaux de résistance, par un travail d’infiltration de ses groupes, et s’achève sur les zones rattachées au Gouverneur militaire allemand en Belgique. Ces deux notices encadrant le dictionnaire montrent que le cadre a été contraint par l’occupation allemande ; la question du fonctionnement de la police française ne se pose pas sans avoir à l’esprit en permanence l’omniprésence allemande.
La deuxième notice est également un moyen de comprendre la situation des polices et des accords de collaboration entre la France occupée et l’Allemagne. Dans la foulée de l’Armistice, et suite aux accords de La Haye de 1907, la violence légitime revient au Gouvernement militaire allemand en France, qui délègue et/ou utilise les forces de l’ordre françaises. S’il existe une convergence d’intérêt entre l’Allemagne et la France de Vichy, un accord formel est passé entre René Bousquet et Carl Oberg à l’été 1942, accord renouvelé et modifié l’année suivante. Ce texte encadre le rôle respectif des polices française et allemande notamment dans le cadre de la politique antisémite du régime de Vichy. L’article, aussi précis que synthétique, permet de périodiser les étapes de la collaboration, compromettant définitivement les forces de l’ordre dans la répression et les missions les plus viles. Dans la deuxième phase de l’Occupation, Bousquet est plus réticent, hésitant, voire même contradictoire dans ses intentions, faisant parfois l’apologie du régime d’Occupation tout en mettant en œuvre des obstacles administratifs à l’action allemande. Cette attitude finit par lui couter son poste ; il est remplacé à la demande de l’occupant par un authentique nazi, Joseph Darnand.
Les différentes facettes de l’action policière
Le dictionnaire permet soit une lecture continue soit une lecture thématique. Opter pour la lecture continue conduit rapidement à la notice sur les archives : entre la débâcle, où la police a tenté avec plus ou moins de succès de détruire une partie de ses archives, jusqu’à aujourd’hui où elles suscitent encore de nombreux fantasmes alors qu’il suffit d’aller y travailler avec les précautions méthodologiques d’usages. La lecture thématique permet de balayer le dictionnaire en fonction des renvois. Des organismes supplétifs comme les brigades nord-africaines, en passant le Parti populaire français dirigé par Jacques Doriot, jusqu’au « francisme » et le Rassemblement national populaire de Marcel Déat : tous ont épaulé ou parfois devancé les organes de répression « officielles » se faisant parallèlement les apôtres et les relais de la propagande nazie.
Le spécialiste de la politique et de la répression décrit aussi avec force détail l’organisation des services de deux brigades spéciales. La BS1 est chargée de la lutte anticommuniste, alors que la BS2 est spécialisée dans le terrorisme, les compétences de la seconde recoupant souvent celle de la première. Les policiers ont été considérés par beaucoup et à raison comme « des tortionnaires et des assassins ». En effet, seule une poignée passe dans la résistance alors que de nombreux membres des BS figurent parmi les épurés.
Cette pérégrination dans le dictionnaire permet également de constater qu’en province la lutte contre la Résistance est confiée par les autorités françaises à la Gendarmerie nationale. Enfin, Berlière interroge également l’épuration de la police rappelant les contraintes du métier et les principes d’obéissance qui font loi dans la profession, bouleversés par le contexte de l’Occupation.