Rendre des visages aux anonymes assassinés par les nazis, tel est le travail passionnant et nécessaire auquel s’est livré Hans-Joachim Lang.

Hans-Joachim Lang est journaliste. A travers Des noms derrière des numéros, il a voulu redonner vie à 86 personnes qui ont été assassinées dans le camp du Struthof le 2 août 1943. Les raisons de l’assassinat sont doubles. Elles participent du projet nazi d’extermination des Juifs et en même temps répondent à une volonté spécifique de quelques « savants fous » du régime nazi voulant créer un institut de recherche anatomique. Ces recherches ont été conduites par le médecin August Hirt qui souhaitait conserver les corps intacts, l’assassinat ayant été commandité par les membres de l'Ahnenerbe, le groupe scientifique de la SS.

L’auteur a mené une longue enquête pour reconstituer les itinéraires des 86 juifs – 29 femmes et 57 hommes – assassinés dans la chambre à gaz du Struthof. Cette enquête s'appuie notamment sur les archives d’Auschwitz, de Yad Vashem, du musée de l’Holocauste et des villes de naissance des victimes. Ce livre est donc une enquête historique et journaliste à livre ouvert pour reconstituer les parcours biographiques des victimes du nazisme. Comme pour les autres lieux de la mort de masse, les victimes de l’assassinat collectif regroupent des citoyens de tous les pays d’Europe. En effet, nombre de ces Juifs viennent de Pologne, de Biélorussie et de République Tchèque, quelques-uns viennent d’Allemagne ou de France, et une autre part très importante est issue de la communauté de Thessalonique (Grèce).

L’auteur a également voulu réaliser une véritable oraison funèbre. Il a consciencieusement cherché à retrouver les noms, les lieux et la vie des victimes. Explorant tant de parcours unis par les conditions de leur mise à mort, il s’est rendu dans différents lieux et dans différentes villes d’Europe. Il a ainsi pu retrouver, par exemple, une adresse qui fut celle de l’appartement d’Alice Simon, née Remak, en 1887 à Posen en Prusse orientale. Elle épouse Herbert Simon qui exerce la profession d’avocat et vit dans le centre de Berlin avant d’être arrêtée en 1943 et déporté pour l’Alsace. Autre exemple : Jean Kotz, né à Paris en 1912. Fils de Juif polonais, représentant commercial, il ne porte pas l’étoile jaune. Déporté à Sobibor, il s’échappe du train mais est rattrapé et déporté à Auschwitz. Les médecins de la SS l’envoient ensuite au Struthof. Mais l’enquête n’a pas eu à chaque fois les mêmes résultats : ainsi Hans-Joachim Lang n’a pas réussi à reconstituer la vie d'Aron Aron, dont on sait seulement qu’il est né à Thessalonique et qu'il fut d’abord déporté à Auschwitz, avant d'être envoyé au Struthof.

Ces lieux de l’Europe d’avant la guerre sont aussi le moyen, pour l’auteur, de restituer ce qu’à pu être le continent avant la Seconde Guerre mondiale. Il réalise ainsi un beau portrait la ville de Thessalonique et arrive à restituer les traces de la vie juive dans plusieurs Shtehtl d’Europe centrale et orientale.

Hans-Joachim Lang décrit également la machine de mort nazie. Il montre comment les victimes ont été sélectionnées depuis Auschwitz pour être envoyées au Struthof. Dans l’esprit des responsables scientifiques nazis, il s’agit de créer une anthropométrie des Juifs. Ce projet revient de manière obsessionnelle chez les responsables nazis. Il se retrouve dans plusieurs expositions antisémites, comme celle qui s’est tenue quelques mois auparavant à Paris.

Hans-Joachim Lang présente dans un dernier temps le système de sélection réalisé à Auschwitz et la deuxième déportation des Juifs vers le camp alsacien. Les juifs sont sélectionnés selon les modes de représentations nazis et conduits dans un train spécial en Alsace afin d’être livrés à cette expérience ultime de déshumanisation.

S'il était encore besoin de confirmer la conscience que les nazis avaient de leurs propres crimes, le régime tente, lors de sa déroute, d’effacer les traces de ses assassinats, et les bourreaux s'efforcent de minimiser leur participation au meurtre en faisant disparaître les corps à la disparition et en maquillant les traces des crimes. Lang a ainsi retrouvé le compte-rendu du procès du gardien qui a actionné le gaz : compte-rendu dans lequel ce dernier explique, comme son supérieur, qu’ils n’ont fait qu’appliquer les ordres.

 

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