Le nouvel épisode des Animaux Fantastiques nous promet son lot d'animaux magiques... largement inspirés des bestiaires médiévaux !

La semaine prochaine sortira sur nos écrans Les Crimes de Grindelwald, deuxième opus de la série des Animaux Fantastiques, spin-off de la saga Harry Potter, dans lequel nous retrouverons le sorcier Norbert Dragonneau, fasciné par les animaux magiques. Cet épisode promet à nouveau son lot de créatures originales : niffleurs, botrucs, sombrals, etc. Originales ? Pas tant que ça si l’on se penche un peu sur les bestiaires médiévaux.

 

Éternel dragon...

Il n’est plus besoin de présenter le dragon, grand chouchou de la culture fantastique/fantasy du XXIe siècle. Et pourtant, il ne faut pas oublier que ses origines remontent aux mythologies gréco-romaine, celtique et germanique et à l’incontournable tradition biblique, avec son Léviathan et son Dragon de l’Apocalypse. Selon certains spécialistes, les premiers dragons dateraient même du paléolithique et auraient suivi la première diaspora humaine depuis l’Afrique de l’Est pour se diffuser en Asie et en Europe !

Le Moyen Âge occidental condense toutes ces traditions en un dragon plutôt uniforme, à l’aspect reptilien, doté d’ailes et crachant du feu. Surtout, il en fait une incarnation diabolique, symbole du monde chaotique et païen qu’il faut combattre et tuer. Il est alors opposé au chevalier, à la vierge, aux saint.e.s, et finit toujours par être vaincu, ce qui conduit généralement à des baptêmes en masse.

Si la Renaissance et les Lumières boudent le dragon, symbole d’un Moyen Âge obscur et ignorant, le XXe siècle lui déroule le tapis rouge pour un retour en fanfare, notamment grâce à des auteurs comme J.R.R. Tolkien (Le Hobbit) ou C.S. Lewis (Le Monde de Narnia). À l’instar de la saga Harry Potter, la culture contemporaine offre au dragon de nouveaux supports, tels que le cinéma ou le jeu vidéo, mettant l’emphase sur la représentation physique de la créature.

 

Si l’on met de côté leur nature diabolique, les dragons dans Harry Potter sont plutôt fidèles à la représentation médiévale puisqu’ils servent de faire-valoir aux héros, ici les quatre concurrents de la Coupe des Trois Sorciers dans le quatrième opus. D’ailleurs, Dumbledore lui-même annonce que le vainqueur de la compétition fera la gloire de son école et entrera dans l’histoire... Harry Potter ne semble alors plus si loin de nos héros médiévaux.

Néanmoins, de nombreuses œuvres contemporaines décident de donner une autre dimension au dragon, et ne le présentent plus uniquement comme un monstre assoiffé de sang. Ainsi, certains auteurs font du dragon un ami du héros, tel le film Dragonslayer de Matthew Robbins en 1981, la saga L’Héritage de Christopher Paolini ou Peter et Elliott le Dragon des studios Disney   Dans la série de films d’animation des studios DreamWorks Dragons, ceux-ci, d’abord considérés comme des nuisibles, vont devenir les amis et alliés des Vikings. Cette idée se retrouve dans le dernier opus des Harry Potter lorsque Harry, Ron et Hermione découvrent le sort horrible réservé au dragon gardant la banque Gringotts: celui-ci n’est plus un monstre à vaincre pour la gloire, mais une victime à défendre.

D’autres font même du dragon le héros de leurs œuvres, en y ajoutant généralement une touche ironique. Ainsi, la sérié télévisée italienne Grisù il Draghetto (Grisù le petit dragon) met en scène un petit dragon qui rêve de devenir pompier, bien qu’il soit issu d’une grande lignée de dragons cracheurs de feu. Et si une grande partie de ces œuvres est destinée au enfants ou aux jeunes adultes, ce n’est pas dû au hasard : le dragon sert désormais à montrer que tout est possible pour qui le souhaite, et qu’au-delà des apparences et des préjugés, chacun peut devenir ce qu’il a envie d’être. Défendre ses idées, c’est ce que fait également Kazul, la dragonne des Chroniques de la Forêt Enchantée de Patrica C. Wrede, dont les personnages principaux sont une princesse, une sorcière et une dragonne. Cette dernière se présente à l’élection du roi des dragons, parce que « roi n’est qu’un titre, peu importe le genre de celui qui le porte », et parce que la fonction de reine est si peu intéressante, que le poste est vacant depuis de nombreuses années. Le dragon soutient désormais la cause féministe ; nous sommes bien loin des dragons qui enlevaient des princesses pour les dévorer !

 

 

Sortez les griffes !

Impossible de parler des monstres de Harry Potter sans mentionner celui qui donne son nom à la maison du héros : le griffon. Ce dernier apparaît d’abord dans les cultures mésopotamienne et égyptienne, puis est brièvement évoqué par Pline l’Ancien et Hérodote. Une nouvelle fois, le Moyen Âge l’harmonise en une créature au corps et ailes d’aigle à l’avant et aux pattes arrière de lion, ainsi que décrit dans les Étymologies d’Isidore de Séville ou le bestiaire de Barthélémy l’Anglais. C’est Jean de Mandeville, dans ses Voyages, qui en fait la description la plus précise : « le Griffon a le corps plus grand que huit lions et il est plus robustes que cent aigles », et il peut enlever un cheval et son cavalier pour l’emmener à son nid !

Bien que largement présent dans l’iconographie médiévale (la Tapisserie de Bayeux ne compte pas moins de quatorze griffons dans ses bordures), le Moyen Âge peine à catégoriser le griffon. Il est mi-aigle, mi-lion, c’est-à-dire deux créatures christiques, donc il est forcément bon, mais, comme toute créature hybride, il est contre-nature, donc ne peut être que mauvais. A-t-on fini par trouver une solution à cette problématique théologique ? L’histoire ne le dit pas mais le griffon connaît également un petit renouveau au XXe siècle, notamment avec Lewis Carroll qui en fait l’un des personnages des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles. Après avoir joué au croquet avec la reine, Alice est conduite au griffon qui lui fait faire la connaissance de la simili-tortue, puis les deux créatures lui apprennent le quadrille des homards. Ce griffon n’est plus du tout théologique, il n’est que le fuit de l’imagination de la jeune fille incarnée en diverses créatures plus insolites les unes que les autres, et bien que le griffon soit présenté sous une forme très médiévale, il est associé à une créature mi-tortue mi-veau, produit d’une culture bien plus moderne.  Le griffon est connu dans l’univers de Harry Potter surtout pour le nom de la maison du héros, Gryffondor, mais de manière assez surprenante, le blason de la maison est un lion d’or sur fond de gueules. Pourtant, le griffon est un meuble héraldique que l’on retrouve régulièrement sur les blasons des familles nobles européennes.

 

Cousin du griffon, l’hippogriffe est mi-cheval mi-griffon (donc ½ cheval, ¼ aigle et ¼ lion, vous suivez toujours ?), ou plus précisément la tête et les ailes d’un aigle, les pattes avant d’un lion avec des serres d’aigle et l’arrière d’un cheval, c’est donc l’hybride d’un hybride. Virgile est le premier à évoquer ce mélange de cheval et de griffon, mais il l’utilise pour exprimer l’impossibilité. Cette signification disparaît avec l’Italien Ludovico Ariosto, dans son Orlando Furioso au début du XVIe siècle, qui en fait un monstre littéraire en bonne et due forme. L’hippogriffe y est cependant présenté comme la monture du chevalier Roland qui l’aidera dans ses aventures jusqu’à ce que le héros le desselle et le relâche à la fin de l’histoire. Ainsi, ce n’est pas J.K Rowling qui a inventé l’hippogriffe, comme certains fans le croient ! Cela dit, l’auteure l’a largement fait redécouvrir au grand public grâce au personnage de Buckbeak, hippogriffe condamné à mort à cause d’une injustice et sauvé in extremis par Harry et Hermione. Depuis, certains jeux de rôle tels que Warcraft l’ont intégré à leurs bestiaires. De manière plus inattendue, on retrouve des hippogriffes dans le film My Little Pony sorti en 2017, mais bien qu’ils en portent le nom, les hippogriffes présentés ne sont pas mi-griffon mi-cheval, mais ont la tête et les ailes d’un aigle et l’arrière... d’un poney.

 

Pour aller plus loin :

- Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Paris, Gallimard, 1987

- Gaston Duchet Suchaux et Michel Pastoureau, Le Bestiaire médiéval. Dictionnaire historique et bibliographique, Paris, Le Léopard d’Or, 2002

- Carol Rose, Giants, Monsters and Dragons. An Encyclopedia of Folklore, Legend, and Myth, New York, Norton, 2000

À lire aussi sur Nonfiction :

- Florian Besson, Actuel Moyen Âge - Ici sont les dragons, des cartes au code

- Lucie Herbreteau, Actuel Moyen Âge - La licorne, de Jésus aux startups

- Tristan Martin, Le Moyen Âge en bande déssinée, compte-rendu par Florian Besson

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