L’auteure de « Musique et politique » revient sur les rapports entre ces deux mondes et sur le décloisonnement disciplinaire, entre histoire et musicologie, qui permet leur étude.

Elise Petit vient de publier Musique et politique en Allemagne du IIIe Reich à la guerre froide aux PUPS. Elle a accepté de répondre aux questions de Nonfiction à cette occasion.

 

Nonfiction : En quoi votre double formation d’historienne et de musicologue détermine-t-elle votre sujet d’étude et le traitement de la question que vous abordez dans votre livre ?

Elise Petit : J’ai suivi des études de musicologie « classique » à l’Université de Tours ; on y faisait la part belle à l’analyse des partitions. Mais les implications politiques de la création musicale m’ont toujours passionnée, et ce à toutes les périodes. Très tôt, je me suis donc intéressée à des sujets davantage « historiques » et j’ai écrit mon mémoire de Maîtrise sur l’opéra pour enfants Brundibár, donné dans le camp-ghetto de Terezín. Je milite pour sortir des étiquettes et des « cases » du champ universitaire et des aberrations qui en découlent : En France, l’enseignement de l’histoire de la musique du xxe siècle est encore divisé en deux périodes et la guerre est très souvent absente de l’une et de l’autre ; il y a une sorte de no man’s land entre 1933 et 1945, car il règne encore l’idée que la musique est éminemment apolitique !

 

Votre ouvrage marque incontestablement une étape historiographique en France. Votre approche se différencie-t-elle des approches historiographiques anglo-saxonne et allemande ? Autrement dit, votre étude présente-t-elle une spécificité « à la française » ?

Mon approche a été impulsée par des conversations avec Erik Levi, musicologue britannique auteur de Music in the Third Reich, et Philip Bohlman, ethnomusicologue américain spécialiste notamment de la musique juive. Ces deux interlocuteurs pointaient régulièrement le caractère utopique de cette fameuse « table rase » que l’on évoque toujours aujourd’hui lorsque l’on étudie la création musicale en Allemagne après 1945. Il m’est donc apparu indispensable de relier l’avant et l’après-guerre dans cette étude : non, il n’y a pas eu de « musique nouvelle », « sortie des ruines » en 1945 ! Au contraire, la création musicale s’est définie le plus souvent par le rejet de ce qui s’était fait sous le IIIe Reich, d’où la remise à l’honneur de Schoenberg et des musiques qui avaient été jugées « dégénérées ». Mais en même temps, l’ordre du jour politique dans les camps américain et soviétique a donné naissance à des esthétiques antagonistes et véritablement en guerre. Bien que « l’Heure zéro » soit aujourd’hui largement contestée, aucun ouvrage n’avait étudié les politiques musicales à la fois sous le IIIe Reich et dans l’après-guerre.

 

Votre étude est issue partiellement d’une thèse d’histoire de la musique. Le croisement des champs disciplinaires a-t-il été évident à gérer ? Des difficultés particulières ont-elles émergé en raison de ce croisement ?

Le croisement disciplinaire ne pose pas de problème en termes de méthodologie ; au contraire, mon travail s’en est trouvé considérablement enrichi. La principale difficulté a plutôt été de trouver les interlocuteurs vers lesquels me tourner pour obtenir des conseils sur ce travail ! Pour les historiens, c’était un sujet trop musicologique… Mais le fait que mon ouvrage ait été publié par les PUPS (Sorbonne Université Presses) dans une collection d’histoire montre que l’intérêt pour l’interdisciplinarité est réel. L’histoire politique de la musique est un champ dans lequel on compte encore très peu de spécialistes en France, et ce sont majoritairement des musicologues ; la Collaboration durant la Seconde Guerre mondiale est le volet qui attire pour l’instant le plus grand nombre de chercheurs, tout comme la diplomatie culturelle de la France après la guerre. Concernant la musique allemande durant la guerre froide, il faut en revanche se tourner vers les acteurs allemands et anglo-saxons de l’histoire culturelle.

 

Y a-t-il matière à prolonger votre étude par l’examen du rôle politique joué par la musique en RFA et en RDA jusqu’en 1990 ? Est-ce une perspective qui vous tente ?

L’étude du rôle politique de la musique en RDA est un sujet qui a été abondamment exploré, principalement en Allemagne et aux États-Unis, depuis les années 1990 ; en revanche, les usages politiques de la musique en RFA ont été moins étudiés. On recense également quantité d’ouvrages récents sur la problématique « Musique et guerre froide », qui me passionne tout autant que les politiques musicales mises en œuvre sous le IIIe Reich. Le destin particulier du jazz dans ce contexte est notamment un sujet que j’aimerais pouvoir explorer plus en détail. Pour l’heure, mes recherches se focalisent sur les usages de la musique dans le système concentrationnaire, qui seront au cœur de mon prochain ouvrage.

 

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- Le compte rendu d'Elise Petit, Musique et politique en Allemagne du IIIe Reich à la guerre froide, par Stéphane LETEURE.