Une analyse de l'enseignement de l'Histoire en France depuis le XIXe siècle au regard de ses enjeux actuels.

Sur l'enseignement de l'Histoire était un livre attendu, parce qu'il sort à un moment où les débats sur la place de l'Histoire dans la société et dans l'enseignement en France sont à nouveau exacerbés entre, d'une part, les historiens qui prônent une histoire scientifique et impartiale et, d'autre part, ceux qui, qualifiés par leurs adversaires « d'historiens de garde », voudraient que l'Histoire soit un « roman national » en charge de la formation des citoyens.

Dans ce livre, l'historienne et enseignante Laurence de Cock, co-fondatrice du collectif Aggiornamento, retrace les grandes évolutions de l'enseignement de l'Histoire en France et propose plusieurs idées pour une réforme de la façon d'enseigner afin d'ouvrir de nouvelles pistes aux professeurs, aux élèves et aux étudiants.

 

Les grandes étapes de l'évolution de l'enseignement de l'Histoire

Sur l'enseignement de l'Histoire est une mise au point salutaire sur la façon dont est enseignée l'Histoire en France depuis le XIXe siècle. Laurence De Cock ne se contente pas d'étudier les programmes du secondaire. En effet, son analyse s'applique aussi aux programmes du primaire, qui a été pendant longtemps pour la majorité des Français le seul lieu où les élèves assistaient à des cours d'histoire   . Laurence de Cock distingue plusieurs périodes importantes dans l'enseignement de l'Histoire en France.

Il y a tout d'abord la période qui va de l'installation de la IIIe République (avec les lois scolaire de Jules Ferry de 1881-1882 qui rendent l'école obligatoire de 6 à 13 ans, laïque et gratuite) à la fin de la Grande Guerre. Cette période, souvent louée encore aujourd'hui par les tenants du « roman national », est aussi celle d'Ernest Lavisse, « l'instituteur national », auteur de très nombreux manuels, dont le plus célèbre, Le petit Lavisse, a été le livre de classe de millions de petits français à l'école primaire, au moins jusque dans les années 1920. Laurence de Cock rappelle, avec beaucoup de justesse, le rôle que l'on attribuait à l'Histoire et aux enseignants : celui de former des citoyens, et si possible des citoyens en armes, la revanche vis-à-vis de l'Allemagne restant dans l'esprit de beaucoup de Français depuis 1871. L'Histoire devait donc créer des héros français - auxquels les jeunes garçons et les jeunes filles sur les bancs de l'école devaient s'identifier - porteurs des valeurs de la nation française. Laurence de Cock, bien que n'ayant pourtant aucune espèce de nostalgie vis-à-vis du « roman national », réhabilite le travail de Lavisse qu'elle assimile à un grand pédagogue. Il est vrai, comme elle le démontre parfaitement, que ce dernier a su toucher une grande partie des Français à travers ses manuels et, surtout, qu'il a su adapter son discours historique des petites classes de primaire jusqu'au baccalauréat.

Cette façon d'enseigner, dominée par le modèle Lavissien, est remise en cause après la Première Guerre mondiale, à un moment où, après plus de quatre années de sacrifice, la population a du mal à entendre le discours sur la France éternelle et surtout sur des héros prêts à se sacrifier pour leur pays. Le pacifisme dominant est donc aussi présent dans l'enseignement de l'Histoire. C'est à cette époque que certains, derrière Marc Bloch, voudraient voir les programmes évoluer pour prendre mieux en compte les avancées historiographiques, notamment du groupe des « Annales », mais aussi les aspirations sociologiques de la population à voir triompher un modèle pacifiste. Ce modèle, très présent dans une partie de l'opinion de gauche au moment du Front Populaire, ne résiste pas à la montée des périls de la fin des années 1930 et à la guerre. Pétain et Vichy le rejettent d'ailleurs in-extenso en préférant revenir à la situation ante où les grandes figures du Roman national (Vercingétorix et surtout Jeanne d'Arc) sont mises en avant.

Dans l'après-guerre, c'est Lucien Febvre qui va se charger d'étudier à une refonte des programmes d'Histoire (son camarade Bloch ayant été fusillé par les Allemands en 1944). Le temps des Annales est venu dans la façon d'enseigner l'Histoire, du primaire à l'université. Le but est alors de « refonder l'Histoire scolaire dans un contexte post traumatique ». Mais les nouveaux programmes ne modifient pas radicalement la façon d'enseigner l'Histoire. Fernand Braudel, dans les programmes de 1957, a voulu moderniser la façon d'enseigner la matière, en tenant réellement compte des avancées historiographique. Dans la réalité, ces nouveaux programmes ne sont novateurs qu'en terminale, c'est à dire auprès d'une très petite minorité d'individus, puisqu’à cette époque, la massification de l'enseignement secondaire en France n’a pas réellement débuté. En parallèle, cette période est toutefois celle des avancées pédagogiques dans le primaire, avec le développement de méthodes nouvelles à l'image de celle promue depuis de nombreuses années par Célestin Freinet.

Mai 68 est à l’origine de nombreuses ruptures dans la manière d’enseigner l’histoire. Reprenant l'exemple de l'historienne Suzanne Citron   , Laurence de Cock montre comment de nombreux enseignants ont tenu compte des revendications soixante-huitardes pour les intégrer à leur enseignement. Ainsi, la pédagogie par projet, qui associe d'avantage les élèves à l'enseignement de l'Histoire, se développe à cette époque. Laurence de Cock insiste sur ces nouveautés, aujourd'hui utilisées par une majorité d'enseignants en histoire, et sur leur diffusion à la suite des événements, en particulier dans les années 1970. Cette position n'est d'ailleurs pas celle de tous les historiens de l'éducation : par exemple, Antoine Prost ne voit pas de changements significatifs dans la façon d'enseigner après Mai 68.

Dans les années 1980, on assiste à un premier retour du « roman national », derrière des historiens profondément républicains, comme Alain Decaux qui s'exclame : « on n'enseigne plus l'histoire de France à vos enfants ». Decaux, pourtant de gauche, s'émouvait alors du manque de références de personnages historiques chez les élèves, alors que l'Histoire en France avait alors une vraie aura dans le public (comme en témoignent les grands succès de librairie depuis les années 1970, à l'image du Montaillou village occitan de Le Roy Ladurie). Tous ces débats sont clairement retranscrits et contextualisés par Laurence De Cock. Ainsi, dans les années 1990, les débats autour des acteurs de l'Histoire, notamment à propos de la Résistance et de la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi des tensions nées de la guerre d'Algérie, sont bien décrites et présentées et éclairent les enjeux historiographiques et pédagogiques de cette époque.

 

Les débats actuels sur l'enseignement et le rôle de l'Histoire

Depuis les années 2000, « une pression politique et sociale » sur l'histoire scolaire est apparue. En témoignent les nombreux débats sur le rôle à donner à cet enseignement auquel certains, y compris dans les milieux du pouvoir, voudraient assigner une réelle mission dans la formation citoyenne des jeunes français. Ces discussions, encore d'actualité, notamment sur le cadre géographique des programmes (faut-il se contenter d'enseigner l'Histoire de France ou faut-il élargir à l'échelle du monde ?), reflètent les débats historiographiques entre les « historiens de garde » et ceux ne peuvent comprendre l'Histoire que de façon globale et qui, derrière Patrick Boucheron, proposent, par exemple, une Histoire mondiale de la France   .

La lecture de Sur l'enseignement de l'Histoire constitue une vraie mise au point épistémologique sur la discipline historique, sur la façon de l'enseigner et sur les attentes des élèves et de la société. Il faut saluer l'effort de pédagogie de Laurence De Cock. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce livre n'est pas uniquement destiné aux enseignants, mais pourra intéresser tous ceux qui souhaitent comprendre les enjeux de l'enseignement de cette matière depuis le XIXe siècle. En effet, et contrairement à d'autres disciplines scolaires, l'Histoire est souvent au cœur de débats du fait de la demande sociale qui l'entoure.

Toutefois, faire de l'Histoire, ce n'est pas faire n'importe quoi. Il existe une vraie démarche scientifique à respecter pour éviter les erreurs, surtout dans l'enseignement. Laurence De Cock, défenseuse d'une école émancipatrice, montre ici comment, selon la façon d'enseigner cette matière, on peut susciter chez les élèves un vrai questionnement sur le passé et le présent. Elle pousse les enseignants à développer de nouvelles méthodes pédagogiques visant à donner aux élèves des méthodes et des savoirs pour comprendre et analyser le monde actuel. Ainsi, Sur l'enseignement de l'Histoire devrait être une lecture obligatoire pour les enseignants qui s’interrogent sur la meilleure façon de faire leur métier