Où l'anniversaire de la chronique donne lieu à un article sur les anniversaires au Moyen Âge...

Actuel Moyen Âge fête ses deux ans cette semaine et ceci est le centième article ! Nous sommes les premiers surpris de cette longévité et nous te remercions, lecteur.trice, car c'est grâce à toi qu'on a envie de continuer à écrire : ta curiosité renouvelée est notre plus beau cadeau. Pour l'occasion, retour sur cette fête si importante dans nos pratiques contemporaines : l'anniversaire.

 

Fêter les morts

 

Le latin médiéval est bourré de faux amis. L'un des plus traîtres est probablement dies natalis : a priori, on traduirait immédiatement par « jour de la naissance ». Et du coup, quand on lit dans une charte qu'une veuve fait célébrer des messes le « dies natalis » de son mari, on se dirait bingo, voilà un anniversaire.

Sauf que raté, car « dies natalis » ne désigne pas le jour de la naissance (natalis), mais le jour de la mort. Au Moyen Âge, on fête l'anniversaire des morts, plus que celui des vivants. De même, notre calendrier fête chaque jour un saint : or ce jour est le jour de sa mort. Bref, en anglais, on devrait chanter « happy deathday to you... ».

Pourquoi alors parler de « jour de la naissance » ? Vous l'avez probablement deviné : pour un chrétien, la mort est une seconde naissance, et même en réalité une naissance plus importante que la première, car en abandonnant son corps on naît à la vie éternelle (et, si tout va bien, on accède au paradis). L'expression traduit donc une vision extrêmement positive de la mort, vue comme le passage vers un monde meilleur. La mort est d'autant moins grave qu'elle n'a rien de définitif : à la fin des temps, tous ressusciteront. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la mort n'est pas ressentie au Moyen Âge comme quelque chose de triste : si le défunt ou la défunte partent pour un au-delà plus doux, les vivants doivent vivre avec la douleur de leur absence.

 

Le sens social d'un rite

 

Fêter le jour de la mort de quelqu'un a plusieurs buts. Il s'agit d'abord de prier pour le défunt, ce qu'on appelle une messe d'intercession : se développe en effet à partir du XIIe siècle la croyance au Purgatoire, une sorte de hall d'attente avant d'accéder au Paradis, et l'idée connexe que les prières des vivants peuvent diminuer le nombre de jour qu'on a à passer là-bas.

Les messes des morts, qui se développent énormément aux XIIe-XIIIe siècles, expriment donc la conviction profonde d'un lien entre les vivants et les morts. Les vivants peuvent agir pour les morts, et vice-versa : c'est pour ça qu'on prie les saints, des « morts glorieux » qui peuvent envoyer des miracles.

Ce lien ressenti et renouvelé par de tels rites entre les vivants et les morts est à la base de la société médiévale : alors que nos morts à nous sont absents, masqués – on ne les voit plus mourir, on ne fréquente plus guère les cimetières – les morts médiévaux sont au cœur de la vie. On leur parle, on leur adresse des prières, on répond à leurs demandes lorsqu'ils se manifestent dans une vision ou dans un rêve.

Fêter l'anniversaire d'un mort, c'est aussi ça : affirmer que les liens tissés entre les vivants survivent à la mort, voire même se renforcent. Nos cultures occidentales ont largement perdu cette conviction, nous laissant plus isolés et plus démunis face à la mort que ne l'étaient les médiévaux.

 

Et le birthday alors ?

 

Revenons à des choses plus joyeuses : du coup, quid de notre anniversaire, au sens contemporain du terme ? Ou, pour le dire autrement, quand est-ce qu'on mange le gâteau ??

Les Grecs et les Romains (et même les Égyptiens et, semble-t-il, les Mésopotamiens) fêtaient le jour de leur naissance : on appelait ça la natalice. Au cours du Haut Moyen Âge, l'usage se perd : l'Église catholique y voit une pratique païenne, l'un de ces rites qu'elle tente de faire disparaître ou, à défaut, de récupérer. On fête ainsi Noël, mais la date choisie reprend en réalité celle de la naissance du dieu Mithra... Par ailleurs, la plupart des médiévaux ne connaissaient probablement pas précisément leur date de naissance, ni le jour ni même l'année – et ce même au plus haut niveau : on ne sait pas si saint Louis est né en 1214 ou en 1215.

Ce n'est qu'à partir du XVe-XVIe siècle que se diffuse un nouvel intérêt pour l'anniversaire, lié notamment à une nouvelle conscience de l'individu. Dans sa célèbre autobiographie dessinée, Matthaüs Schwarz, marchand allemand né en 1497, consacre ainsi treize images sur 137 aux costumes qu'il a portés le jour de son anniversaire. Surtout, on voit qu'il a fait réaliser ces costumes exprès pour ce jour-là, ce qui souligne son importance dans la scansion de sa vie.

 

 

La Réforme protestante va accroître ce mouvement : les protestants y voient en effet le moyen d'organiser des fêtes qui ne soient pas liées aux cultes des saints. Si vous avez droit à un gâteau et à des cadeaux chaque année, c'est grâce aux guerres de religion.

Reste que la diffusion de l'anniversaire a été très lente. Quand Louis XIII réclame une fête d'anniversaire, on le gronde et il n'obtient que le droit de ne pas faire ses devoirs. Le gâteau avec les bougies n'est attesté qu'à partir de 1780, dans la haute société allemande. La pratique de l'anniversaire individuel ne se diffuse en France que très progressivement durant le XIXe siècle, et non sans de fortes résistances du clergé catholique qui se méfie de cette fête si égoïste et invite plutôt à fêter le saint dont on porte le nom. Quant à la chanson « happy birthday », elle ne date que de 1924.

Notre anniversaire est finalement très contemporain, et prend racine dans la lente sortie du catholicisme. Derrière une fête apparemment anodine se cache une histoire tortueuse, longue de plusieurs siècles. Ces rapports complexes entre l'hier et l'aujourd'hui, Actuel Moyen Âge va continuer de les explorer – on se retrouve pour le 500e article !

 

 

Pour en savoir plus :

- Michel Lauwers, La Mémoire des ancêtres, le souci des morts : morts, rites et sociétés au Moyen Âge, diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles, Paris, Beauchesne, 1997.

- Jean-Claude Schmitt, Les Revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994.

- Jean-Claude Schmitt, L’invention de l’anniversaire, Arkhê. On lire aussi un très bon compte-rendu de Vincent Coulon sur ce livre et un long article de Jean-Claude Schmitt qui reprend les principaux points de l'argumentation.

À lire aussi sur Nonfiction :

- Pauline Guéna, "Actuel Moyen Âge – Quand les morts se réveillent"

- Florian Besson, "Actuel Moyen Âge – Noël 1223 : la première crèche"

 

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge