Eric Dufour, auteur du livre La valeur d'un film (Armand Colin, 2015), a souhaité réagir à la critique de son ouvrage parue sur Nonfiction.fr, sous la plume de Philippe Ortoli. Nous publions ici son droit de réponse. Vous pouvez retrouver l'article en question ici, et la réponse de Philippe Ortoli au texte ci-dessous ici.

 

Cher Monsieur Ortoli,

 

Il est bien de m’avoir lu – mais il est moins bien de me faire dire n’importe quoi et de produire, même pas une « lecture faible », mais une « lecture très, très faible ».

 

Outre les erreurs factuelles de votre texte (je ne suis pas dans un département dirigé par J. Nacache ; etc.), je ne renvoie pas tout le monde à dos et ne dis absolument pas que tout se vaut. Relisez le livre svp ! De même je ne crache pas sur la formation à laquelle je participe – puisque je distingue précisément à la suite de Passeron un « usage fort » d’un « usage faible » (et je développe évidemment tout ce qui va avec).

 

Dans le livre, je ne m’élève pas contre les experts en général – mais contre 2  choses : d’abord la confiscation par certains experts du discours esthétique (parce que seul le leur serait légitime),  ensuite l’incapacité de certains experts à produire une « lecture forte », lorsqu’ils vomissent des slogans et surfent sur des pseudo-évidences dans l’air du temps, utilisant l’indignation, l’émotion et la mauvaise foi(1) pour emporter l’adhésion du lecteur.

 

De toute façon, je sais que vous ne pouvez pas me lire autrement que vous m’avez lu, donc en fonction de vos intérêts et de votre position. Tout cela, donc, n’est pas très grave et était absolument prévisible. Je me disais bien qu’à un moment donné il faudrait que quelqu’un aille au front pour défendre l’honneur bafoué de ceux que je « conspue » , comme vous dites – et encore une fois à tort : moi je ne critique pas des personnes, je critique des propos et des positions, ce qui n’est pas la même chose, cher Monsieur. Je ne lutte pas contre le système auquel je participe et auquel je suis heureux de participer, cher Monsieur, mais je lutte contre la bêtise.

 

Une dernière remarque de détail : la référence à la distinction kantienne beauté libre/adhérente est maladroite et, là encore, témoigne de votre incapacité à faire une « lecture forte » du texte de Kant – car la beauté adhérente, chez Kant, ça relève de ce que Hitchcock, dans le Hitchcock/Truffaut, nomme « vraisemblance » par opposition à « cohérence » (et que, justement, il critique). Et j’imagine que ce n’est pas la vraisemblance que vous voulez faire valoir, non ? Bon, passons…

 

Bien à vous,

 

(1)Un unique exemple. Ortoli dit a) : Dufour se contredit :  d’un côté, il critique les experts, de l’autre quand il analyse un film, et qu’il utilise p.ex. des connaissances musicales pour parler du rapport musique/cinéma, il raisonne en expert !! Mais je passe mon temps dans le livre à dire que j’occupe une position d’expert, que je suis un expert puisque je parle en universitaire !! Mais, simplement, j’ajoute que mon discours, par exemple sur Scarface, n’a pas plus de légitimité que celui de n’importe qui (et je critique les experts qui prétendent que leur discours est seul légitime : je répète afin que, si Ortoli ne me comprend pas, le lecteur, lui, me comprenne). Et là, Ortoli voit une seconde contradiction ! Il dit : b) Dufour méprise sa position, il crache dessus. Là encore, contresens !! Car je dis simplement que c’est DU POINT DE VUE ESTHETIQUE, i.e. du point de vue de l’estimation de la valeur de l’œuvre d’art que mon discours n’a pas plus de légitimité que celui de n’importe qui – bref, je ne parle pas du POINT DE VUE THEORIQUE, celui de la construction d’un discours en suivant une argumentation rigoureuse qui obéit aux lois de la logique (lois que M. Ortoli gagnerait à respecter).