Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Cette semaine, le début du Tour de France donne l'occasion de s’interroger sur les différents rythmes et espaces concernés par cet événement sportif qui sanctionne tous les ans le passage en France au rythme d’été…



L’été arrive à grands pas et, avec lui, des rythmes bien particuliers : celui des vacances universitaires et scolaires (instaurées depuis le XIIIe siècle avec la naissance des universités), celui des longs déplacements et surtout celui bien particulier du Tour de France. Le dernier ouvrage de l’historien médiéviste Jean-Claude Schmitt, qui constitue la synthèse de plusieurs années de travail et de recherche historique, donne à penser sur cette notion de rythme. Car dans une société où tout va souvent trop vite ou trop lentement, à l’heure du slow movement et des échanges mondialisés, comment trouver son rythme ? Dans Les rythmes au Moyen Age, Jean-Claude Schmitt présente avec brio plusieurs rythmes présents au Moyen Âge, et nous rappelle de manière presque évidente que, dans toute société humaine, depuis les temps les plus anciens, plusieurs rythmes se côtoient : des rythmes d’espace, des rythmes de temps, des rythmes narratifs, des rythmes collectifs et bien sur des rythmes individuels.
 

Ralentir la cadence : un nouvel impératif ?


Le slow movement et plus généralement la slow life qui semble se développer depuis les années 1980 soulignent de nouvelles aspirations et évoquent l’attrait vers d’autres rythmes plus humains. Il s’agit d’une forme de contre-culture qui promeut l’idée de réappropriation du temps (cherchez « Segonzac » sur internet !) et plus précisément de son propre emploi du temps : adopter d’autres rythmes, d’autres itinéraires de vie sans pour autant se couper des autres et du monde. Dans le côtoiement des rythmes collectifs, ce que l’on cherche à trouver souvent, par dessus tout, c’est son propre rythme. Pour le Moyen Âge, Jean-Claude Schmitt évoque l’apparition d’un rythme individuel bien particulier. En effet, il démontre dans de magnifiques lignes que le rythme individuel, qui s’impose à la fin du Moyen Âge, est avant tout celui de la prière : « Les mouvements des lèvres, les mots murmurés de la prière, le glissement des doigts l’un sur l’autre pour faire glisser les perles, les génuflexions alternant avec le redressement du corps, tous ces gestes contribuent au rythme caractéristique de la prière du chapelet. »


De nos jours, sollicités de toute part par des rythmes lointains et divers, les individus semblent être à la recherche de ce rythme individuel qui peut être teinté ou non de religion.



Le Tour de France : un rythme d’espace particulier ?

 

Au Moyen Âge, plusieurs activités mettaient les hommes en branle (pèlerinages, procession…) et imposaient aux espaces un rythme particulier. Depuis 1903, un événement impose à « l’espace France », tous les mois de juillet, un rythme bien particulier : c’est le Tour de France.
 
Si l’arrivée à Paris, sur les Champs-Élysées, ne passionne pas toujours les foules, le Tour de France n’en demeure pas moins, pour les villages qu’il traverse, une véritable occasion de festivités. Dans ces espaces, le temps s’arrête en quelque sorte ou ralentit pour quelques heures : la « route nationale » est coupée, les habitants s’organisent et se retrouvent au bord de la route se réappropriant pour quelques heures ce « bord de route », rapidement traversé et jamais investi le reste du temps. Car si le passage des coureurs, du « peloton » n’est que de quelques minutes, le passage de la « caravane » commerciale, lui, dure bien plus longtemps. Mais « Le Tour » peut aussi être suivi depuis son poste de télévision ou son ordinateur. Son visionnage rappelle alors qu’il n’a pas toujours fallu cinq heures pour aller de Paris à Perpignan, que la France est composée de monts et de vaux, de fleuves et de monuments, de villages colorés ou désertés, de croisements, de gendarmes, de camping cars, de chaises pliables, et de bobs Cochonou.

Le Tour de France donne le ton, le temps d’un passage, et impose aux espaces qu’il traverse un rythme particulier : un rythme lent, un rythme à taille humaine. Quand on regarde une étape complète, on ressent la distance et même « la rumeur des distances traversées » comme dirait Proust, prenant conscience que la vitesse actuelle abolit bien souvent l'espace.  On peut dénoncer les multiples affaires de dopages mais on ne peut retirer au Tour de France sa dimension mythique et culturelle (politique aussi comme le démontre l’ouvrage de Fabien Conord). Et les mots de Barthes sonnent juste pour évoquer cette géographie particulière : « Le Tour dispose donc d’une véritable géographie. (…) Par sa géographie, le Tour est donc recensement encyclopédique des espaces humains. »
 
Ainsi, comme les photos de Raymond Depardon, le rythme estival qu’impose le Tour de France peut nous rappeler que d’autres rythmes existent et sont possibles, et que c’est dans ce sempiternel côtoiement de cadences, entre ralentissements et accélérations, que l’homme a toujours (sans doute) recherché sa propre mesure. Aux réseaux sociaux, aux médias qui imposent un rythme effréné, on peut opposer un certain éloge de la lenteur ou préférer, le temps d’un été, le visionnage d’une étape du Tour ; ou la lecture d’un livre. Puisque ralentir le temps est toujours possible et que c’est bien dans le calme et la réflexion que réside le véritable exercice de la liberté


Pour aller plus loin :

•  Jean-Claude Schmitt, Les Rythmes au Moyen Âge, Paris, Gallimard,  2016.
•  Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 2002.
•  Mona Chollet, Chez soi : une odyssée de l’espace domestique, Paris, Zones, 2015.
•  Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, 1988.
•  Christopher S. Thompson, The Tour de France: A Cultural History, Berkeley, University of California Press, 2006.

 

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge.