Chaque mois la « chronique scolaire » passe l’éducation au crible des sciences sociales. Dans ce second article, elle s'interroge sur le défi des inégalités sociales à l'école.
 

En avril 2016, l'UNICEF   publie un rapport qui classe une nouvelle fois la France parmi les pays de l'OCDE qui reproduisent le plus les inégalités sociales : ces performances en la matière la situent au côté de pays comme le Mexique. Face à cette situation, plusieurs textes officiels, dont le nouveau socle commun de compétences de 2016 ou le Référentiel de l'éducation prioritaire, mettent en avant la nécessité d'enseigner plus explicitement. Mais que signifie cette injonction ? Sur quoi se fonde-t-elle ?

 

Une querelle en voie d'être dépassée ?

 

Le champ éducatif a été, depuis au moins le début du XXème siècle, structuré entre les partisans d'une pédagogie nouvelle et ceux qui restaient attachés à une pédagogie traditionnelle.

Parmi les tenants des pédagogies nouvelles, on trouve des noms tels que Montessori, Decroly ou Freinet. En France, cette orientation s'est poursuivie en particulier avec les tenants des pédagogies socio-constructivistes.   . Ces pédagogies promeuvent le travail en groupe et les méthodes de mise en recherche des élèves à partir de situations-problèmes.

Face à la massification de l'enseignement, les publics se diversifient et les méthodes traditionnelles ne semblent plus adaptées au contexte qui émerge dans les années 1960. Les programmes et les supports pédagogiques demandent de moins en moins aux élèves uniquement de restituer et d'apprendre par cœur, et de plus en plus de comprendre et de conceptualiser   . Pierre Bourdieu fustige la tendance de la pédagogie traditionnelle à supposer chez les élèves la maîtrise de codes sociaux implicites.

Avec l'émergence des IUFM   au début des années 1990, le socio-constructivisme apparaît, dans le domaine des sciences de l'éducation, comme une réponse adaptée à ces nouveaux défis. En outre, les questions pédagogiques se doublent d'enjeux idéologiques et politiques. Les milieux conservateurs restent attachés à la pédagogie traditionnelle tandis que les milieux progressistes de gauche considèrent les pédagogies nouvelles comme des vecteurs d'émancipation.

Néanmoins, ce tableau commence à se compliquer lorsque des travaux scientifiques émettent des doutes sur la capacité des pédagogies nouvelles à faire progresser les élèves en difficulté scolaire issus de milieux populaires   .

La querelle entre pédagogie traditionnelle et pédagogie nouvelle pourrait être en voie d'être dépassée par les résultats des recherches scientifiques. Il s'agirait désormais de justifier les pratiques pédagogiques à la lumière de résultats scientifiques.

 


Une convergence des travaux scientifiques


Des travaux scientifiques issus de différentes sous-disciplines des sciences de l'éducation mettent en doute, en particulier à partir des années 1990, les capacités des nouvelles pratiques pédagogiques à constituer une solution satisfaisante à la difficulté scolaire et aux inégalités sociales.

Les travaux en psychologie cognitives mettent en lumière l'importance de la répétition pour automatiser les compétences de haut niveau et la surcharge cognitive que provoquent les situations d'apprentissage trop complexes   .

La sociologie de l'éducation met en lumière les malentendus socio-cognitifs que peuvent générer des pratiques pédagogiques où l'élève est mis en situation de recherche sans que l'enseignant explicite préalablement ce qu'il attend   . Les enseignants auraient en réalité tendance à s'appuyer implicitement sur des compétences d'autonomie acquises dans le milieu familiale.

Les sciences de l'éducation, en Amérique du Nord, se concentrent sur l'étude de l'effet enseignant et des pratiques pédagogiques les plus efficaces   . Ces travaux mettent en avant les résultats contre-productifs obtenus par les pédagogies de la découverte. Néanmoins, ces travaux ont été réalisés dans le contexte nord-américain et l'on manque de données du même type en France.

 


Des difficultés scientifiques à surmonter

 

L'ensemble des courants de recherche, rappelés ci-dessus, mettent en avant l'importance d'enseigner plus explicitement. Il s'agit d'expliciter : « quoi » (l'objet de l'enseignement), « comment » (les stratégies cognitives d'apprentissage), « pourquoi » (dans quel but), « quand » (à quel moment utiliser ces connaissances).

Néanmoins, cette convergence des travaux scientifiques sur l'injonction à expliciter ne signifie pas qu'il y ait un accord scientifique sur la manière d'y parvenir. Il existe plusieurs controverses.

Certains considèrent qu'il est nécessaire de présenter la matière de manière structurée tandis que d'autres continuent à soutenir qu'il est possible d'expliciter tandis que les élèves sont en situation de recherche.

Une autre controverse est celle qui oppose les tenants de la méthode intégrative aux tenants de la méthode modulaire   : les premiers considèrent qu'il s'agit d'apprendre à partir de situations complexes tandis que les autres sont partisans d'un découpage des tâches pour éviter la surcharge cognitive. En Amérique du Nord, cette opposition recouvre celle qui existe entre l'apprentissage stratégique de Jacques Tardif et la pédagogie explicite de Clermont Gauthier.

Enfin, il est possible de formuler une interrogation qui croise la question de l'acquisition des compétences intellectuelles de haut niveau (comme l'esprit critique) et les classes sociales. L'injonction qui est faite d'enseigner explicitement en éducation prioritaire peut être justifiée par la lutte contre l'échec scolaire et les inégalités sociales. Néanmoins, se pose la question de l'articulation d'un enseignement explicite, adapté pour l'automatisation des compétences de bas niveau, et l'acquisition des compétences de haut niveau.

Est-il possible de faire acquérir explicitement les compétences de haut niveau intellectuel ? Ne risque-t-on pas de voir se développer une pédagogie pour les enfants des milieux populaires, visant à développer les compétences de bas niveau, et les élèves de classes moyennes supérieurs, sollicités à partir de tâches complexes ? Il est pour l'instant difficile de répondre à ces questions.

 

Il est possible qu'au sein des controverses liées à l'enseignement explicite se rejouent des oppositions proches de celles qui existent entre pédagogies traditionnelles et nouvelles, voire entre pédagogie behavoriste   et pédagogie nouvelle : enseignement structuré/mise en recherche, découpage des tâches/ tâches complexes…

La seconde remarque consiste à interroger la capacité à évaluer – en particulier de manière quantitative -, toutes les pratiques pédagogiques. Il faut se montrer attentif aux excès d'un positivisme qui ferait abstraction des finalités développées par l'éducation.

En effet, l'acquisition de compétences de base est un objectif (lire, écrire, compter…), mais ce n’est pas le seul. Il est possible par exemple de considérer que l'école vise également à former des citoyens. Il est donc également possible de poser la question du choix des fins éducatives et de leur articulation avec les moyens pédagogiques.

 

Pour aller plus loin :

- Centre Alain Savary « Enseigner plus explicitement : l'essentiel en 4 pages ».

- Formapex – le site de la pédagogie explicite.

- Référentiel de l'éducation prioritaire


 

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