Une approche sociologique de trois auteurs dramatiques marquants du Second Empire.

Il est rare qu’un ouvrage tiré d’une thèse paraisse un an après la soutenance ! On commencera donc par saluer cet exploit. Dans le résumé de sa thèse, l’auteure mentionnait que « d’aucuns estiment surannée » la dramaturgie d’Émile Augier (1820-1889), d’Alexandre Dumas fils (1824-1895) et de Victorien Sardou (1831-1908). On ne saurait dire que son livre démontre le contraire, mais là n’est pas la question. Il s’agit de voir comment les comédies de ces trois dramaturges créées entre 1852 et 1870 reflètent les manières de leur temps, et donc de proposer une approche « sociopoétique » de la partie Second Empire de leur théâtre.

Le choix des trois auteurs se justifie parfaitement, puisque, mis à part le grand Labiche, ce sont les trois noms qui se sont imposés durant la période – encore qu'Édouard Pailleron (1834-1899), dont Le Monde où l’on s’amuse est de 1868, mériterait une mention honorable. Des trois, Augier est certes le moins connu, et même son Gendre de Monsieur Poirier (1854) n’évoque plus grand-chose, sauf aux historiens du théâtre. Sardou, en revanche, récemment sujet d’un volume dont il a été rendu compte ici   , s’est non seulement assuré l’immortalité, par Puccini interposé, comme auteur de La Tosca, mais suscite même un regain d’intérêt dont témoigne la nouvelle édition en cours de son théâtre. Quant à Dumas fils, si sa Dame aux camélias survit avant tout grâce à La Traviata, quelques reprises récentes – et également une édition en préparation – montrent qu’il n’a pas non plus complètement disparu du paysage théâtral.

Le corpus étudié se limite à une petite trentaine d’œuvres, toutes des comédies, mais des comédies sérieuses illustrant les principes du drame bourgeois définis par Diderot au siècle précédent (ce n’est pas pour rien qu’une des pièces de Dumas s’intitule Le Fils naturel). Hanan Hashem organise son analyse en deux parties. Sous la rubrique « Esthétique théâtrale du savoir-vivre », elle commence, à juste titre, par la façon dont les transformations hausmanniennes de Paris, « capitale du savoir-vivre », se reflètent dans le théâtre des trois auteurs, puis en vient ensuite à l’opposition entre Paris et la campagne, thème fréquent de leurs ouvrages. Le deuxième chapitre aborde de façon intéressante les rapports entre monde et demi-monde – néologisme lancé par Dumas en 1855 – qui sont un thème central de plusieurs des pièces étudiées. Les chapitres suivants traitent des personnages masculins, des domestiques et de la correspondance. La seconde partie, intitulée « Caractère spectaculaire du savoir-vivre » (formulation à vrai dire assez peu parlante), examine les diverses pratiques sociales dont il est question chez nos auteurs : distinction (au sens promotions et récompenses), salutations, habillement, et, pour terminer, nourriture et boisson. En conclusion, l’auteur propose des pistes de recherche supplémentaires, qui déborderaient notamment sur la période suivante.

Peut-être des références plus nombreuses à Labiche, qui est à peine mentionné, auraient-elles permis d’enrichir la perspective, à la manière dont l’auteur évoque à plusieurs reprises les pièces d’Oscar Wilde, qui sont en effet marquées par ce théâtre (comme le sont, à des degrés divers, celles d’Ibsen et de Shaw, voire du premier Strindberg). De même aurait-on apprécié des renvois rétrospectifs à Scribe, dont les trois auteurs sont tributaires. Du point de vue de la forme, on regrettera simplement quelques négligences, notamment dans la présentation typographique des titres, ce qui est fâcheux dans un livre où ils abondent. Ces négligences ne sont pas sans affecter la bibliographie où (entre autres petits problèmes) le Mc de “McCormick” est traité comme l’initiale d’un prénom, tandis que le nom et le prénom de Lenard Berlanstein se retrouvent inversés