Tous les jeudi, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Aujourd'hui, comment la désapprobation sur la décence des mini-jupes reprend finalement un bien vieux schéma…



En attendant le bus et en voyant littéralement déferler une cohorte d’adolescents à la sortie d’un lycée, une dame me livra ses impressions sur l’habillement de ces jeunes personnes qu’elle trouvait « inapproprié » et surtout « déshonorant ». J’ai alors souri. J’ai souri car, tout au long de l’histoire, il y eut toujours des jeunes gens mal habillés, en jupe trop courte, et surtout des gens et des instances pour s’en offusquer.

Au Moyen Âge, l’Église exerce sur la société un contrôle étroit. Le salut est au centre des préoccupations de chacun. Il s’agit de sauver son âme. Or celle-ci, loin d’être repliée dans un « for intérieur », entretient  d’étroites relations avec le corps qui l’héberge, et avec les étoffes qui le couvrent. L’Eglise élabore ainsi tout un discours moral sur le vêtement, dont les critiques  portent bien évidemment en priorité sur le vêtement féminin.



Les sous-vêtements de la défaite

 

Mais le vêtement court masculin n’est pourtant pas épargné et constituait aussi la cible de nombreux jugements moraux négatifs ! Car si le « péché de trop paraître » est redoutable, le vêtement en lui-même est également dangereux. Par l’indécence de sa forme, il incite à la luxure. De ce point de vue, les derniers siècles du Moyen Âge, avec leurs nouvelles coupes de vêtement, font la désolation des prédicateurs et des moralistes.

Au milieu du XIVe siècle, le vestiaire masculin est l’objet d’une transformation majeure avec l’apparition et la diffusion de ce qui est appelé le « costume court ». Les vêtements se font très ajustés, très près du corps qu’ils dévoilent. L’apparition de la couture au niveau de la taille ainsi que de nombreuses innovations vestimentaires telles que les boutons et les manches amovibles soulignent les contours du corps. Ce vêtement court, porté par des élites jeunes, justement à cause de cet ajustement, ne permet pas le travail. Par ailleurs en laissant voir les jambes voire (comble de l’horreur !) en laissant deviner les organes sexuels, il peut provoquer le désir et inciter à la luxure et au plaisir.

Le vêtement court est ainsi vu comme une transgression : à l’origine vêtement de dessous – on le portait sous l’armure ou sous la robe –, il devient vêtement de dessus et montre publiquement ce qui devrait rester de l’ordre du privé, de l’intime. Il s’agit donc d’un vêtement subversif et répréhensible moralement, car cause de péché voire de défaveur divine. Ainsi le Chroniqueur de Saint-Denis relatant la bataille de Crécy (1346)  évoque «  la deshonnesteté des habits »  qui fait perdre la bataille aux Français.  Il lie explicitement la défaite à ces nouvelles modes : c'est Dieu, irrité de ces « robes si courtes qu'elles ne venaient qu'aux fesses », qui a puni les Français. La mini-jupe menant finalement à la défaite militaire...

 

Une triple transgression
 

Le vêtement court est donc déjà au Moyen Âge une transgression. Une transgression de l’intime dans un premier temps, puisqu’il laisse voir les braies, ancêtre du caleçon, c’est-à-dire finalement les sous-vêtements. Mais aussi une transgression du genre : en laissant deviner leurs formes, leurs reins, les jeunes hommes adoptent une plastique féminine contraire à l’idée de masculinité et de virilité. C’est enfin une transgression de classe : habillés ainsi, les nobles ne ressemblent plus à des nobles et ne signalent plus leur appartenance à une élite ; au contraire, ils se rapprochent de ces marginaux de la société médiévale que sont les jongleurs. La mention des chausses bicolores fait partie de cet imaginaire de la transgression : le mélange de couleur, dans les rayures notamment, en fait « l’étoffe du diable »   .

Par ailleurs, l’homme ainsi vêtu est ramené au rang d’animal, le vêtement épouse tellement son corps qu’il devient sa peau et il faut, tels les animaux, « l’écorcher » pour le dévêtir. L’utilisation de ce terme qui renvoie l’homme à l’animal, le privant par là même de toute autonomie – il a besoin d’aide pour être déshabillé –, montre bien en définitive combien la condamnation de ce vêtement est irrévocable. La preuve suprême de cette condamnation est l’action de punition de Dieu qui envoie aux Français une victoire anglaise à Crécy, déculottée bien méritée étant donnée la mauvaise tenue des nobles français.

Cette description touchante, pleine d’humour et de mauvaise foi, interroge pour toujours les vertus du vêtement. L’habit fait-il bien le moine ? En tout cas, les grincheux sont toujours là pour rejeter la faute sur la jupe trop courte



Pour aller plus loin :

- Michel Pastoureau, L’étoffe du Diable : une histoire des rayures et des tissus rayés, Paris, Seuil, 2007.
- Jules-Etienne Quicherat, Histoire du costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 2e édition, 1877.

 

Vous pouvez retrouver tous les articles de cette série sur le site Actuel Moyen Âge.